Sexisme à l’hôpital : l’enquête qui fait mal
Harcèlement sexuel, épuisement chronique, renoncements… Les femmes à l'Hôpital sont toujours plus nombreuses que les hommes à devoir faire face à ces difficultés récurrentes. C'est ce que montre une enquête, initiée par Action praticiens hôpital et Jeunes médecins, à laquelle plus de 3 000 médecins et pharmaciens hospitaliers ont répondu.
« Il y a une féminisation des professions médicales à l'hôpital, qui est de plus en plus importante. Et ce même dans des professions qui initialement étaient très masculines. On commence ainsi à voir arriver des internes chirurgiennes, des chefs de clinique chirurgiennes… Il fallait faire le point », explique le Dr Nicole Smolski, présidente d'honneur d'Action praticien Hôpital. Avec l’aide de la sociologue spécialisée sur la féminisation des professions médicales, Anne-Chantal Hardy-Dubernet, elle a élaboré cette enquête « avant les affaires Weinstein et #MeToo », précise l’anesthésiste. « J'ai été surprise des niveaux de discrimination ressentie par les femmes à l’hôpital, confie le Dr Smolski. L'hôpital est un service public, il n'y a pas d'inégalités salariales. Je ne pensais pas qu'il y avait autant de vécu négatif de la part des femmes. » Pourtant, les discriminations liées au sexe, le harcèlement, les humiliations morales concernent encore de nombreuses femmes en milieu hospitalier. Ainsi 15% des répondantes indiquent avoir déjà été victimes de harcèlement sexuel, et 18% en ont déjà été témoin. "Le profil type du harceleur est un homme, médecin, en relation de pouvoir", notent les auteurs de l'enquête.
« Il ne faut pas se focaliser sur le pourcentage de femmes qui indiquent avoir été victimes de harcèlement. Dans la mesure où on ne peut pas comparer avec d’autres professions, ça n'a pas vraiment de valeur statistique, assure le Dr Nicole Smolski. D’autre part, la définition du harcèlement est changeante. J'ai été harcelée quand j'étais externe par un chef de clinique qui me pelotait. Je l'ai remis à sa place plusieurs fois et il a refusé de valider mon stage. Je lui ai dit que j'allais me plaindre à la fac, et les choses se sont arrêtées là. A l'époque, ça ne m'a pas traumatisée, mais si c'était arrivé l'année dernière, j'aurai probablement défini ça comme du harcèlement sexuel. » Au-delà des chiffres, l’essentiel est de faire cesser ces pratiques, explique la syndicaliste. Un seul cas est toujours un cas de trop. « Il faut travailler sur l'omerta, insiste le Dr Smolski. Ce qui compte c'est de libérer la parole. Ca ne doit plus arriver, et quand ça arrive il doit y avoir des conséquences ! » En effet, face à ces comportements, les victimes restent le plus souvent isolées. Dans près de la moitié des cas, rien n'a été porté à la connaissance de la communauté hospitalière et 37% des victimes indiquent que ces abus sont "habituels" et n'ont donné lieu à aucune conséquence. Dans de très rares cas, ces actes de harcèlement ont donné lieu à une plainte au pénal (3%) et à une sanction de l'auteur (7%).
Concernant les humiliations morales, l'omerta est la même. Si 67% des répondants indiquent avoir déjà été témoin de tels actes, plus d'un tiers assurent qu'ils n'ont eu aucune conséquence, que rien n'a été porté à la connaissance de la communauté hospitalière et moins de 3% des cas ont abouti à une sanction. Par ailleurs, note l'enquête, dans 71% des cas rapportés l'agresseur est un médecin. Pour que les victimes osent dénoncer ces actes et leurs agresseurs, les médecins et pharmaciens ayant répondu à l’enquête plébiscitent la mise en place d’un Observatoire des discriminations ainsi qu’une campagne de sensibilisation aux maltraitances subies en milieu hospitalier. Autre phénomène qui touche particulièrement les femmes à l’hôpital : l’épuisement chronique. Plus de la moitié d’entre elles, et même 62% des moins de 45 ans, se disent concernées, contre 46% de leurs confrères masculins. L'enquête avance plusieurs pistes d'explications. Les femmes sont nombreuses à renoncer à prendre un arrêt de travail alors qu'elles en auraient eu besoin. Près de 60% d'entre elles disent n'avoir pas "osé s'arrêter", notamment en raison de la charge de travail et de leurs collègues. Par ailleurs, la mise à profit du repos de sécurité diffère entre les femmes et les hommes. Seules 30% des femmes utilisent ce temps pour se reposer, alors que 62% s'occupent des enfants ou réalisent des tâches ménagères sur ce temps de repos. A l'image de la population générale, la répartition des tâches domestiques et ménagères est très asymétrique dans les couples de médecins et pharmaciens hospitaliers, puisque 25% des hommes disent s'occuper des tâches ménagères ou des enfants sur leur temps de repos de sécurité.
« Il doit y avoir un accompagnement de la vie familiale et de la maternité à l’hôpital, pour les hommes comme pour les femmes. Les crèches doivent être ouvertes aux enfants de médecins. Il faut réduire le temps de travail. Si vous travaillez moins, vous sortez plus tôt le soir pour aller chercher les gamins. On doit travailler sur l'organisation du travail, qui doit peut-être être moins extensive dans le temps et plus ramassée », souligne le Dr Nicole Smolski. Les femmes médecins ou pharmaciens travaillent beaucoup (56% font plus de 50 heures hebdomadaires), tout comme leur conjoint (44 heures hebdomadaires en moyenne). En revanche, près d'un tiers des praticiens hospitaliers masculins ont une femme travaillant à temps partiel. Ces contraintes familiales sont clairement un frein à l'évolution des carrières féminines. Près d'une femme sur deux s'est déjà sentie "coupable" d'avoir privilégié sa carrière, notamment au détriment de ses enfants. Si elles avaient plus de temps, les femmes répondantes l'emploieraient à se former davantage (49%), à s'investir dans des missions transversales (31%) et même à travailler plus (25%). Elles sont plus nombreuses que leurs confrères à estimer avoir modifié leur parcours professionnel en raison de leur charge familiale.
Le renoncement à la formation continue chez les femmes médecins ou pharmaciens est un sujet de préoccupation majeur pour les auteurs de l'enquête. Une praticienne hospitalière sur deux y a déjà renoncé en raison des charges familiales qui pèsent sur ses épaules, ainsi qu’un tiers des hommes. « C'est très grave, s’alarme le Dr Smolski. Ce n'est pas normal de ne pas se former quand on a des difficultés d'organisation familiale ! Notons que ce renoncement concerne aussi les hommes. Quand on a plusieurs enfants, les hommes mettent la main à la pâte. J'ai eu un chef de service qui avait quatre enfants et qui n'en avait jamais changé un de sa vie. Bon, les temps ont changé, même si on n’a toujours pas atteint des niveaux égalitaires. » "Ces chiffres sont inquiétants car la formation continue en médecine est un fondement pour la qualité des soins prodigués, mais aussi pour l'intégration dans l'équipe et les projets professionnels", notent encore les auteurs dans leur rapport.
A ce renoncement, s’ajoutent les discriminations liées au sexe. Près de la moitié des femmes ont déjà subi des discriminations liées au sexe dans leur travail, contre 18% pour les hommes. La grossesse est un sujet particulièrement sensible. Ainsi un tiers des femmes considère que leurs grossesses ont pénalisé leur carrière, et ont déjà fait l'objet de discriminations pour cette raison. 6% des praticiennes renoncent à leur congé mat' Faut-il y voir un lien ? Un certain nombre de femmes médecins et pharmaciens renoncent encore à prendre leur congé maternité (6% des répondantes). La moitié d'entre elles évoquent des "problèmes de carrière" et 16% disent ne pas avoir "osé" le prendre. "C'était compréhensible chez les moins jeunes car de nombreux freins statutaires existaient, c'est inadmissible actuellement", commentent les auteurs du rapport. Par ailleurs, l'arrêt du travail de nuit au 3ème mois n'est toujours pas respecté pour une large majorité de femmes enceintes.
« A l’âge où l'on construit sa vie familiale, on construit sa carrière hospitalo-universitaire. L’enquête montre qu’il reste difficile de faire les deux, regrette le Dr Smolski. Soit vous renoncez aux enfants, soit vous renoncez à la carrière. J'avais une vision plus égalitaire du travail. » Pour lutter contre ces difficultés, les médecins et pharmaciennes plaident en faveur de la parité dans l’accès aux postes hospitalo-universitaires, aux chefferies de pôles ou encore aux directions d’hôpitaux. Plus de la moitié des femmes, et un tiers des hommes, y sont favorables. « Pourquoi ne pas mettre en place la parité pour les postes de PU-PH au plan national ?, propose le Dr Nicole Smolski. On ne va pas faire un Grand soir de la féminisation médicale à l'hôpital, il ne faut pas se leurrer. Mais il faut avancer. Il ne faut plus que les femmes se sentent obligées de jouer aux hommes quand elles sont au travail. »
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