"Je ne veux plus jamais revivre ça" : une généraliste raconte comment sa MSAP l'a poussée à déplaquer
Malika* se rêvait médecin généraliste. La praticienne de 38 ans, installée depuis 2017, a vite déchanté. Avec près de 2 000 patients dans sa file active, la plupart jeunes et précaires, la généraliste a fait, selon sa caisse primaire d'Assurance maladie (CPAM), exploser le compteur statistique des arrêts maladie. Après un refus d'être mise sous objectif (MSO), Malika s'est vue sanctionnée par une mise sous accord préalable (MSAP) pendant trois mois. Elle a purgé sa peine mais a décidé de dire stop. C'est décidé, elle fermera son cabinet en septembre prochain. Elle nous raconte pourquoi.
"Je m'appelle Malika, j'ai 38 ans et je suis installée depuis 2017 dans une ville de 40 000 habitants. J'ai deux enfants, de 5 et 10 ans. Avoir ma propre patientèle a toujours été mon rêve, donc je me suis installée deux ou trois mois après ma thèse. J'étais un peu frustrée lors des remplacements, car je n'avais jamais la suite, alors j'appelais mes remplacés pour prendre des nouvelles des patients. Il me tardait de gérer mes dossiers, ma prévention…
Finalement, je me suis installée en tant que collaboratrice d'un médecin que je remplaçais souvent. Il y avait une forme de spécialité médico-sociale dans la patientèle. J'ai un DU de gynéco, donc j'en faisais beaucoup, et mon associé faisait lui beaucoup de pédiatrie. On se complétait bien. On répondait à une vraie demande et il y a eu rapidement beaucoup de monde au cabinet.
Puis mon confrère a eu des problèmes personnels. Il a donc pris la décision de partir en ayant trouvé personne pour le remplacer. Il m'a donc laissé le cabinet avec sa patientèle. J'ai tenu trois mois et j'ai explosé en burn out… Le cabinet a été fermé trois mois.
A mon retour, en septembre 2022, j'ai pris une assistante médicale à mi-temps. Elle me préparait les enfants, s'occupait des courriers, appelait les spécialistes…Avec cette organisation, j'ai plus ou moins tenu.
"Atypie de patientèle"
Mais en juin 2023, je reçois un courrier de la CPAM qui me propose de me mettre sous objectif. On m'explique que comparés aux médecins de ma commune, mes arrêts de travail sont trop conséquents. Je suis arabophone, mes patients sont des travailleurs pauvres. La moitié est en CMU. J'ai très peu de patients de plus de 75 ans, ma patientèle est très jeune. J'ai une sur-représentation de maladies professionnelles et d'accidents de travail. Mes patients ont beaucoup de troubles musculo-squelettiques, j'ai des maçons, des caissières, des femmes de ménage, des aides-soignantes… Avec ce système, cela va créer des biais de sélection des patients. Ces gens-là risquent de se faire refuser d'une patientèle médecin traitant parce qu'ils sont potentiellement à risque d'être en arrêt… S'attaquer à la prescription d'arrêts de travail est une fausse bonne idée, il faut s'attaquer aux causes.
Dans un premier temps, on me demande de justifier mon atypie de patientèle. Moi, bonne élève, je leur explique. Finalement, on me renvoie un courrier pour me dire que mes explications ne suffisent pas à justifier mes chiffres d'arrêts de travail et que je suis bien mise sous objectif.
"Je n'ai rien fait de mal"
Après avoir reçu ce courrier, je contacte des syndicats, je me renseigne un peu partout et je décide de refuser la MSO. Dire oui serait une forme d'acceptation implicite de mon erreur. Et je n'ai rien fait de mal. Comment s'auto-réguler ? C'est aberrant. Que la CPAM me montre ! Moi je n'ai pas de baguette magique.
En novembre 2023, je suis convoquée devant la commission des pénalités. Lorsque j'arrive, c'est impressionnant. Il y a beaucoup de médecins. Je m'explique et je les convaincs puisque la commission vote en ma faveur et contre la sanction. Mais leur avis n'est que consultatif…
Finalement, quelques semaines après, je reçois un courrier de la directrice de la CPAM qui me met sous accord préalable (MSAP) pendant trois mois 'parce que ça ne serait pas juste pour les médecins qui ont accepté la MSO'. Quand je reçois cette lettre, je crois que je vais crever. Je ressens de l'arbitraire. Sans examiner mes patients ni même leur parler, ils me font sauter mes arrêts. Là j'ai explosé en plein vol. Je suis passée par une grosse crise de légitimité. Est-ce que je suis une fraudeuse ?
"Mes patients étaient pris en otage"
Ça a vraiment atteint ma liberté de prescription. Je devais envoyer des courriers pour justifier mes actions. Cela me prenait un temps fou. J'ai appris qu'un de mes patients n'avait pas été payé pour ses indemnités journalières et qu'il avait dû emprunter auprès de sa famille. Mes patients étaient pris en otage. On leur disait : 'c'est ton médecin qui ne fait pas assez bien son boulot'. J'ai une patiente qui a fait 15 jours d'arrêt chez moi et 15 jours chez un confrère. Elle a reçu ses IJ pour le second arrêt mais pas pour le mien…
Tout cela m'a vraiment atteint. Je ne veux plus rien avoir à faire avec la Sécu. Je ne veux plus continuer comme ça. Ma période de MSAP s'est terminée en mai mais je suis encore sous contrôle. Et je ne veux plus jamais revivre ça. J'ai été infantilisée, je l'ai ressenti comme une sanction arbitraire.
J'ai donc décidé d'arrêter mon activité à partir du 1er septembre 2024. Je ne sais pas encore ce que je vais faire. Je reçois plein d'offres. Je pense que je vais me diriger vers les soins de suite et de réadaptation ou vers l'hôpital en tant que médecin salariée.
"Je le vis comme un deuil"
Le fait d'être surmenée au travail et d'avoir un partenaire conventionnel avec lequel on est dans un flicage font que j'arrête. C'est de l'injustice et du délit statistique. Je le vis comme un deuil. J'arrête à contrecœur. Mais sortir d'un burn out pour se retrouver dans une situation tordue comme celle-là, c'est compliqué. Je n'ai pas fait de faute médicale. Je n'ai lésé personne. Je ne rentre simplement pas dans leurs statistiques. Je le vis très mal. J'y pense depuis 5 mois, c'est vraiment un crève-cœur. Je me suis même posée la question d'attaquer la Sécurité sociale au tribunal administratif, mais je n'ai pas envie de dépenser mon argent pour que mon préjudice moral ne soit pas vraiment reconnu.
Mes patients comprennent très bien mon arrêt. Ils m'ont dit : 'On sait qu'on est en pénurie de médecins et au lieu de vous aider on vous met des bâtons dans les roues'. Ils ont tout compris…
*prénom d'emprunt
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