Quand les publicités sur les antibiotiques jouaient sur "l'angoisse" des médecins
Doxycycline, Clamoxyl, Fucidine, Claforan, Bactrim… Ces noms d'antibiotiques, qui vous sont désormais familiers, ont révolutionné la pratique médicale à leur arrivée sur le marché. En témoignent les publicités parues à l'époque dans la presse professionnelle. Une exposition leur est consacrée, du 20 novembre au 1er mars 2020, au Musée de l'imprimerie et de la communication graphique de Lyon. "La face cachée de la médecine" Couvrant la période 1945-2004, ces publicités proviennent des archives du Pr Antoine Andremont, spécialiste international de la résistance aux bactéries. Elles ont, pour partie, été patiemment collectées par une étudiante dans la revue La Presse médicale, dans le but d'en faire, un jour, une étude sémiologique ; le reste a été publié dans Jama. "Ce sont des images qui n'ont jamais été montrées au grand public. C'est en quelque sorte la face cachée de la médecine", commente le Pr Andremont. Mais le projet n'aboutit pas… jusqu'à ce que le médecin rencontre le Dr Claire Harpet, anthropologue à l'université Lyon 3, qui s'intéresse notamment à la relation de l'humain avec ce "vivant invisible" qui génère parfois de la peur et de l'inquiétude. Les microbes et bactéries, présentes depuis "l'aube de l'Humanité", en font partie. "Ce qui est fascinant avec les antibiotiques, c'est qu'on a cru être rentré dans une ère où les maux allaient disparaître, au temps de Panacée, décrypte la chercheuse. Alors que Flemming avait mis en garde dès le départ sur les possibilités de mutation des bactéries. Elles ont résisté à toutes les catastrophes, pourquoi n'auraient-elles pas résisté à une attaque humaine?" "Les antibiotiques étaient, et sont toujours, tellement efficaces chez les gens qui en avaient besoin et sur des bactéries qui y étaient sensibles..., souligne Antoine Andremont, qui va jusqu'à les qualifier de "médicaments miracles". La méningite tuberculose, qui tuait 100% des patients, a été guérie par quelques grammes de streptomycine. Les gens ne mouraient plus d'une infection à la suite d'une petite blessure, les femmes ne mourraient plus en couche suite à une infection. Les antibiotiques ont fait disparaître la crainte." "Un réflexe primaire chez le prescripteur" Ce "caractère prodigieux" des antibiotiques se retrouve dans les publicités diffusées des années 1940 à 1960, relève Claire Harpet. "Elles jouent sur les ombres et la lumière, que représente l'arrivée de l'antibiotique." Les visuels se font ensuite plus graphiques, reposant sur des formes géométriques, symbolisant la technique médicale. A partir des années 80, les publicités misent sur l'aspect cinématographique, mettant en scène la maladie et la souffrance, face auxquelles "il n'y a qu'un seul remède : l'antibiotique", décrypte l'anthropologue. "Beaucoup de ces publicités déclenchent un réflexe primaire chez le prescripteur, abonde le Pr Andremont. Certaines n'ont aucune légende, simplement le nom du médicament. Elles jouent sur l'angoisse du médecin. Le message : ne prenez pas de risque, prescrivez des antibiotiques. Ça a probablement concouru à l'habitude de surprescrire en France." Le médecin a été particulièrement marqué à l'époque par la publicité de la Gentalline : "Elle représente un pavillon de banlieue avec une fenêtre allumée à l'étage, devant lequel est garée la voiture du médecin que l'on reconnaît à son caducée. C'est qu'on vivait, ce que j'ai vécu lors de mes remplacements. On était seuls et on était inquiets." Prise de conscience Claire Harpet, quant à elle, est saisie par le contraste offert par la publicité de Fazol entre la beauté du corps d'une femme en bikini sur la plage et le risque de "mycoses" auquel elle est exposée. "Les infections exposaient les femmes à la douleur, à des difficultés au quotidien. Avec les antibiotiques, elles ont acquis un bien être", souligne l'anthropologue. L'exposition s'arrête en 2004, à une époque où les nouveaux antibiotiques se font rares. "Il n'y a plus que des génériques et on ne fait plus de publicité là-dessus", relève le Pr Andremont. Mais le mal est déjà fait : le mésusage a développé l'antibiorésistance. Ce dernier espère que l'exposition suscitera chez ses confrères "une prise de conscience de la puissance de ce à quoi on a été exposé". Mais il sera difficile de revenir en arrière, tant "la médecine moderne est devenue antibiodépendante" : des chimiothérapies aux césariennes, en passant par la réanimation, de nombreuses thérapeutiques nécessitent de maîtriser le risque d'infection bactérienne. Côté patients, malgré les messages d'alerte des autorités sanitaires, les antibiotiques sont toujours plébiscités "pour tout et n'importe quoi", relève Claire Harpet. Si "de tout temps les remèdes ont eu un pouvoir considérable sur les populations", cette "puissance" est traditionnellement liée à la figure du guérisseur, remarque l'anthropologue. Or, les antibiotiques semblent s'en être affranchis : "dans les pays en développement, des antibiotiques sont vendus à l'étalage", illustre-t-elle. Dans ce combat qui touche l'homme, l'animal mais aussi l'environnement, les sciences humaines et les sciences médicales ont tout intérêt à s'allier.
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