"C'est le début de l'encadrement et de la régulation" de la médecine esthétique : l'Ordre sonne la fin de la récré
Le chiffre n'est pas connu ni officiel mais ils sont des milliers de médecins, généralistes pour la plupart, à se reconvertir en médecine esthétique. Une activité complémentaire très lucrative qui était jusqu’alors non encadrée ni régulée. Le Conseil national de l'Ordre des médecins vient de sonner la fin de la récré. Un diplôme inter-universitaire ou une validation des acquis de l'expérience seront désormais obligatoires pour pratiquer. Le Dr Jean-François Delahaye, chirurgien plasticien et conseiller national chargé de la médecine esthétique, fait le point pour Egora.
Egora : Un diplôme inter-universitaire en médecine esthétique a-t-il bien été reconnu par le Conseil national de l'Ordre des médecins ? Sera-t-il obligatoire pour pratiquer cette activité complémentaire ?
Dr Jean-Francois Delahaye : Cette information est bien exacte. L'activité de médecine esthétique est pour l'instant non régulée et non encadrée avec un certain nombre de dérives. Tous les acteurs de santé en sont particulièrement conscients, dont l'Ordre qui est garant de la qualité et de la sécurité des soins. L'Ordre a donc interrogé les Collèges nationaux professionnels (CNP) de dermatologie et de chirurgie plastique car ce sont eux qui ont en charge l'enseignement de la médecine esthétique en France.
Nous leur avons posé la question de la meilleure manière d'organiser une formation : la réponse a été la constitution d'un diplôme inter-universitaire (DIU). Ce diplôme a été laissé, pour sa mise en œuvre, aux différents CNP. Trois facultés ont répondu à l'appel : Bordeaux, Créteil et Marseille. Et il y a six enseignants coordonnateurs de ce DIU qui sont tous professeurs de dermatologie ou de chirurgie plastique. Ce diplôme va se dérouler pendant deux ans et à l'issue de cette formation il y aura un examen.
Le demande de reconnaissance de ce DIU a été posée lors de la dernière session du Conseil national. Celui-ci a considéré que la qualité de la formation proposée permettait sa reconnaissance. Les titulaires de ce DIU pourront apposer en dessous de leur plaque professionnelle, "diplôme inter-universitaire de médecine esthétique". Cela leur donnera le droit de se prétendre médecin esthétique.
Qu'en sera-t-il de ceux qui n'auront pas validé le DIU, mais qui se disent médecins esthétique ? Cela reste un exercice non encadré ?
Dès maintenant, seuls les titulaires de ce DIU pourront en faire mention sur leur plaque. C'est le début de l'encadrement et de la régulation. Se pose également le problème des médecins qui exercent déjà cette activité. Il est prévu pour eux une épreuve de vérification des compétences sous la forme d'une validation des acquis de l'expérience (VAE). Cette VAE leur donnera également le droit au titre.
Comment tout ce cela va-t-il se dérouler ? Les médecins vont-ils être contactés par l'Ordre ?
Il y aura une information sur le dispositif envoyée aux différentes associations de médecine esthétique, en les prévenant que pour continuer à pratiquer, la VAE ou le DIU seront obligatoires. Les médecins devront déposer un dossier pour que leurs compétences soient reconnues ou non par une commission. Cette commission sera composée de professeurs de chirurgie plastique, de dermatologie et de représentants ordinaux.
Tout cela va demander plusieurs années, mais ça va arrêter l'hémorragie et permettre de redonner confiance dans les médecins qui pratiquent cette activité.
"L'Ordre ne reconnaîtra jamais une formation privée"
Que se passera-t-il pour les médecins qui pratiquent une activité de médecine esthétique mais qui n'auront pas validé le DIU ou la VAE dans un horizon de cinq ans par exemple ?
Pour eux, cela sera considéré comme un manquement à l'article 70 du code de déontologie, à savoir que le médecin ne peut exercer que dans le respect de sa compétence, sauf urgence. S'il ne fait pas la preuve de sa qualification en médecine esthétique, l'Ordre pourra lui dire d'arrêter.
Le syndicat SML a créé l'Union de la médecine esthétique dont l'objectif est l'indépendance de leur formation par rapport aux industries. Quelle est votre position à ce sujet ?
Le DIU est fait par des universitaires et n'a pas de lien avec les industriels. La formation initiale ne peut être qu'universitaire. Ce sont les universitaires qui enseignent la médecine. Ultérieurement, dans le cadre de ce DIU, il pourra y avoir la présence de médecins qui ne sont pas universitaires, mais qui auront été formés et dont la compétence aura été reconnue. Mais l'Ordre ne reconnaîtra jamais une formation privée, et encore moins une formation assurée par des industriels.
Avez-vous des chiffres sur le nombre de médecins qui se reconvertissent en médecine esthétique ou qui se lancent dans cette voix après une formation en médecine générale ?
Je ne peux que répondre de manière évasive. En France, il y a 1 125 chirurgiens plasticiens qui peuvent faire de la médecine esthétique. Il y a environ 3 750 dermatologues qui peuvent également le faire. Mais nous savons aussi qu'il y a beaucoup de généralistes, en particulier, qui font de la médecine esthétique. Ce chiffre n'est pas connu. Si nous excluons les médecins qui ont la qualification officielle en médecine esthétique (dermatologue, plasticien, ORL…), il doit y avoir 4 à 5 000 praticiens qui font de la médecine esthétique. Et parmi eux, une grande majorité de médecins généralistes. Très peu de ces généralistes ont une activité de médecine esthétique à 100%. Beaucoup ont une activité partielle. Le fait de créer une VAE permettra à ces médecins de se faire connaître, et on aura une meilleure estimation du nombre.
Pourquoi, selon-vous, un tel engouement pour cette activité complémentaire ?
Il y a deux grandes raisons. La plus importante est la raison financière. Beaucoup d'activités médicales ne sont pas reconnues à leur juste valeur. C'est pour cela que les médecins pratiquent cette activité. Le second élément est que cet exercice complémentaire permet de décompresser. C'est la bouffée d'oxygène qui permet de faire autre chose.
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