"Tout le projet d'Emmanuel Macron existe depuis des années" : Médecins pour demain ne s'avoue pas vaincu
Egora : Quel est le bilan de ces deux semaines de grève ?
Dre Christelle Audigier : Les médecins se sont très bien mobilisés. La grève a été très bien suivie malgré le fait qu'elle se soit inscrite dans la longueur, pour une profession qui normalement ne se mobilise pas, ou alors de façon très silencieuse.
La première semaine, nous étions aux alentours de 70/80% de grévistes dans les régions les plus mobilisées. La semaine suivante, nous étions plus aux alentours de 50%. Beaucoup de médecins avaient une activité partielle, pour assurer leurs suivis ou les urgences. Chaque libéral faisait comme il voulait. D'autres médecins ont commencé la grève la semaine dernière.
Nous sommes un mouvement informel, nous n'avons pas de chiffres exacts. Nous savons que nous représentons environ 20% de la profession libérale puisqu'il y a un peu plus de 80.000 médecins libéraux et nous sommes 16.000 et 20.000 sur les groupes WhatsApp. Ça fait 1 médecin sur 5. Nous sommes quand même représentatifs.
Les chiffres de la Sécurité sociale parlent en nombre d'actes et pas en termes de cabinet ou de médecin qui travaille. Si un médecin s'arrête mais que son associé compense son activité en travaillant deux fois plus, il va compenser les actes du médecin gréviste.
Pendant cette période, les médecins ont fait des consultations d'urgence de pathologies infectieuses et donc ont effectué beaucoup d'actes, en travaillant plus vite. Cela diminue l'impact statistique de notre grève si l'on parle en termes d'actes.
Et en ce qui concerne la manifestation, avez-vous une idée du nombre de participants ?
Nous étions entre 4.000 et 5.000 à la manifestation. La DGSI* a estimé à 2.300 le nombre de participants, mais nous avons eu des retards à cause de train qui venaient de Marseille et qui étaient bloqués. Beaucoup sont arrivés vers 14h30 et ont rattrapé le cortège. Nous sommes très contents de cette mobilisation.
Lors de ses vœux aux soignants, Emmanuel Macron a appelé à mieux rémunérer les médecins qui prennent plus de patients et qui effectuent plus de missions. Comment réagissez-vous face à cette proposition en opposition avec vos demandes ?
Nous demandons une tarification à l'acte pour que l'argent soit mis dans les cabinets médicaux pour que les médecins puissent investir et employer, et que cette rémunération soit pérenne et sécurisante pour les médecins. Nous devons pouvoir faire un prévisionnel, car nous sommes des entreprises. En faisant un paiement à la mission - ce qui correspond aux forfaits que nous avons déjà, il n'y a pas de pérennité. A l'heure actuelle, les critères changent en cours d'année et les montants peuvent changer au gré de la Sécurité sociale. C'est inadmissible. Nous voulons la disparition de ces forfaits.
Pourtant vous aviez eu l'impression d'être entendus par François Braun…
Nous avons discuté, le discours n'était pas totalement fermé mais ça ne veut rien dire. Nous l'avons revu le 5 janvier, la veille du discours du Président. On a rencontré son cabinet pendant près de deux heures. Lui est venu 10 minutes, puis il est reparti. Et derrière le Président a dit complétement l'inverse. Il a même dit qu'il était contre la rémunération à l'acte. Le choc d'attractivité qu'il voudrait créer à l'hôpital, il faut le créer en ville.
Dans son discours, le Président entre en opposition avec votre mouvement en appelant à recourir à d'autres professionnels de santé quand l'accès à un médecin traitant n'est pas possible…
Il fait référence à la loi Rist qui passera à l'Assemblée le 16 janvier et qui parle d'un accès direct aux paramédicaux en leur donnant des fonctions de médecins. Ils auraient un droit de prescription, de réévaluation de traitement et...
d'accès direct. Les compétences entre les médecins et les paramédicaux ne sont pas les mêmes. On aura donc au pire une perte de chance et au mieux une augmentation des dépenses de santé. Cela va être contreproductif. Il faut que ces professions fonctionnent avec les médecins et surtout pas en autonomie. Penser qu'on peut remplacer un médecin par une infirmière, par un pharmacien ou par un kiné, c'est aberrant. A ce moment-là, on ne rajoute pas un an d'étude en médecine générale. On va plutôt vers une réduction du cursus. Il va y avoir une perte de chance phénoménale.
Nous combattons contre cette loi qui correspond à un démantèlement de la profession de médecin généraliste et qui sera délétère pour la santé de la population et pour les dépenses de santé publique.
Avec le recul, qu'est-ce qui a péché dans votre mobilisation puisque vous n'avez pas été entendus comme vous le vouliez ? Le fait d'avoir demandé un C à 50 euros n'a-t-il pas desservi votre cause ?
Tout le projet d'Emmanuel Macron existe depuis déjà quelques années. Les assistants médicaux sont dans les tiroirs depuis déjà deux ans. La loi Rist est déjà en discussion depuis quelque temps. Il fait comme si tout était neuf et que c'était une grande réforme avec de grands effets d'annonce mais tout est vieux. Il n'a pas cherché à faire évoluer son projet en fonction des demandes de terrain. C'était plutôt un président courageux qui cherchait à faire des choses qui avancent et là, au lieu d'avancer, on retourne vers de mauvaises solutions. On prend ce qui n'a déjà pas marché pour l'hôpital et on veut l'appliquer à la ville. Soit c'est qu'on ne connait pas son sujet, soit c'est qu'on cherche à diminuer le coût de la médecine publique pour que des structures privées prennent sa place.
Le Président pourrait faire quelque chose de novateur en écoutant le terrain, mais il continue à suivre sa feuille de route et on va droit dans le mur.
Quelle est la suite de votre mouvement ?
Nous poursuivons notre mouvement car il y a encore les négociations conventionnelles en cours. On pourra peut-être se faire entendre par le directeur de la Cnam.
Nous poursuivons donc la grève de la PDSa et celle des samedis matin. Nous respectons bien entendu les réquisitions.
A partir de cette semaine, nous lançons des mesures anti-burn out pour les médecins, car nous savons qu'un sur deux souffre d'épuisement professionnel. Nous encourageons donc à limiter l'activité. Nous avons suggéré les 35 heures, quitte à vivre de subventions. Nous ne prenons plus de rendez-vous entre deux. Nous ne faisons plus d'actes gratuits ni d'ordonnances sur le coin de la table.
Ce n'est pas un essoufflement de votre mouvement ?
Non. Nous avions quand même une demande de la population. Nos patients ont besoin de nous. De fait, nous reprenons quand même notre activité.
C'était financièrement compliqué pour les médecins aussi …
Bien sûr, mais nous avons investi en nous arrêtant deux semaines. Nous ne sommes pas fermés à un mouvement conjoint avec l'hôpital. Nous sommes en discussion pour mettre en place un mouvement hospitalo-libéral. Nous en saurons plus la semaine prochaine.
Le déconventionnement est-il une option de votre mouvement ?
Pour l'instant, ce n'est pas à l'ordre du jour. Je tiens toutefois à dire que ça commence à inspirer de plus en plus de médecins du groupe, même si ce n'est pas ce que nous cherchons. En écoutant les vœux, certains médecins ont eu le sentiment d'être insultés et méprisés mais aussi lâchés. La convention nous l'avons signée pour que tous aient accès aux soins. Et quand on demande des choses pour pouvoir mieux travailler, on a une fin de non-retour. Si l'Etat n'y met pas du sien, nous allons commencer à penser à nous. Et c'est malheureux parce que les médecins n'ont pas envie de se déconventionner.
*Direction générale de la Sécurité intérieure.
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