AME : une étude a chiffré le refus de soin chez les médecins généralistes

15/05/2023 Par Aveline Marques
Patients
Un patient bénéficiaire de l'aide médicale d'Etat (AME) doit appeler 1.3 fois plus de médecins généralistes pour obtenir un rendez-vous médical qu'un patient lambda, démontre une étude basée sur un testing, menée par l'Institut des politiques publiques pour le compte du ministère de la Santé et du Défenseur des droits.
 

"Bonjour, je voudrais prendre rendez-vous avec le Dr X. J'ai mal au coude depuis quelques temps, ça devient gênant." Afin d'objectiver le refus de soin discriminatoire, ce même type d'appel volontairement non urgent a été passé à 1088 médecins généralistes par trois faux patients aux profils différents : un bénéficiaire de la complémentaire santé solidaire (CSS), un bénéficiaire de l'AME et un patient dit "de référence", non bénéficiaire d'aides. De même, des demandes de rendez-vous apparemment non urgentes ont été adressées par téléphone à plus de 1000 ophtalmologues et à un peu moins de 1000 pédiatres, dans le cadre d'une opération de testing réalisée de mars à fin septembre 2022 par l'Institut des politiques publiques à la demande de la Drees, pour le compte du ministère de la Santé et du Défenseur des droits. Publiée le 12 mai dernier, l'étude révèle que les patients AME ont entre 14% et 36% de chances en moins d'obtenir un rendez-vous chez le généraliste qu'un patient lambda, entre 19 et 37% chez l'ophtalmologue et entre 5 et 27% chez le pédiatre. En revanche, l'étude ne détecte pas statistiquement de discrimination à l'encontre des bénéficiaires de la CSS. De même, contrairement à l'étude de 2019 qui avait ciblé les psychiatres, dentistes et gynécologues, il n’y a pas d’écart significatif entre les médecins de secteur 1 et ceux de secteur 2 dans l’ampleur des discriminations mesurées.

Dans une minorité de cas, le refus des patients AME est explicite : ainsi, 4 % des tentatives de rendez-vous des patients bénéficiant de l’AME auprès d’un généraliste se soldent par un refus discriminatoire explicite, 9 % des appels auprès d’ophtalmologues, et 7 % des appels pour prendre rendez-vous chez le pédiatre. Une pratique pourtant illégale, passible de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Mais la discrimination est souvent implicite, les médecins annonçant pratiquer des dépassements d'honoraires ou ne pas faire le tiers payant. Voire insidieuse : face à des patients AME, les médecins renvoient plus volontiers vers Doctolib, par exemple.

De même, l'étude démontre que le délai médian d'obtention d'un rendez-vous, pour le même motif non urgent (baisse d'acuité visuelle depuis 12 à 24 mois), est plus long de 6 jours pour le patient AME par rapport au patient lambda et de 9 jours par rapport au bénéficiaire de la CSS. Chez les généralistes en revanche, les délais d’attente des patients pour douleurs ostéo-musculaires sans signe de gravit, sont relativement courts et ne diffèrent pas selon le statut des patients : la moitié des rendez-vous est obtenue dans un délai inférieur à trois jours pour les bénéficiaires de l’AME, contre quatre jours pour les autres statuts. Chez les pédiatres, le délai d'obtention d'un rendez-vous (pour problème orthopédique, de sommeil ou retard de croissance, selon l'âge) est sensiblement plus court pour les patients AME : 50 % des rendez-vous sont donnés dans un délai inférieur à 13 jours alors que la médiane s’élève à 17 et 16 jours respectivement pour les patients bénéficiaires de la CSS et de référence. Le testing a également souligné que les patients AME devaient donner davantage de précisions par téléphone que les patients lambda, et que le ton employé était souvent beaucoup moins agréable. Appelés à réagir sur les résultats de l'étude, les Drs Frank Devulder et Agnès Giannotti, présidents de la CSMF et de MG France, évoquent la "complexité" et la "lourdeur administrative" du traitement des dossiers des patients AME, particulièrement chronophage pour les médecins. Ces patients étant dépourvus de carte Vitale, "on est obligé de faire des télétransmissions dégradées. Tout le monde y perd", pointe Franck Devulder, qui s'étonne malgré tout que des praticiens fassent une "sélection a priori" des patients car "lors de la prise de rendez-vous, on ne demande pas la situation de l'assuré social". La présidente de MG France souligne que seule une minorité de praticiens sont en cause : 40% des généralistes ont refusé un rendez-vous aux trois types de patients et 20% en ont donné un à chacun d'entre eux. "Mais il est important de faire ressortir ce problème pour pouvoir le régler." Au-delà de la discrimination dont peuvent être victimes les patients bénéficiaires d'aides, cette étude montre l'ampleur des difficultés d'accès aux soins : moins d'un appel sur deux conduit à une proposition de rendez-vous...

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