Guillaume Gallienne
Elle a vu défiler les plus grandes stars comme les anonymes. Les voix “musclées”, les voix “fluettes”, les voix qui ne ressemblent pas à leurs propriétaires, les aphones, les sourds, les muets… En 130 pages dans son livre “Docteur des voix”, le Dr Claude Fugain, phoniatre et ORL revient sur 50 ans de carrière - à l’hôpital Saint-Antoine de Paris notamment - et les milliers de voix qu’elle a soigné, coaché et aimé. Egora.fr vous livre les bonnes feuilles de cet ouvrage.
“Mon père dit que j’ai une voix d’homosexuel”. (...) Je connais son père. Je l’ai soigné, un chef d’entreprise aboyeur qui à force de gueuler, s’est abîmé les cordes vocales, un grand bourgeois à la personnalité écrasante et un peu brutale mais un homme vif et brillant, que j’estime. (...) Voici le fils, donc, dix-huit ans. Il a le teint pâle et le corps maladroit, une voix légère comme une plume, sans timbre, une voix d’une très grande immaturité. Ce jeune homme, c’est Guillaume Gallienne. Guillaume qui parle aussi faiblement que son père gueule fort, Guillaume dont toute la famille est convaincue qu’il aime les garçons.”
Le médecin raconte alors comment elle apprend au futur comédien à apprendre à se tenir debout, à “chercher l’axe vertical” pour “permettre la soufflerie de se déployer” pendant plus de quatre ans. Jusqu’à ce qu’il se révèle dans “Les Garçons et Guillaume, à table !”.
Jeanne Moreau
“Elle attend toujours debout dans la salle d’attente, debout et appuyée, comme au cinéma, sur le piano à queue que j’ai installé là. (...) Elle a des vertiges et la voix qui flanche, elle traverse une période noire de son existence, mais lorsque je la fais entrer, qu’elle sourit et découvre ses dents un peu écartées, Jeanne redevient une petite fille et son visage radieux me bouleverse”.
Au début des années 80, Jeanne Moreau traverse une période noire. En plein divorce avec le réalisateur américain William Friedkin, elle est prise de vertige dès qu’elle arrive sur scène et ne parvient qu’à exprimer un tout petit souffle. Le Dr Fugain lui fait donc travailler son souffle, lui fait exécuter des vocalises. L’actrice tient absolument à retrouver sa voix rauque, que le médecin qualifie de “caverneuse”. “J’échouerai plus tard à la convaincre de faire aspirer les oedèmes que trop de cigarettes ont provoqué sur ses cordes vocales (...) Je pense pour ma part que cette voix altérée par les effets du tabac (...) la protégeait comme un masque durant les dernières années de sa vie”, analyse-t-elle.
Muriel Robin
“La première fois qu’elle a poussé la porte de mon cabinet, j’ai observé avec surprise sa manière de se déplacer, ce dos raide, ces mâchoires contractées, j’ai essayé sans grand succès de la détendre (...) Muriel Robin donne son premier spectacle en solo et s’épuise, elle ne sait pas jouer sans malmener ses cordes vocales, sans abîmer sa voix, elle termine ses sketchs à bout de souffle”.
Pour l’humoriste, ce sera des exercices face au miroir. “Elle fournit, en permanence, un effort laryngé insoutenable, elle passe en force alors qu’il faudrait prendre appui sur le souffle, sur les muscles qui soutiennent naturellement le système respiratoire”, écrit le médecin.
Les politiques...
Les politiques aussi, on le droit à leur quart d’heure dans le livre. “Sans voix, pas de pouvoir”, estime le médecin qui analyse les voix des candidats du deuxième tour de la présidentielle de 2007.
“Celle de Nicolas Sarkozy possède un timbre serré, souvent cassant, qui trahit une très grande tension et une certaine agressivité. Celle de Ségolène Royal est instable, un peu immature, elle fuit dans les aigus à la moindre émotion. Pour la première fois peut-être, durant cette campagne, les commentateurs politiques s’intéressent à ces deux voix dérangeantes et si peu harmonieuses qui font l’objet d’inépuisable imitations.”
Coach vocal pour la candidate socialiste, entraînement pour Nicolas Sarkozy et lors du dernier face-à-face des élections : “Nicolas Sarkozy l’agité a désormais une voix de velours (...) comme s’il se trouvait dans un boudoir. Ségolène Royal adopte en revanche ce lyrisme trop maîtrisé qu’on lui a enseigné discours monocorde et finalement lénifiant, c’est artificiel, prodigieusement ennuyeux, l’affaire pour elle est perdue d’avance”, prédit-elle alors.
Quant à Emmanuel Macron, dont la voix “fiche le camp” le 10 décembre 2016, images largement partagées et visionnées sur les réseaux sociaux, connues pour “c’est notre projet”, “il est grotesque”, s’amuse Claude Fugain. “A l’évidence, personne ne l’a préparé à discourir aussi longuement. Il a parlé une heure et demie d’une petite voix monotone, qu’il n’a semble-t-il jamais travaillé, et au terme de ce discours fleuve, à bout de souffle, il s’est mis à crier. L’effet est catastrophique. Le roi est nu”.
Les anonymes qui ont marqué toute une carrière
Si Claude Fugain a côtoyé nombre de célébrités, on découvre dans ce livre plusieurs cas de patients “anonymes”, dont les pathologies ont marqué sa carrière. Il y a l’aphonie totale par inhibition, cas très rare, d’une patiente qui ne parvient plus à parler :
“Avec Annie, comme la plupart des aphones auxquels j’aurai à faire au cours de ma carrière, les exercices vocaux sont impossibles et risquent d’aggraver le blocage. Il faut simplement commencer par essayer de ressentir à nouveau les sensations vibratoires du son, faire des petits bruits bouche fermée (...) sans produire le moindre effort, regagner, tout doucement, une voix chuchotée que l’on va progressivement sonoriser”.
On découvre aussi un cas de dysphonie spasmodique. Dans ce cas, la dysphonie musculaire perturbe l'affrontement des cordes vocales donnant un discours “interrompu par des spasmes, des serrages, des désonorisations plus ou moins rapprochées”.
Il y a enfin les patients qui viennent pour “s’améliorer”, les journalistes radio, les chefs d’entreprises ou les avocats.
“Aurélien, l’un de mes premiers patients, est un jeune et brillant avocat pénaliste. Seulement, lorsqu’il doit défendre des clients qui ont quelquefois tué père et mère et qu’au moment des plaidoiries s’élève dans la trop vaste enceinte du tribunal sa voix suraiguë de fillette, alors peu importe son travail, sa compétence ou la force de de ses argument, Aurélien a, évidemment, perdu d’avance et s’en désespère”
La création de l’implant cochléaire
Développés dans les années 80, les premiers implants cochléaire sont proposés aux patients sourds. Le Dr Fugain participe, aux côtés du Dr Claude-Henri Chouard, à son développement. Il consiste en une méthode de stimulation de la cochlée à l’aide de multi-électrodes. “Les sons sont captés grâce à un processeur externe et transformés en signaux électriques qui sont eux-mêmes codés en impulsion, que les électrodes placées dans la cochlée transmettront directement au nerf auditif, qui lui, les conduira aux centres auditifs”, développe le Dr Fugain dans son livre. Elle s’occupera, pendant des années, de choisir les premiers candidats à l’implantation et de la prise en charge post-opératoire.
“Jamais, pour ma part, je ne me suis habituée à ce moment inouï où, face à un patient implanté, m’apprêtant à brancher les électrodes, je le préviens à précaution : ‘Attention, je vais envoyer du son.’ Jamais je ne me suis habituée à ce regard que l’homme, la femme qui se tient près de moi me lance quelques secondes plus tard quand, après des mois, des années, parfois presque une vie entière de silence, le son, enfin, lui revient”, raconte-t-elle non sans émotion.
Le Dr Fugain revient également dans ce livre sur l’opposition ferme des associations de sourds congénitaux à l’égard de ce travail. “On nous reproche de manipuler les sourds, de les utiliser comme des cobayes, de nier leur culture et de les contraindre à rejoindre de force le monde des entendants”, explique-t-elle en précisant que cette opposition l’avait beaucoup affectée au cours de sa carrière.
Si le médecin accorde une grande partie aux implants cochléaires, la méthode de traitement et à l’impact médiatique, elle se livre également de manière plus personnelle sur son enfance, les voix qui l’ont marquée au cours de sa vie, son frère - Michel Fugain - et sa leucémie. Un livre qui alterne anecdote légère et amusante donc, mais qui fait également découvrir des pathologies rares, des traitements peu connus, une relation médecin-patients forte ainsi que l’histoire de la médecine ORL et du métier de phoniatre.
Médecin des voix, Claude Fugain, aux éditions Grasset. 130 pages.
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