IPA : "Avec l’accès direct, on inscrit dans la loi le principe d’une médecine à deux vitesses", alerte le président de la CSMF
Développer la collaboration entre infirmières en pratique avancée (IPA) et médecins libéraux, oui. Permettre aux IPA de prescrire des traitements chroniques sans diagnostic médical préalable, non. Alors que s'ouvrent ce vendredi les 30e Universités de la CSMF, le Dr Franck Devulder, son président, plaide pour que le médecin libéral soit reconnu et rémunéré comme l'expert dans un parcours de soins incluant davantage de patients grâce aux délégations de tâches et aux partages d'actes. Mais attention à ne pas tout "déréguler".
Egora.fr : Vous avez fait le choix de signer la convention médicale bien que le "choc d’attractivité" promis ne soit pas au rendez-vous. Y a-t-il encore des marges de manœuvre pour la médecine libérale ?
Dr Franck Devulder : Oui ! La CSMF est particulièrement fière d’avoir été un des acteurs majeurs qui a permis d’aller vers la signature de cette convention. Il fallait qu’on trouve une voie de passage. Ça ne voulait pas dire signer à n’importe quel prix. Mais c’était nécessaire pour deux raisons. D’abord, parce sans signature nous restions sous règlement arbitral, avec la consultation à 26.50 euros, sans réforme de la CCAM1, et sans avenant possible. Nous pénalisions l’ensemble des confrères. Ensuite parce que la médecine libérale est la porte d’entrée de notre système de santé, n’en déplaise à la FHF. Que l’hôpital public n’aille pas très bien, on le sait tous mais il n’est pas admissible de dire que c’est parce que la médecine de ville n’en fait pas assez. C’est faux ! Huit consultations sur dix sont faites par la médecine de ville et les gardes sont assurées partout.
Alors oui, il fallait signer cette convention mais pour nous cette convention n’est pas une finalité. Elle doit être un point de départ. Il y a des éléments forts dans cette convention : la prévention, la qualité et la pertinence… Pour la première fois, il y a des engagements collectifs. « Nous » -médecins, Assurance maladie, Etat- nous engageons.
Quels vont être les principaux enjeux conventionnels des prochains mois ?
Outre la mise en place des mesures de revalorisation [le 22 décembre, NDLR], on doit donner un coup d’accélérateur aux assistants médicaux car on sait qu’ils permettent d’augmenter de 10% le nombre de patients différents pris en charge. Par ailleurs, on se lance dans la rémunération de la qualité et de la pertinence. Autre gros enjeu, la réforme des actes techniques. Il y a deux chantiers parallèles : le travail mené par le Haut Conseil des nomenclatures, qui avance à marche forcée, et le travail lancé avec la Cnam sur le coût de la pratique, le taux de charge. Nous y serons extrêmement vigilants. Ce coût de la pratique n’a pas bougé depuis 2005 et on ne me fera pas admettre que l’amélioration de la productivité puisse réduire le taux de charge.
Un groupe de travail va plancher sur le parcours de soins, l’accès direct et les modalités de cotation de l’APC (avis ponctuel de consultant). Gabriel Attal avait par ailleurs annoncé une expérimentation sur l’accès direct aux médecins spécialistes. Quels sont les enjeux et les assouplissements possibles ?
Moi je suis gastro-entérologue. La plupart de mes consultations sont des patients envoyés par leur médecin traitant et évidemment, je préfère qu’ils viennent avec une lettre précisant la demande et les renseignements médicaux. Mais de temps en temps, alors que je n’exerce pas une spécialité en accès direct, je reçois des personnes qui ont pris rendez-vous directement. Pour autant, je ne vais pas garder pour moi les renseignements médicaux : je vais demander au patient s’il a un médecin traitant et s’il n’en trouve pas, je vais décrocher mon téléphone parce que je sais qu’il a besoin d’un suivi médical ; je vais l’inscrire dans le parcours de soins. A ce moment-là, on doit pouvoir coter un APC. Nulle part il est écrit qu’il faut un courrier écrit du médecin traitant pour ça. On n’est pas dans une médecine gate keeper…
L’APC est très important pour les spécialistes, un peu comme la consultation longue2 pour le médecin traitant finalement. Il s’agit de rémunérer davantage les médecins pour leur expertise pour des patients qu’ils vont voir moins souvent, grâce aux délégations et au partage de compétence. Ça va leur permettre de voir davantage de patients différents.
Certaines CPAM ont soulevé en commission paritaire locale la possibilité de contacter des spécialistes (cardiologues, endocrinologues, internistes, gériatres, néphrologues…) pour leur demander d’être le médecin traitant déclaré des patients en ALD qu’ils ont vu au moins deux fois dans l’année. Qu’en pensez-vous ?
La médecine générale est une spécialité à part entière. Je pense qu’un autre spécialiste n’a pas forcément la compétence spécifique à l’exercice de la médecine générale. L’interniste n’est pas un médecin généraliste qui fait de l’hospitalisation : ce sont deux spécialités différentes. Après je pense l’endocrinologue ou l’interniste, qui sont deux spécialités transversales, vont faire mieux que l’endoscopiste proctologue que je suis.
Alors s’il n’y a pas de généraliste, il faut faire avec... Mais plutôt que de pallier les insuffisances, travaillons pour que le métier de médecin généraliste traitant soit attractif. Et ce n’est pas qu’une question d’argent. Il y a des besoins de simplification, il faut favoriser un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, l’exercice regroupé…
"Pas d'obligation à l'installation, mais une responsabilisation territoriale des médecins"
La CSMF fête cette année le 30e anniversaire de ses Universités d’été. La médecine libérale survivra-t-elle aux 30 prochaines années ?
Je pense que oui. C’est une nécessité. Car de par son agilité, la médecine libérale comme je l’ai dit, c’est la porte d’entrée du système de santé. C’est aussi fondamental en termes de coût et de solvabilité du système. Un patient qui se présente aux urgences, c’est en moyenne 300 euros, versus bientôt 30 euros pour la consultation de base du généraliste.
A l’avenir, il faut développer le travail en délégation et les partages de compétences pour que le médecin libéral soit l’expert, et il faut rémunérer son expertise pour qu’il voit davantage de patients différents, mais moins souvent les mêmes.
Dans le cadre du rendez-vous qu’on a mis en place aux Universités d’été depuis quelques années avec la Conférence nationale des URPS, on parlera des équipes de soins spécialisées, pour lesquelles nous sommes très moteurs, et de la responsabilité populationnelle. C’est une idée portée par la FHF mais je pense qu’on n’y échappera pas. D’aucun pense : « je suis libéral je fais ce que je veux » mais je continue de penser que les médecins ont des droits et des devoirs. Je ne dis pas qu’il faut que les médecins travaillent plus, mais il faut les accompagner dans une meilleure organisation pour qu’ils puissent répondre à la demande de soins de la société. Si la responsabilité populationnelle devait être organisée par les groupements hospitaliers de territoire ou directement par les ARS, ça ne marcherait pas.
Mais il faut vraiment travailler sur l’attractivité de l’exercice libéral. Mais quand je vois que le nombre de postes de praticiens hospitaliers temps plein a augmenté de presque 11% en 10 ans3 alors que dans le même temps, le nombre de médecins libéraux a baissé de près de 15%, que leurs revenus dégringolent et qu’on continue de leur dire qu’ils auront tout plein d’obligations…
Le PLFSS 2025 doit être présenté dans les prochaines semaines. Dans ce contexte de déficit public, redoutez-vous un coup de rabot pour la médecine de ville ?
On le craint toujours… L’Ondam4 est presque toujours en défaveur de la médecine de ville. Le dernier Ondam rectificatif, à la fin de l’hiver dernier, n’a d’ailleurs concerné que l’hôpital. Depuis des années, on a déversé sur l’hôpital public des milliards d’euros – 40 milliards en dix ans, en plus du budget habituel, a calculé l’économiste François Lenglet. Tout cela, sans leur donner d’objectifs. Redéfinissons les missions de l’hôpital, donnons-leur les moyens de les assumer. Le reste doit être fait dans le monde libéral, qui a l’agilité nécessaire.
Si aujourd’hui alors qu’il nous faut un choc d’attractivité, on ne met pas l’accent sur le libéral je crains que l’accès aux soins de nos concitoyens ne s’améliore pas.
Le groupe transpartisan sur les déserts médicaux animé par Guillaume Garot revendique deux fois plus de députés membres que l’an dernier. Redoutez-vous une nouvelle offensive -victorieuse- sur la liberté d’installation ?
Il n’y a pas une session parlementaire sans une offensive sur la liberté d’installation… Je comprends que ce soit une préoccupation forte des élus. Mais cette mesure, c’est de la poudre aux yeux. En janvier dernier, Emmanuel Macron l’a écartée. Ce n’est pas parce que le corporatisme médical a atteint le Président de la République mais parce que réguler une profession -quelle qu’elle soit – en déficit démographique ça ne marche pas. Ce serait vraiment une bêtise, déjà qu’on a du mal à "recruter" les médecins en ville si vous supprimez la liberté d’installation ça les fera fuir vers les établissements publics, privés… car tout le monde est en demande de médecins ! Le risque c’est qu’on aggrave encore l’accès aux soins.
Comment répondre alors aux problématiques d’accès aux soins ?
Il y a des mesures court-termistes, et des mesures à moyen et à long terme. Moi je rêve d’un ministre de la Santé et d'un Premier ministre qui ont une vision gaullienne, pour réécrire notre pacte social à long terme. A moyen terme, je pense qu’il faut régionaliser l’entrée dans le troisième cycle. Il faut aussi s’intéresser à l’origine de nos étudiants en médecine : quand je vois qu’aujourd’hui il y a quatre fois moins d’étudiants qu’il y a trente ans qui sont issus de la ruralité, qu’il y a deux fois plus de chances de réussir sa première année quand on est issus d’une famille CSP+, ça ne me laisse pas indifférent.
Après, comment on fait à court terme ? On n’obligera pas un médecin spécialiste à s’installer à 100km dans un territoire où il n’y a plus de clinique. En revanche, incitons-le à mailler le territoire autour de son cabinet, à élargir son périmètre d’intervention, en faisant des consultations avancées comme je le fais dans les Ardennes, en recourant à des outils comme la télémédecine et la télé-expertise. Pas d’obligation à l’installation, mais une responsabilisation territoriale.
Développons des structures organisées, de groupe, où l’on ne prend pas seulement en compte la qualité du travail mais aussi la qualité de vie au travail et qui donnent envie d’entreprendre. Je crois davantage à cela qu’au salariat en centre de santé, qui répond difficilement à la demande de soins de la population.
"J'ai un profond respect pour la formation des IPA mais elles ne sont pas médecins"
Un décret et un arrêté sont en attente de publication pour permettre la primo-prescription des IPA dans le cadre de l’accès direct. Quelle est la position de la CSMF ?
Je pense que les IPA sont une profession d’importance, que nous en manquons en libéral et qu’il faut élargir leur champ de compétence. Le gastro-entérologue que je suis, par exemple, ne peut travailler avec une IPA pour le suivi des maladies inflammatoires du tube digestif et je le regrette. D’ailleurs, le CNP de gastro-entérologie pousse en ce sens.
Une IPA ne travaille pas en délégation. Elle se voit confier la prise en charge d’un patient dans son champ de compétence sur une pathologie donnée, stabilisée, en lien avec le médecin qui l’a diagnostiquée. Dans ce champ de compétence, elle a toute la liberté qui est la sienne et s’il y a un problème, elle en réfère au médecin.
En revanche, que l’on puisse frapper à la porte d’une IPA parce qu’on a un symptôme sans jamais avoir vu de médecin, nous y sommes farouchement opposés. J’ai un profond respect pour leur formation mais elles ne sont pas médecins… Ce sont deux métiers différents. Comme l’a rappelé le président du Conseil national de l’Ordre François Arnaut, le médecin a deux rôles essentiels : porter un diagnostic et établir un projet de soin. Et si les études de médecine durent aussi longtemps c’est parce qu’en dehors de la spécialité, il y a une culture médicale de base, transversale. Or, une IPA est une infirmière qui a fait une formation de haut niveau, certes, mais dans un champ d’action défini.
Ce n’est pas du corporatisme ! Mais on ne peut pas tout déréguler en disant que tout le monde peut faire le métier de l’autre… Si on faisait ça, on inscrirait dans la loi le principe d’une médecine à deux vitesses : ceux qui auront la possibilité de voir un médecin et ceux qui ne l’auront pas.
Alors on me dit que la médecine à deux vitesses existe déjà, étant donné les difficultés d’accès aux soins : il y a ceux qui ont le bon réseau et les autres. Je ne le nie pas et nous devons mettre toute notre énergie pour corriger ça. Mais inscrire dans la loi que certains d’entre nous pourront voir un médecin et d’autres une IPA, c’est revenir au temps des officiers de santé de Madame Bovary : à l’époque, les bourgeois des villes consultaient les médecins et les travailleurs des champs n’avaient accès qu’aux officiers de santé. Si on oublie la justice sociale, la société risque de se crisper encore un peu plus.
1)Classification commune des actes médicaux
2)Valorisée à hauteur de 60 euros, elle est facturable une fois dans l’année pour les patients de plus de 80 ans dans chacune des trois situations : sortie d’hospitalisation, déprescription de patients hyperpolymédiqués, orientation vers un parcours médico-social.
3) La CSMF cite les chiffres du Centre national de gestion
4)Objectif national des dépenses d’assurance maladie
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