Moi médecin, j'arrête mes patients quand ils souffrent au travail

25/05/2017 Par Dr Milie
Billet de blog

Il y a le jeune patient manutentionnaire et accidenté, il y a Mme D. en burn out, une aide-soignante agressée aux urgences et cet homme sans papiers qui enchaîne les petits boulots au noir... Le travail est omniprésent dans les consultations du Dr Milie, généraliste et bloggueuse. Dans ce billet, elle dresse le tableau d'une journée de consultations de fin de mois, quand les arrêts de travail arrivent à leur terme. 

  N.B. : ce billet a initialement été publié le 1er mai sur le blog www.docteurmilie.fr   "Je vais faire comme si je n’avais pas remarqué que mon dernier article date d’il y a un an, que ce blog est moribond et n’a plus trop de raisons d’être,et je vais donc faire comme si de rien n’était (juste un petite pensée reconnaissante pour Jérôme,le seul à qui j’ai l’air de manquer )

Aujourd’hui, c’est à nouveau la fête des travailleurs. Le travail notamment la santé au travail est toujours un sujet qui me tient beaucoup à coeur. Il y a 3 ans j’écrivais  ça et ça (la paperasse pour les nuls). Quand je regarde en arrière , il y a énormément de choses qui ont changées dans ma pratique. En revanche, sur ce sujet j’ai peu évolué, j’ai juste enrichi mon expérience. J’ai toujours les mêmes constats:  Le travail est omniprésent dans nos consultations de médecine générale. C’est toujours un domaine pour lequel nous manquons de ressources (du fait du manque de formations d’une part, et du fait du manque de solutions magiques d’autres part). Il y a 2 jours, à nouveau beaucoup de consultations liées au travail (en même temps, le dernier jour du mois, je vois tous les patients que j’ai tous – c’est un peu bête -arrêtés jusqu’à la fin du mois ….) J’ai vu Mme D. qui est en burn-out. J’insiste sur le fait qu’il est trop tôt pour reprendre. La première fois que je l’ai vu et arrêté il y a plusieurs mois, je l’avais vu transformée en 15 jours. Elle était venu adressée par sa soeur car son médecin refusait de l’arrêter. Il lui avait fait un arrêt de 3 jours en lui disant d’un ton ferme « mais après il faudra reprendre » .Elle s’était reposée, avait réfléchi aux problématiques de son travail et constaté qu’il lui fallait faire des changements. Elle avait fait les démarches pour faire un bilan de compétence et entamer une procédure de VAE:valorisation des acquis de l’expérience. J’avais été très impressionnée de constater un tel bénéfice de l’arrêt de travail. Pour moi, l’arrêt est vraiment thérapeutique dans des situations de burn-out et pour les patients c’est une démarche tellement difficile qu’il faut je pense leur proposer sans réserve, voire insister. Puis Mme D. a repris son travail avec son rythme effréné et à nouveau s’est retrouvée épuisée. Mais cette fois ci je constate qu’après un mois d’arrêt,elle ne va guère mieux et je pense déceler un syndrôme dépressif sous jacent. Je reconduis l’arrêt, lui conseille de reprendre RDV avec le médecin du travail, lui propose de voir un psychologue et l’encourage à reprendre ses démarches en vue d’un changement de travail, et surtout de prendre du temps pour elle et de se détendre. Mme G. après un long arrêt suite à une fracture de hanche en courant après le bus n’est toujours pas apte à reprendre le travail. Cela dit cette patiente de 55 ans, qui aimait son travail de médiatrice dans une association et faisait énormément d’heures a dû mal à se projeter dans une reprise. La consultation tourne surtout autour de l’actualité, elle répond d’ailleurs « comme la conjoncture actuelle » quand je lui demande comment elle va. Je reconduis son arrêt d’un mois, comme beaucoup de patients…le 30 mai sera encore une journée bien chargée. Mr M. un jeune patient ne peut plus faire son travail de manutentionnaire suite à une rupture de ligament du poignet lors d’un accident de travail . Après des mois d’arrêt, les choses bougent un peu finalement. Après longue discussion, je l’ai adressé en visite de pré-reprise à son médecin du travail pour envisager un licenciement pour inaptitude. Ce n’est pas une décision prise à la légère par le médecin du travail et par le patient mais il est jeune et a d’autres projets professionnels, cela va lui permettre d’avancer. Mme V. est fonctionnaire . A 45 ans elle m’a révélé l’année dernière des violences très graves dans sa jeunesse. Depuis elle se reconstruit en luttant de mille façon et est extrêmement courageuse. Des lombalgies et une anxiété réactionnelle ne lui permettent plus de faire son travail de cantinière pour le moment, toute son énergie je pense étant absorbée par sa reconstruction. Après un refus de congé longue maladie pour lombalgies, un congé longue maladie pour dépression vient d’être refusé. Je lui dis de ne pas prendre personnellement cette décision administrative. Mais c’est une difficulté en plus à affronter alors qu’un soutien de son travail l’aurait beaucoup aidé. Arrêt pathologique pour une patiente en fin de grossesse qui a été jusqu’au bout mais commence à fatiguer. La grossesse n’est pas une maladie oui je sais . Tout va bien par ailleurs. Discussion joyeuse. Discussion plus compliquée pour une patiente qui vient à la fin de son congé maternité pour son arrêt de « suites de couches pathologiques de 1 mois  » …Qui n’existe pas. Après m’être légèrement braquée devant cette patiente qui comptait sur cet arrêt et qui n’a pas de mode de garde, je me sens égoïstement soulagée de trouver en creusant un peu des vrais motifs d’arrêt de travail me permettant de faire un arrêt de travail justifé. Mme M. est une patiente avec un fort caractère. Son côté joyeux et dynamique cache je pense toutes les souffrances que la vie lui a fait enduré. Aide soignante aux urgences, une énième agression a mis son épaule et son moral à l’épreuve. Le manque de soutien de sa hiérarchie et de ses collègues surtout l’ont mis KO. C’est souvent ça qui fait le plus de mal à ceux qui s’investissent à fond dans leur travail:le constat de l’absence de reconnaissance et de soutien des employeurs et des collègues dès que l’on est plus opérationnel.Le suivi psychologique lui a fait du bien mais dès que ça va mieux, elle reprend toutes ses habitudes, récupère ses mécanismes de défense et donc sa bonne humeur. Mme K. a une arthrose très évoluée des genoux. Elle ne parvient plus à assurer son emploi de femme de ménage. Le médecin conseil de la sécu a jugé qu’elle pouvait reprendre le travail . Mme K. qui marche avec une canne pense que non. Moi je pense que si Mme K. qui a 50 ans, a élevé 8 enfants ,que je connais mal mais qui me semble être une femme courageuse, juge que en dépit de sa situation financière très précaire elle ne peut pas reprendre le travail,c’est qu’elle ne peut pas. Je fais donc une lettre au médecin du travail qui va la voir en visite de reprise en lui exposant la situation. Celui -ci juge Mme K. inapte à son poste et en l’absence de reclassement possible,Mme K va donc être licenciée pour inaptitude. Je suggère donc à Mme K. de demander à revoir le médecin conseil et fais une lettre à celui-ci pour demander d’envisager une mise en invalidité. Parallèlement, je demande à Mme K. d’aller chercher un dossier MDPH pour faire une demande de RQTH qui lui permettra peut-être d’accéder à des formations (il aurait fallu cependant remplir ce dossier il y a un an vu les délais de traitement). Je vois Mr C. qui n’est pas mon patient mais qui avait vu mon interne pour un accident de travail avec rupture tendineuse de l’épaule et était en souffrance psychologique au travail. Il tenait à faire une déclaration de maladie professionnelle. Ses deux épaules sont abîmées. Je lui avais expliqué les avantages et inconvénients. Il me semblait que ce n’était pas bénéfique dans son cas. Je le revois pour reprise du travail. La déclaration de maladie professionnelle a été faite. Il en est content. La reconnaissance psychologique est très importante pour le patient. Et il faut en tenir compte. Par rapport à mon billet d’il y a 3 ans, je constate que justement j’ai revu Mme P. qui était en grande souffrance au travail (dans une grande surface ).Une grossesse et un congé parental lui ont permis de réfléchir. Elle en train de faire grâce au FONGECIF une formation de secrétaire médicale et est ravie. Et je me dis que tien,cela n’est pas bon signe, cela fait quelques semaines que je n’ai pas revu Mr B. qui reste toujours un patient qui m’est cher et qui a un problème d’addiction au travail. On essaie de travailler là dessus et sur plein d’autres choses mais le travail est long, et je ne pense pas que je sois capable de l’aider assez à moi toute seule, mais bon comme c’est moi qu’il vient voir…Une victoire, il n’a été travaillé qu’une seule journée lors du dernier arrêt de travail que je lui ai fait accepter . Et Mr C. n’a toujours pas ses papiers et la vie est toujours aussi difficile pour lui.Il fait toujours des petits boulots au noir de temps en temps pour lesquels il est exploité. Mme O. prend toujours le RER de 4h30 tous les matins … Je constate donc que les problèmes sont toujours les mêmes et ne vont pas en s’arrangeant. Ce que je constate, c’est qu’une prise en charge médicale adaptée, cela change tout pour les patients. La première chose importante, c’est de consulter!!! Quand ça ne va pas et pourtant peu de patients y pensent. Pour une rhino, ça oui ils y pensent. Et du coup il leur semble légitime de demander un arrêt de travail puisqu’ils ont un problème médical. Et que ça tombe bien puisque par ailleurs,ils n’en peuvent plus. Mais du coup ça donne des médecins (eux mêmes souvent épuisés voire burn-outés) qui ne comprennent pas cette demande. Le risque étant pour le médecin d’augmenter son risque de burn-out et pour le patient de se dire que la prochaine fois, même pour une rhino il ne consultera pas (chouette) mais du coup encore moins pour une souffrance au travail qu’il a lui même parfois du mal à identifier . Du coup, il faudrait un slogan du style « les antibiotiques c’est pas automatique, mais si vous êtes au fond du trou, votre médecin généraliste est là pour vous » (bon OK jsuis nulle en slogan) Ensuite, il faut l’avouer, il faut que la consultation soit bénéfique , avec un médecin bienveillant et compétent. Et la compétence il faut avouer que l’on ne nous l’apprend pas trop. Je voulais donc vous faire partager (c’était le but initial de ce billet mais je me suis laissée emporter à bavarder) -ce blog en BD et sa série « Le lundi c’est ravioli » sur ce sujet des consultations liées au travail en MG . -Et également ce site fantastique et très riche en infos à l’intention des médecins généralistes fait par une interne en médecine du travail Patient travailleur. De nombreuses informations pratiques, des algorithmes décisionnels etc Avec une rubrique sur une question qu on se pose souvent :Faut-il déclarer une Maladie Professionnelle? Voilà, à une semaine des élections, alors qu’on parle si peu d’eux finalement, j’avais envie de penser un peu aux travailleurs… Et bien sûr, je sais qu’aujourd’hui c’est une journée qui va bien au delà que la fête du travail. Je n’ai pas précisé que Mme D. est originaire d’Haiti, Mme M. de la Guadeloupe, Mme O. des Commores, Mr M. D’Algérie , Mme V du Maroc, Mme K. du Cameroun, Mr B. de Tunisie etc parce que pour moi, ce sont seulement Mme M. ou Mr B. ,ce sont mes patients, des travailleurs. Certains sont français, d’autres non, cela n’a aucune importance en ce qui me concerne. Leur diversité m’enrichit, m’apporte énormément, elle rend mon travail plus beau, et elle fait de moi, je pense, une plus belle personne."  

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