Matelas de crin et bonnet de laine : quand un médecin du 18ème siècle voulait proscrire l'emmaillotage

10/08/2020 Par Pr Jean-Claude Nouët
Histoire
"Médecins, chirurgiens et apothicaires" : Si les traités de médecine et de chirurgie du XVIIIe siècle recèlent les racines de la « clinique française », il n’est pas toujours simple ou aisé de les consulter. Ensemble, remontons le temps, à l’aide de ces extraits d’ouvrages anciens, à la fois instructifs, révélateurs, et parfois distrayants. Une toute nouvelle rubrique à découvrir sur Egora tous les mois.

  Cet article est rédigé par le Pr Jean-Claude Nouët, ancien PU-PH et vice-doyen de La Pitié-Salpêtrière (AP-HP).    L'extrait : "Manuel des femmes enceintes"* Cette observation est faite par messire Guillaume-René Lefebure, médecin de Monsieur, frère du Roi, chef et directeur de ses infirmeries, Paris, chez Jean-François Bastien, 1777.  

Les Sauvages & les Américains qui nous sont plus familiers, n’emmaillotent jamais leurs enfants, et cependant ils sont droits, alertes et robustes ; nous emmaillotons les nôtres, & ils sont foibles, ils marchent tard, ils se soutiennent à peine, ils ont souvent les jambes croches, si même ils ne sont pas bossus. Habillement de l’enfant qui vient de naître Je fais faire un sac d’un pied plus long que l’enfant, il est arrondi dans son fond ; ce sac consiste en quatre morceaux de toile ou de futaine appliqués l’un sur l’autre, que l’on ouate avec du coton, on les pique ; la gueule du sac se ferme & s’ouvre par le moyen de deux cordons à coulisses ; un peu plus bas que sa gueule, au niveau des bras de l’enfant, on fait deux manches pour les y fourrer ; le sac est même si large qu’il pourrait être fait sans manches & l’enfant ne seroit pas gêné ; on serre la gueule du sac au cou de l’enfant, les cordons restent lâches ; il est sans chemise, c’est un meuble inutile, même gênant. De cette manière, l’enfant est à son aise, ses ordures ne se collent point à ses fesses, il ne peut ni se couper aux plis des aines, ni avoir froid. […] La mère ne doit point faire têter son enfant étant debout, mais elle sera assise & elle formera entre son corps et son bras une espèce de berceau, où il sera à l’aise pour prendre le téton ; l’on peut encore avoir, & ce sera fort bien fait, un morceau de carton plié en forme de demi-cilindre et garni d’un matelas de crin ; on met l’enfant sur ce carton pour le faire têter et le promener. Au surplus cette méthode est incontestablement la meilleure, puisque l’enfant y est à son aise, & j’ignore comment l’on peut tiraniser de sang-froid de petites créatures que l’on aime. La suite de l’habillement consiste dans un mouchoir de mousseline que l’on met autour du cou de l’enfant, pendant les premiers mois de sa vie, surtout s’il nait en hiver ; on lui mettra sur la fontanelle de la tête un linge sec & chaud plié en quatre doubles, il sera faufilé avec le béguin ; par-dessus ce béguin, on ajoutera un petit bonnet de laine ou d’étoffe, qui couvrira les oreilles & qui sera assujetti de chaque côté par une gorgette que l’on tiendra lâche. Voici toute la parure de l’enfant, jusqu’à ce qu’il puisse se soutenir sur ses jambes. »

  *«­Manuel des femmes enceintes, de celles qui sont en couches et des mères qui veulent nourrir­», messire Guillaume-René Lefébure, baron de Saint-Ildefont, D.M. médecin de   Décryptage    L’emmaillotage que dénonce vivement celui-ci consistait à enserrer le nouveau-né, puis le nourrisson, dans des linges superposés en l’immobilisant du cou aux pieds, bras étendus et collés au corps, littéralement saucissonné. De nombreux tableaux anciens, religieux ou non, et même des sculptures (dont l’une à Notre-Dame de Paris), témoignent de cette pratique. Au XVIIIe siècle, l’emmaillotage était pratiqué de l’Europe au Moyen-Orient, et même au-delà, avec des adaptations et des particularités liées au mode de vie (nomadisme), au climat, aux traditions propres à chaque pays, voire à chaque région. En France, le Vaucluse, le Morbihan, la Corse, le Finistère, l’Île-de-France, la Lorraine, la Charente, la Creuse avaient des techniques rituelles d’emmaillotage di­fférentes, et portaient des ajouts ornementaux locaux, exactement comme étaient di­fférents les costumes traditionnels régionaux. C’est le principe même de l’emmaillotage que Lefébure dénonce, à cause de ses inconvénients, liés à l’immobilité imposée à l’enfant, empêché de faire le moindre mouvement. Il recommande de permette à ce dernier d’e­ffectuer librement les mouvements qu’il désire. Il donne des conseils pratiques (c’est le propre d’un manuel) et décrit la façon de couper et de coudre les tissus composant un emmaillotage confortable et respectueux de la physiologie du nourrisson. En cela, Lefébure pourrait bien avoir été l’inspirateur oublié des "emmaillotages" modernes, qui, à la fois, laissent toute liberté de mouvements et assurent le confort et la sécurité. Ce serait là un réel apport, à l’honneur de Lefébure.

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