A propos des "vapeurs" : consultations choisies de plusieurs médecins célèbres

16/05/2020 Par Pr Jean-Claude Nouët
Histoire
Si les traités de médecine et de chirurgie du XVIIIe siècle recèlent les racines de la "clinique française", il n’est pas toujours simple ou aisé de les consulter. Ensemble, remontons le temps, à l’aide de ces extraits d’ouvrages anciens, à la fois instructifs, révélateurs, et parfois distrayants. Une rubrique à découvrir sur Egora tous les mois.
 

Cet article est rédigé par le Pr Jean-Claude Nouët, ancien PU-PH et vice-doyen de La Pitié-Salpêtrière (AP-HP).    L'extrait : "À toutes vapeurs !" Consultation entre médecins de l’université de Montpellier sur des vapeurs convulsives(1).

"Les vents que le malade rend en quantité par haut et par bas, les legers vertiges, les douleurs qu’il sent successivement en différentes parties, les mouvements convulsifs des muscles des lèvres, des bras, des doigts, démontrent évidemment qu’il est attaqué de vapeurs convulsives. Pour soulager le malade il faut rectifier les digestions, détremper et adoucir le sang qui est sec et résineux, & par là diminuer la tension des nerfs. Pour cet effet, le malade se purgera, ensuite il prendra pendant dix jours des bouillons faits avec un jeune poulet, trois dragmes(2) de racine de pivoine mâle, deux écrevisses de rivière, une poignée de chicorée, autant de cresson, dix cloportes ; ensuite le malade prendra pendant douze jours le petit lait clarifié rendu stomachique, cloportisé, ferré et sucré, et de deux jours en deux jours le bol suivant : douze grains de poudre de gutte, de racine de valériane sauvage, de poudre de cloportes, également de chacune, dans une suffisante quantité de sirop d’absynthe. Après l’usage du petit lait, le malade se repurgera et prendra ensuite le lait d’ânesse jusqu’au mois de juillet. Au mois de juillet le malade prendra pendant huit jours le demi-bain domestique, et même le bain entier ; s’étant reposé quatre jours il boira pendant huit jours les eaux de la Marquise de Vals coupée avec un tiers d’eau de fontaine ordinaire ; il en prendra chaque jour deux bons pots dégourdis au bain-marie dans l’espace de deux heures, prenant un bouillon ordinaire une heure après avoir bu les eaux. S’étant reposé quatre jours, il reprendra les eaux de Vals pendant huit jours puis les bains domestiques pendant neuf jours. Dès que l’automne sera venu, le malade se fera saigner et purger, & prendra ensuite les remèdes de printemps. Il se nourrira avec des soupes à la viande, […] du mouton, du veau, de l’agneau, de bon gibier, et surtout de bonne volaille engraissée, il boira le vin bien trempé, évitera les excès, les veilles, les fatigues ; il tachera de se dissiper par la compagnie, et surtout, on est d’avis qu’il fasse un exercice modéré."

(1). Consultations choisies de plusieurs médecins célèbres de l’université de Montpellier sur des maladies aiguës et chroniques, 1750, Paris, chez Durand, rue Saint-Jacques, et chez Pissot, quai de Conti.  (2). Environ 10 g.

  Décryptage Au début du XVIIIe siècle, à Montpellier, des médecins ont instauré des consultations en commun. Un millier ont été publiées en dix volumes en 1750 : imprégnées des dogmes et principes de l’époque, elles ignorent les progrès de la science en physiologie et physiopathologie. La circulation sanguine avait été démontrée en Angleterre par William Harvey en 1628 : en France, un siècle après, la « Faculté » défendait aveuglément le dogme de la fabrication constante du sang, le mauvais devant être évacué par des saignées stimulant son renouvellement.  Les traitements n’étaient que des recettes...

des gestes, en conséquence des ignorances et des croyances, mais avec la certitude de leur succès : Molière s’est chargé de ridiculiser ces pratiques, dont le roi lui-même était la victime !  Les « vapeurs » faisaient l’objet de nombreuses consultations. Il s’agissait d’un ensemble de troubles vagues et divers, physiologiques et mentaux, que les médecins de la fin du XVIIe siècle interprétaient comme une « suffocation de la matrice par des fureurs utérines, produisant des fumées gagnant le cerveau ». L’Encyclopédie, de Diderot, ce « dictionnaire raisonné des sciences », y voit seulement une « irritation des fibres nerveuses […] qui affecte sympathiquement le cerveau par la communication de la huitième paire de nerfs avec le grand nerf intercostal ». Ce n’est guère mieux ; au moins, elle entrevoit une cause liée à la personne, une maladie de l’esprit plutôt que du corps, une préscience de psychopathologie, en quelque sorte. Elle ne manque pas de glisser sa note prérévolutionnaire en remarquant que les vapeurs atteignent surtout « les gens oisifs de corps, qui fatiguent peu par le travail manuel, qui pensent & rêvent beaucoup, les gens ambitieux fort amateurs des biens & des aises de la vie, les gens de lettres, les personnes de qualité, les ecclésiastiques, les dévots, les gens épuisés par la débauche ou le trop d’application, les femmes oisives & qui mangent beaucoup ».  Avant que naisse la neuropsychiatrie, les « vapeurs » continueront de faire carrière, surtout dans les salons, mises en scène par des accessoires de charme, selon un code de séduction. Ce recours aux « vapeurs » s’éteindra à la fin du XIXe siècle, avec les changements profonds de la société.

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