Honoraires

Honoraires impayés : un médecin peut-il recourir à une société de recouvrement ?

Selon un arrêt du Conseil d’Etat du 26 octobre 2023, le recours par un médecin à une société de recouvrement, pour obtenir le paiement d’un dépassement d’honoraires dû par un patient en affection longue durée, pourrait constituer un manquement déontologique. 

13/10/2024 Par Nicolas Loubry
Déontologie
Honoraires

Un patient invalide, percevant l’allocation aux adultes handicapés, consulte un médecin dermatologue dans le cadre du suivi de sa transplantation rénale. A la suite de cette consultation, ce praticien demande à son patient de lui régler la somme de 60 euros, soit un dépassement d’honoraires de 12 euros en plus du tarif conventionnel de 48 euros. Le patient refuse de payer cette somme pour deux raisons : 

  • En premier lieu, pour bénéficier du tiers payant, qui était de droit en raison de son  "affection de longue durée" pour la part de cette somme prise en charge par l’Assurance maladie.

  • En second lieu, en raison de l’absence d’information préalable sur le dépassement pratiqué par ce médecin et de la précarité de sa situation financière.

A la suite de ce refus délibéré de lui régler ses honoraires, ce praticien a mandaté un cabinet de recouvrement de créances, en vue de recouvrer le dépassement d’honoraires de 12 euros. Ce cabinet a dressé successivement à ce patient trois lettres de mises en demeure de payer des sommes de 76,03 euros, 95,85 euros, puis 109 euros.

Le patient décide de porter plainte devant l’Ordre. En première instance, le médecin a été sanctionné d’un avertissement. Il fait appel, et la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins a annulé cette décision et a rejeté la plainte. 

Des honoraires fixés avec "tact et mesure"

Saisi en dernier recours par le patient, le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 26 octobre 2023, rappelle que la chambre disciplinaire "n’a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que le supplément d’honoraires de 12 euros demandé par ce médecin n’était, en lui-même, pas contraire aux dispositions de l’article R.4127-53 du Code de la santé publique ". Selon cet article, les honoraires d’un médecin doivent être déterminés avec tact et mesure, et tenir compte des actes dispensés ou de circonstances particulières. Un médecin doit également veiller à l’information préalable de son patient sur le montant de ses honoraires. Dans l’affaire jugée par le Conseil d’Etat, ce patient soutenait qu’il n’avait pas été préalablement informé de ce dépassement alors qu’il se trouvait dans une situation financière précaire. Un dépassement d’honoraires qui ne contrevenait pas aux dispositions de l’article R.4127-53, comme l’a rappelé le Conseil national de l’Ordre mais aussi le Conseil d’Etat. 

Le Conseil d’Etat reproche toutefois à l’Ordre de ne pas s’être prononcé sur le comportement éventuellement fautif de ce médecin pour avoir eu recours à une société de recouvrement, dans des "circonstances particulières" : dépassement de 12 euros pour un patient invalide, en ALD, en situation financière précaire… 

L’affaire a été renvoyée à la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins, mais le médecin mis en cause a, non seulement, dû se faire assister par plusieurs avocats, mais a aussi été condamné à verser une somme de 3000 euros à la partie adverse, au titre des frais exposés par l’avocat au Conseil d’Etat de son patient, lequel a bénéficié de l’aide juridictionnelle ! Tout cela pour un dépassement de 12 euros…. 

Comme le rappelle un auteur (1), "il résulte de cet arrêt que, si les honoraires doivent être fixés avec tact et mesure, il en va de même de leur recouvrement". En tout état de cause, il est indispensable, pour un médecin appliquant des dépassements d’honoraires, de bien informer son patient sur le montant des honoraires qui lui seront facturés. Cette information doit être délivrée en amont, à plus forte raison si le patient concerné est en difficulté financière et croit être pris en charge à 100% pour tous leurs soins.

(1) Laurent MORDEFROY, Revue générale de droit médical n°91- Juin 2024, p.178 

 
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