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"Je vois souvent des externes s'effondrer" : ces chiffres accablants sur la santé mentale des étudiants en médecine

Après deux premières études en 2017 et 2021, l'Anemf, l'Isnar-IMG et l'Isni publient ce mardi 19 novembre leur nouvelle enquête sur la santé mentale des carabins. Anxiété, symptômes dépressifs, idées suicidaires, humiliations, violences sexistes et sexuelles… Le bien-être des futures blouses blanches ne s'est pas amélioré ces dernières années. Une situation très "préoccupante" pour les trois organisations étudiantes, qui appellent les pouvoirs publics à agir. Explications.

19/11/2024 Par Chloé Subileau
Vie étudiante Externat Internat
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"SOS", "Je n'ai jamais été aussi angoissée de ma vie que depuis que j'ai commencé médecine […] J'ai l'impression d'être petit à petit déshumanisée et de perdre mon empathie", "Je vois [régulièrement] mes co-externes s'effondrer en larme[s] au self", "Au fond de moi, j'ai le sentiment que je serais plus heureux si je change[ais] de métier"… Les étudiants en médecine sont à bout, ils "n'en peu[vent] plus". C'est ce constat alarmant qui ressort de la dernière vaste enquête sur la santé mentale des carabins, menée par l'Anemf, l'Isnar-IMG et l'Isni* et publiée ce mardi.

En 2017 et 2021 déjà, les trois organisations étudiantes ont publié deux enquêtes nationales similaires. Toutes deux dressaient un état des lieux très sombre de la santé mentale des futures blouses blanches, leur bien-être s'étant notamment dégradé lors de la crise du Covid. Largement mobilisées durant la pandémie, elles sont nombreuses à avoir négligé leur santé et leur formation.

En 2021, 52% des carabins assuraient avoir ressenti des symptômes anxieux - dans les sept derniers jours précédant leur réponse à l'enquête -, 18% des symptômes dépressifs, et 65% estimaient souffrir de burn out. Trois ans après ces résultats, les organisations étudiantes ont souhaité mettre à jour à ces chiffres. "L'objectif était de faire une [nouvelle] évaluation, puisque nous sommes désormais à distance de la crise Covid", a expliqué ce mardi Killian L'helgouarc'h, président de l'Isni, à l'occasion d'une conférence de presse. Entre le 10 juin et le 28 juillet derniers, les syndicats et associations ont ainsi recueilli plus de 9500 réponses ; 8307 ont finalement été retenues pour cette enquête.

 

Anxiolytiques, antidépresseurs, somnifères…

Il en ressort une persistance des souffrances auxquelles font face les étudiants en médecine, tant sur les bancs des facultés que dans les couloirs des hôpitaux. "Le constat est sans appel : la santé mentale des étudiant(e)s en médecine et des internes continue d’être préoccupante", écrivent l'Anemf, l'Isnar-IMG et l'Isni, dans leur enquête. Pour cause : 52% des carabins interrogés dans cette enquête ont montré des symptômes anxieux – un chiffre similaire à 2021 – sur les sept derniers jours précédant leur réponse au questionnaire et 16% de symptômes dépressifs (-2%) ; 27% ont fait face à des épisodes dépressifs caractérisés au cours de la dernière année (+2%)**. De plus, 66% des externes et des internes sont dans une situation de burn out (+1%).

Ces chiffres sont assez proches de ceux observés il y a trois ans. Un constat inquiétant pour les trois organisations étudiantes. "Cela montre qu'il y a une stagnation" de la santé mentale des étudiants, a développé Killian L'helgouarc'h. "On pouvait s'attendre à une amélioration [après la pandémie de Covid, NDLR], mais finalement on est sur un statu quo." "Ce qui montre, a poursuivi Lucas Poittevin, à la tête de l'Anemf, que les dispositifs et solutions envisagés [depuis 2021] n'ont soit pas totalement fonctionné, soit il y a d'autres facteurs comme les réformes, les conditions d'études difficiles… qui contribuent à ce que l'on n'arrive pas à améliorer ces chiffres."

L'étude révèle, par ailleurs, que 19% des étudiants en médecine interrogés ont recours – actuellement ou par le passé - à des anxiolytiques, 13% à des antidépresseurs et 7% à des somnifères. De plus, il apparaît que 16% des répondants ont une consommation risquée d'alcool. Tandis que 24% ont des symptômes de troubles du comportement alimentaire (TCA).

L'ensemble de ces chiffres ne sont pas sans conséquences sur la motivation des étudiants en médecine. Alors que les difficultés d'accès aux soins et le manque de praticiens se renforcent partout en France, 50% des apprentis médecins affirment avoir pensé au moins une fois par mois à arrêter leurs études au cours de la dernière année ; 10% y songent même quotidiennement. Ces chiffres sont "gravissimes", a souligné Bastien Bailleul, président de l'Isnar-IMG, également présent ce mardi.

Source : Enquête "santé mentale", 2024.

 

Des idées suicidaires accentuées

Pire encore, 21% des carabins interrogés indiquent avoir eu des idées suicidaires au cours des 12 derniers mois, contre 19% en 2021. Ces chiffres sont particulièrement inquiétants, alors qu'entre 10 et 20 internes se suicident chaque année en France. Et que, selon la Fondation Jean Jaurès, un interne à trois plus de risques de mettre fin à ses jours qu'un Français du même âge de la population générale.

Mais comment expliquer ces chiffres ? Pour les organisations étudiantes, les raisons sont multifactorielles ; les étudiants en médecine étant particulièrement soumis aux facteurs de risques psychosociaux.

L'étude cite d'abord l'intensité et le temps de travail auxquels font face les carabins, en particulier les internes. Ces derniers travaillent en moyenne 59 heures par semaine lorsqu'ils sont en stage, 10% dépassent même les 80 heures hebdomadaires ; très loin donc de la limite légale de 48 heures. D'autres facteurs de risque sont également avancés, comme l'exigence émotionnelle "liée à la dimension humaine des professions de santé" ou le manque d'autonomie auquel font face les carabins.

Les conflits de valeur peuvent également jouer sur la santé mentale des étudiants, selon les auteurs de l'enquête. Ces conflits sont "générés par l’inadéquation entre une exigence de qualité des soins et les moyens humains, matériels et financiers insuffisants mis à disposition", peut-on lire.

Un autre facteur de risque porte sur l'insécurité de la situation de travail des médecins en formation. Cette instabilité plane dès la première année de leurs études, "avec une sélection drastique", qui se poursuit au cours du deuxième cycle des études, marqué par le concours de l'internat (EDN, Ecos…).  De plus, les réformes – nombreuses ces dernières années avec la R1C, la R2C, la refonte de l'internat de médecine générale… - "imposées dans la précipitation aux étudiants", et remaniées au fil des mois, "renforcent ce sentiment d'insécurité", jugent l'Anemf, l'Isnar-IMG et l'Isni.

 

"Chez 100 personnes prononçant le serment d'Hippocrate, 1 a été violée"

L'ambiance au travail, et en particulier la dégradation des rapports sociaux à laquelle sont confrontés les étudiants, est également citée dans l'étude. En effet, 14% des répondants affirment avoir subi des humiliations répétées au cours de leurs études – contre 23% en 2021. Si ces comportements semblent en baisse, leurs conséquences restent importantes.

Dans le cadre de cette enquête, les trois organisations étudiantes se sont aussi intéressées aux violences sexistes et sexuelles (VSS) subies par les futures blouses blanches durant leur formation. Les résultats sont, là encore, accablants : 26% des internes, 19% des externes et 8% des étudiants "pré-clinique"*** interrogés ont déjà été victimes de propos ou attitudes à caractère sexuel les mettant mal à l'aise. Au total, 92 cas de viol, tentatives de viol et attouchements sexuels, ainsi que 423 autres agressions sexuelles, ont été rapportés dans cette enquête. "Chez 100 personnes prononçant le serment d'Hippocrate, 1 a été violée", soulignent ainsi les auteurs de l'étude.

Source : Enquête "santé mentale", 2024.

Les faits rapportés ont, dans la grande majorité des cas, eu lieu à l'hôpital (63%) et ont pour moitié été imposés par un médecin thésé (49%). Face à ces chiffres, "nous nous inquiétons pour les étudiants, mais aussi pour [tous] les soignants et les soignantes", a glissé Bastien Bailleul de l'Isni, lors de la conférence de presse.

Alors que la santé mentale des étudiants apparaît encore très dégradée et que de tels faits perdurent, il y a "urgence à agir pour protéger nos soignant(e)s en formation, pour la santé des patient(e)s de demain", insistent dans leur enquête l'Anemf, l'Isnar-IMG et l'Isni, dénonçant la léthargie de l'Etat sur ces sujets. En 2019, un rapport de la Dre Donata Marra, qui avait été missionnée par les ministères de la Santé et de l'Enseignement supérieur, alertait déjà sur la santé mentale des étudiants en santé. Concernant les VSS, l'ancien ministre Frédéric Valletoux avait engagé au printemps 2024 des discussions et annoncé de premières mesures de lutte contre ces violences ; un projet à l'arrêt depuis son départ du Gouvernement.

 

Trois séries de propositions

Face à cet immobilisme, les trois organisations avancent donc plusieurs propositions. Les premières concernent le cursus universitaire, où l'Anemf, l'Isnar-IMG et l'Isni souhaitent que les structures représentatives soient davantage sollicitées pour construire les réformes. Elles appellent aussi à "poursuivre la démarche actuelle de valorisation des activités extra-universitaires tout au long du cursus médical, en favorisant notamment l'accès à l'activité physique", et à mettre en place une formation standardisée des étudiants et enseignants en santé mentale sur la prévention des risques psychosociaux. Enfin, les organisations demandent une meilleure sensibilisation à la lutte contre les VSS.

Concernant les stages, ces dernières insistent notamment sur la nécessité que soit respectée la réglementation sur le temps de travail des internes. Elle appellent également à la mise en œuvre effectivement des aménagements pour les étudiants en situation de handicap ou en cas de grossesse.

La dernière série de propositions portent, elle, sur la formation des internes. L'Anemf, l'Isnar-IMG et l'Isni exigent ainsi une stricte application de la réglementation prévoyant deux demi-journées hebdomadaires de travail universitaire et personnel. De plus, les organisations proposent d'inclure des apprentissages axés sur la santé mentale et la prévention des VSS dans le parcours de formation des maîtres de stages universitaires et des praticiens hospitaliers. Enfin, elles appellent à "favoriser le développement de terrains de stages ambulatoires également pour les spécialités hors médecine générale", et à "développer dans l’ensemble des spécialités les échanges entre pairs formalisés, sur le modèle de l’internat de médecine générale".

Ces solutions sont nécessaires, a insisté Lucas Poittevin, car "on ne peut pas [uniquement] imputer" la dégradation de la santé mentale des étudiants en médecine à la période Covid : "Ce sont des problèmes persistants." Une position confirmée par Killian L'helgouarc'h : "Améliorer la santé des internes et des externes, et de l'ensemble des futurs professionnels de santé, c'est aussi et avant tout penser à la prise en charge des patients et à la qualité des soins qui y sont associées."

*Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG), Intersyndicale nationale des internes (Isni).

**Pour les symptômes anxieux et dépressifs, les auteurs ont utilisé le questionnaire HAD (Hospital anxiety and depression scale) qui se base sur les sept derniers jours. Pour les épisodes dépressifs caractérisés, l'échelle utilisée est la CIDI-SF (Composite International Diagnostic Interview - Short Form), qui se base sur les 12 derniers mois, expliquent les auteurs de l'étude.

***Etudiants en premier cycle des études (2ème et 3ème année de médecine).

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Frederic Limier

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Oui

Il est grand temps de réaliser qu’un pharmacien n’a aucune compétence pour soigner, n’ayant, pendant ses études, jamais vu un mala... Lire plus

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Débatteur Passionné
Anesthésie-réanimation
il y a 20 jours
Il est assez probable que les étudiants en médecine aient beaucoup d’éléments communs avec les autres étudiants. D’abord la « démocratisation » des études qu’on peut louer bien qu’imparfaite. Celle ci a amené 80% d’une classe d’âge au bac mais n’a pas pour autant augmenté de façon significative les débouchés. De ce fait la « sélection » post bac est rude et parcours sup est loin d’avoir solutionné le problème. En revanche, l’afflux a augmenté aussi la concurrence pour les logements et leur enchérissement diminuant d’autant les ressources pour les autres besoins de base comme l’alimentation et les loisirs nécessitant de « compenser » par des petits boulots chronophages. En ce qui concerne d’avantage la médecine, peut être faut il redire que ce n’est pas la filière la plus simple. Le numerus clausus ou apertus n’a guère changé la donne. Il reste très sélectif. Indépendamment de la Covid 19 la charge de travail reste importante, le contact avec la « vraie vie » (c’est à dire la maladie et la mort) peut être une découverte stressante. et les conditions d’y faire face pas toujours parfaitement accompagnées. Dans certaines spécialités ce stress s’apparente au Stress Post Traumatique et fait rarement l’objet d’une approche psychologique institutionnelle. La compétition de ceux qui projettent un avenir hospitalier voire universitaire est encore extrêmement rude et pour ceux qui envisagent une activité de généraliste libérale, les contraintes annoncées ne sont pas non plus un « long fleuve tranquille ». La pandémie a été un révélateur de ces difficultés et sa fin n’a pas été la fin des problèmes. Maintenant pour les « vieux » dont je fais partie et qui repensent à leur parcours, l’enthousiasme, la vocation la motivation, tout ça…. Eh bien... Les temps ont changé, bien sûr, la société a évolué mais pas que. À mon époque il y avait des projets, des perspectives. On était encore pionniers dans les créations de services (réanimation, urgences, SMUR) Il y avait à révolutionner la cardiologie, la neurologie, la psychiatrie, l’imagerie, l’obstétrique, Il y avait aussi à « humaniser les hôpitaux »… Et j’en passe. Sans noircir à plaisir la situation je dirais que maintenant on peine à se projeter dans l’avenir on cherche à retenir les moyens et à retrouver si ce n’est une respectabilité du moins une attention des pouvoirs publics, si ce ne sont des conditions de travail « enthousiasmantes » du moins un sens aux tâches à accomplir et un soulagement au travail bien fait. Je connais bien des lycéens voire des collégiens qui rêvent de devenir médecin. Je ne veux en aucun cas les dissuader mais les inciter à la prudence, la détermination sans oublier l’indispensable empathie mais aussi de travailler la cuirasse vis à vis de l’environnement, la hiérarchie, (y compris des confrères quand ils sont « elles »), l’A-dministration, les tutelles. Le monde change mais il reste souvent des zones hostiles.
Photo de profil de Bertrand Le Moigne
182 points
Débatteur Renommé
Médecine générale
il y a 21 jours
interne, c'est une vie de chien ! mais il faut s'accrocher parce qu' ensuite on travaille comme l'on veut. 35 ou 80 heures, chacun fait ce qui lui plait. bien évidemment les revenus ne sont pas les mêmes mais tout est possible.
 
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