Traitements, recherches, confinement : le point sur la prise en charge de l'alcoolisme
Dans le contexte de stress lié à la crise sanitaire, la question du réveil de certaines addictions des Français et notamment celle de la dépendance à l’alcool resurgit. Quel est l’impact du confinement sur les patients souffrant d’alcoolisme ? La crise représente-t-elle de réels dangers de rechute ? Quelles sont les voies de recherche actuelles ? Le point avec le Pr Henri-Jean Aubin, addictologue à l’Hôpital Paul Brousse et Président d’honneur de la Société Française d’Alcoologie. Egora-Le Panorama du Médecin : Quel est l’impact du confinement et/ou du couvre-feu selon vous sur les patients souffrant d’alcoolisme ? Des tendances significatives ont-elles été observées lors du premier confinement ? Pr Henri-Jean Aubin : Les diverses études et enquêtes nationales qui ont été menées sur le sujet ont montré des résultats assez contrastés. Il en va de même pour mes patients. En effet, certains d’entre eux ont augmenté leur consommation durant le premier confinement quand d’autres ont fait plus attention. Il est vrai que j’ai observé beaucoup de choses que je n’avais pas anticipées et notamment une modification des comportements selon les différents profils. Par exemple, certains patients qui consultent en milieu hospitalier ont l’habitude ne pas boire avant le retour du travail. Avec la mise en place du télétravail, ces patients ont finalement eu la possibilité de boire plus tôt, au déjeuner par exemple, sans que cela ne se voit. Et on sait bien qu’il est plus facile de donner le change en télétravail qu’en présentiel. Certains ont même augmenté leur consommation de manière très importante. En revanche, pour ceux qui avaient l’habitude de consommer au bistrot, le confinement, et donc la fermeture de ces lieux, a été bénéfique puisqu’ils ont quasiment arrêté de boire pour la plupart. Enfin, pour les patients qui boivent seul, l’isolement induit par le confinement et la chape de plomb commune que représente cette période si particulière ont été l’occasion d’augmenter leur consommation en général. En revanche, le déconfinement du mois de mai a été l’occasion de rechute pour certains patients. Les sorties et les occasions d’interagir socialement de nouveau en sont la cause. Il est bien connu, aussi bien pour le tabac que pour l’alcool, que le caractère exceptionnel d’une situation peut provoquer des rechutes.
Les réunions présentielles au sein d’associations spécialisées ont dû être suspendues dans le contexte sanitaire actuel. Cela a-t-il provoqué des rechutes chez certains de vos patients abstinents ? Globalement, la question de l’adhésion à ces associations, et je pense notamment aux Alcooliques Anonymes, est souvent délicate pour les patients qui ont du mal à pousser la porte la première fois. Beaucoup n’arrivent pas à le faire. Or, pendant le premier confinement, toutes ces réunions ont été assurées en « visio ». Des patients qui ne l’auraient pas fait en temps normal ont alors franchi le cap. Le fait d’être chez soi, de ne pas être contraint d’allumer sa caméra, et d’être donc finalement moins exposés, leur ont permis d’initier cette nouvelle démarche. Par ailleurs, pendant le premier confinement, nous avons tous observé l’adoption de comportements vertueux (joggings, alimentation équilibrée) pour beaucoup d’entre nous. La notion de « se faire du bien » a été au centre de nos vies durant cette période. Cela s’est également traduit chez mes patients, et cela va dans le bon sens pour eux ! Selon la littérature médicale, l’addiction à l’alcool fait figure de parent pauvre par rapport aux autres pathologies chroniques puisque les possibilités d’intervention et de traitement ne montrent jusqu’à aujourd’hui qu’une efficacité et un niveau de preuve insatisfaisants. Quelles sont les voies de recherches en matière d’alcoologie aujourd’hui ? Nous disposons tout de même de médicaments présentant un certain niveau d’efficacité en alcoologie comme le baclofène par exemple, dont la France est le seul pays à avoir autorisé la prescription. Mais il est vrai que les traitements disponibles ne sont pas spectaculaires car la dépendance à l’alcool est une maladie biopsychosociale. Les thérapeutiques disponibles n’agissent que...
sur un des pans de cette affection. On observe actuellement que l’industrie pharmaceutique peine à se lancer dans le recherche clinique de nouveaux médicaments. En revanche on voit des percées particulièrement intéressantes avec le repositionnement de molécules déjà présentes sur le marché depuis un moment. Aux USA par exemple, beaucoup d’études montrent des résultats très intéressants avec le topiramate et la gabapentine (des anticonvulsivants) et la varénicline (un médicament anti-tabac). Le second grand espoir en terme de recherche réside dans la potentialisation des effets de certaines molécules en combinant plusieurs médicaments. Sur cette dernière voie de recherche justement, vous participez actuellement à l’aventure industrielle KT-110 de repositionnement de cyproheptadine et prazosine (étude Cocktail). De quoi agit-il ? KT-110 a débuté en novembre 2019. Il s’agit du premier projet à entrer dans un essai clinique de phase 2 basé sur une composition brevetée, associant deux médicaments démontrant un effet synergique sur la dépendance. En effet, la dépendance fait appel à de nombreuses voies neurobiologiques différentes, si bien que des mécanismes de compensation se mettent en place et limitent l’effet d’un médicament isolé. L’idée de l’étude Cocktail est donc de tester l’association de ces deux médicaments très largement prescrits en médecine de ville. En agissant sur deux systèmes différents mais complémentaires à la fois, on peut logiquement espérer des résultats qui soient plus que simplement l'addition de deux médicaments. La crise du Covid-19 nous a fait prendre du retard dans le recrutement de patients. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons faire un appel aux médecins généralistes qui pourraient avoir des patients susceptibles de rentrer dans cet essai. Cette étude est randomisée en double aveugle, à groupes parallèles, à trois bras, multicentrique, et contrôlée par placebo. L'objectif principal est de démontrer la supériorité de l'association de Periactine (cyproheptadine 8 mg / jour ou 12 mg / jour) et d'Alpress (prazosine 5 mg / jour ou 10 mg / jour) par rapport au placebo sur la réduction de la consommation totale d'alcool (TAC), chez les patients alcoolodépendants. 180 patients seront randomisés dans les deux groupes de traitement (N = 60 dans le groupe à faible dose et N = 60 dans le groupe à forte dose) et le groupe placebo (N = 60).
Critères d'éligibilité de l’étude Cocktail:
-Âge : entre 18 et 65 ans
-Tous sexes
-Patients de ville dépendants à l’alcool et qui souhaitent réduire leur consommation
-Durée de l’étude : 3 mois
-En ambulatoire
-Où adresser vos patients ? La liste des 23 centres en France est disponible sur le site de Kinnov Therapeutics ou en suivant le lien : https://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT04108104?term=KT-110&cond=Alcohol+Use+Disorder&draw=2&rank=1.
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