"La rage de Roselyne Bachelot"

24/03/2020 Par Dr Alain Trébucq
Le Dr Alain Trébucq, directeur général de Global média santé, décrypte l'actualité médicale et socio-professionnelle. Dans une tribune, il revient sur les enseignements à tirer de la pandémie liée au Covid-19, à la lumière de la gestion de la crise H1N1 portée, en 2009, par Roselyne Bachelot.
 

L’un des principaux enseignements que l’on retiendra sans doute de cette pandémie au Covid-19, c’est l’incroyable et dramatique manque de masques auquel la France aura été confrontée, qu’il s’agisse de masques chirurgicaux ou de masques FFP2, ces derniers étant principalement nécessaires à la protection des soignants. La gravité de cette pandémie, sa vitesse de propagation, la contagiosité du virus en cause, son tropisme pulmonaire, nous font la comparer à la grippe espagnole qui, sur la période 1918-1919, aura été responsable de 50 millions de morts à travers le monde, bien davantage que le premier conflit mondial. C’est loin, très loin. Mais n’oublions pas pour autant les grandes alertes épidémiques de ce début de 21e siècle, qu’il s’agisse de la grippe aviaire (2005-2006) ou de la grippe H1N1 (2009), sans parler d’Ebola, alertes qui avaient conduit les autorités d’alors à constituer un stock conséquent de masques. Un long papier publié dans le JDD sous la plume d’Anne-Laure Barret relate l’incroyable "faillite d’Etat" que représente l’évolution de ce stock stratégique.

  Menace H1N1 Souvenons-nous, en 2007, les professionnels de santé libéraux, notamment les médecins généralistes, reçoivent un kit de protection face au risque épidémique, avec masques, accompagné d’une lettre signée du ministre de la Santé d’alors, Xavier Bertrand, qui fonde l’EPRUS, l’Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, agence aujourd’hui intégrée au sein de Santé publique France. Des stocks sont constitués, qui seront considérablement renforcés par Roselyne Bachelot en 2009, lors de la menace H1N1. Si bien que quand Marisol Touraine prend les commandes du ministère de l’avenue de Ségur en 2012, le stock français de masques est plus que conséquent : 1,4 milliard de pièces, soit 600 millions de masques FFP2 et 800 millions de masques chirurgicaux ! Mais l’alerte H1N1 aura plus ou moins fait long feu et...

Roselyne Bachelot se trouve placée sous le feu des critiques pour avoir dépensé sans compter quand elle n’est pas tout simplement suspectée de connivences avec les laboratoires pharmaceutiques. Pharmacienne de profession, passée par le métier de visiteuse médicale, la ministre avait en effet commandé des millions de lots de vaccins qui, en fin de compte, n’auront pas été nécessaires. Que ces moyens ne l’aient pas été ferait-il regretter à ses accusateurs d’alors que la menace H1N1 nous ait finalement épargnés ?   Dépendance sanitaire Toujours est-il que Roselyne Bachelot sera auditionnée par une commission d’enquête parlementaire… A la lumière des événements actuels, on croit rêver ! Dans un entretien accordé à L’Obs, l’ex-ministre fait part de son ressentiment : "Ce que je ressens aujourd’hui ? De la rage. Pendant plusieurs années, on a détricoté tout ce qui avait été mis en place pour prévenir les risques, à force de restrictions budgétaires. J’ai été beaucoup attaquée pour ma gestion de la grippe A, on m’a accusée d’avoir gaspillé l’argent public, d’avoir mis en place des moyens disproportionnés."

"Détricoté" dit Roselyne Bachelot car à partir de 2012, non seulement les stocks vont s’étioler progressivement -les masques stockés se périment au bout de 5 ans- mais en plus on a laissé se créer une dépendance sanitaire vis-à-vis de la Chine, devenue quasiment l’unique fabricant de masques pour le monde entier, tout comme elle l’est pour de nombreux principes actifs, y compris des antibiotiques. Les huit dernières années auront été des années de restrictions budgétaires. Il est vrai que la crise financière puis économique de 2008 est passée par là, avec l’envolée des dettes souveraines. Mais en serrant les cordons de la bourse, on a étranglé notre système de santé et mis en danger notre sécurité sanitaire. Nous le payons aujourd’hui.

 
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