Au sommaire :
- Les généralistes, en première ligne face au réchauffement
- La pollution de l’air, un risque en construction
- Perturbateurs endocriniens : chez les femmes enceintes, les difficultés de la prévention
- Dans la santé, la transition écologique s’affiche enfin au grand jour
- Médicaments : le bon usage pour limiter l’impact environnemental
- L’éco-anxiété, ou le trop-plein de réalité
"Rares sont les cliniciens à penser aux expositions environnementales lorsqu’ils sont face à leurs patients"
Egora.fr : La santé environnementale vous semble-elle bien prise en compte par les médecins ?
Dre Elisabeth Gnansia : Oui et non ! A mon sens, on distingue deux grandes catégories : d’une part, des médecins très motivés, s’estimant insuffisamment informés ; d’autre part, ceux, aussi peu informés, qui considèrent que ce n’est pas leur rôle de parler de santé-environnement. Mais rares sont les cliniciens à penser aux expositions environnementales lorsqu’ils sont face à leurs patients.
Le sujet ne date pas d’hier : en 1996, Jean-François Mattei, alors député, avait publié un rapport, considéré aujourd’hui comme fondateur quant aux liens entre santé et environnement. Il y appelait à créer une « médecine de l’environnement », estimant qu’un médecin ne pouvait « plus se contenter de panser les plaies de ses patients », et qu’il devait « se pencher sur leurs conditions de vie, en un mot, sur leur environnement ».
Nombreuses sont les études qui démontrent un impact de la dégradation de l’environnement sur la santé humaine. Comment expliquer que la santé environnementale demeure si négligée ?
Le lien de causalité est parfois évident, par exemple pour la pollution de l’air avec les maladies cardiovasculaires et pulmonaires. Mais dans certaines pathologies, un rôle de l’environnement peut être soupçonné, sans être complètement démontré. Cela prend du temps, et c’est pour cela que la recherche doit se poursuivre. Ce qui ne doit pas empêcher le respect du principe de précaution : on a le droit de se protéger, même si le lien de causalité n’est pas fermement établi. Jusqu’à la création des agences sanitaires, les mises en garde concernant l’environnement émanaient souvent des ONG, ce qui, pour les médecins, n’était pas une garantie de rigueur scientifique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : plusieurs agences nationales, mises en place au cours des 30 dernières années dédiées à l’environnement, développent une expertise dédiée à l’environnement.
Ces agences, dont l’Anses**, s’adressent très peu aux médecins ! Pareil pour les plans nationaux santé environnement ; ils fixent certes des objectifs en matière de formation, mais ciblent peu les professionnels de santé.
Pour l’Anses, c’est vrai, mais c’est parce que le rôle principal des agences consiste avant tout à évaluer les risques pour l’aide à la décision politique. Ces agences ont été créées suite aux scandales de l’amiante et du sang contaminé, dans l’idée qu’il ne faut pas que les mêmes personnes évaluent les risques et les gèrent. Idem pour le plan nationale santé environnement (PNSE), surtout destiné aux services déconcentrés de l’Etat.
Cette difficulté à intégrer la santé environnementale dans la médecine ne reflète-t-elle pas le peu de place accordée à la prévention ?
C’est un sujet sur lequel la France est moins au point que d’autres pays occidentaux : elle pèche par manque de prévention. C’est vrai d’autres pays latins, alors que les pays nordiques sont meilleurs en matière de prévention. Ce qui caractérise les pays scandinaves, c’est de responsabiliser la population. Le grand défaut des pays latins, dont la France, c’est d’avoir peur de faire peur, donc de minimiser le risque.
Face à ce défaut de prise en compte de la santé environnement, la formation constitue un enjeu critique. Où en est-on en France ?
C’est seulement en 2009 qu’apparaissait une première formation des étudiants en médecine, mise en place par le Club de neurologie de l’environnement à la faculté de Strasbourg. A ma connaissance, à l’exception de Strasbourg, il n’y a à ce jour aucun enseignement obligatoire de la santé environnement dans les études de médecine. Cela va changer à la rentrée 2023, avec la mise en place d’un module médecine et santé environnementale, créé par la Conférence des doyens des facultés de médecine (voir encadré). Une formation obligatoire au cours du cursus me semble indispensable, même si beaucoup vous diront que les étudiants ont déjà un programme chargé. C’est vrai, mais il faut au moins qu’ils aient des bases dans le domaine de la santé environnementale. Car c’est cette formation initiale qui peut les inciter à aller plus loin, notamment via la formation continue.
Sous format numérique, ce module pédagogique de médecine et santé environnementale, d’une durée de six heures, comptera une vingtaine de vidéos de 15 minutes, animées par des médecins, des scientifiques, des écologues et des spécialistes du climat. Pour la Conférence des doyens des facultés de médecine, à l’initiative de ce Mooc, « cette entrée de la thématique de la santé environnementale dans tous les cursus des étudiants en médecine constitue une première pierre à l’édifice de la construction de l’approche une ’seule santé/santé globale’ et est un signal fort et encourageant pour les futurs praticiens de santé ».
*La Dre Gnansia déclare n’avoir aucun lien d’intérêts. **Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
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