"L'Ordre est instrumentalisé" : sanctionné pour une tribune anti-homéopathie, ce médecin généraliste témoigne
"Je ne regrette pas. Aujourd'hui, je ressens plus de l'agacement qu'autre chose. Ils ont eu leur victoire symbolique, moi j'ai eu la mienne dans le déremboursement de l'homéopathie. Tout cela est derrière moi", a commenté le Dr Vincent Ropars, médecin généraliste à Plouvien dans le Finistère. Ce praticien breton est le premier à être condamné par l'Ordre pour avoir co-signé une tribune publiée dans Le Figaro en mars 2018 intitulée "L’appel de 124 professionnels de la santé contre les 'médecines alternatives'". "Cette décision de la chambre disciplinaire nationale [est] choquante, à contre-courant de l’Histoire", a réagi le collectif FakeMed dans un communiqué.
Ce texte qui avait fait grand bruit sur la scène médiatique dénonçait l'utilisation du titre de médecin pour prodiguer des soins dont les bases scientifiques sont non avérées, dans un contexte de défiance grandissante vis-à-vis de la science et de la médecine. L'homéopathie comme les autres pratiques qualifiées de "médecines alternatives" étaient visées. "La tentation peut (…) être grande de pratiquer des soins sans aucun fondement scientifique. Cette tentation (…) est toujours, nourrie par des charlatans en tout genre qui recherchent la caution morale du titre de médecin pour faire la promotion de fausses thérapies à l’efficacité illusoire", pointait la tribune. Signé au départ par 124 médecins et professionnels de santé, le texte avait finalement été adoubé par 2 611 autres personnes, dont 887 médecins.
Agnès Buzyn, ministre de la Santé de l'époque avait alors saisi la Haute Autorité de santé (HAS) pour recueillir l'avis de la commission de la transparence "quant au bien-fondé des conditions de prise en charge et du remboursement des médicaments homéopathiques". L'avis de la HAS avait alors statué contre le remboursement à 30 % des 1 163 spécialités homéopathiques évaluées.
Pour autant, les médecins signataires de la tribune avait été attaqués pour non confraternité devant la justice ordinale par la Fédération syndicale L’Union collégiale, le Syndicat de la médecine homéopathique (SMH), le Syndicat des médecins indépendants libéraux européens (SMILE), le Syndicat des mésothérapeutes français (SMF), l’Association pour l’utilisation rationnelle des médecines alternatives (AURMA), le Syndicat national des médecins homéopathes français (SNMHF), ainsi que par les Drs Le Doare, Fyot, Petit et Sabbah.
Des propos trop virulents
Le Dr Vincent Ropars, quatrième signataire de la tribune, est donc le premier à être définitivement condamné en appel. Il ne compte pas se pourvoir en cassation devant le Conseil d'Etat. Dans sa décision, la chambre disciplinaire a admis que "la tribune litigieuse s’inscrit dans un débat ancien et récurrent sur l’efficacité des pratiques de soins non conventionnelles". L'Ordre a également rappelé que "le contenu de la tribune litigieuse s’inscrit dans ce débat et exprime, par le biais d’une action d’information du public, le point de vue des opposants aux pratiques non conventionnelles. Les arguments factuels étayant cette tribune et l’opinion exprimée participent ainsi du débat sur un sujet d’intérêt général et s’inscrivent dans le cadre de l’exercice de la liberté d’expression".
Pour autant, la chambre disciplinaire a estimé que "certains propos figurant dans cette tribune excèdent, par leur ton, la pondération attendue de médecins lorsqu’ils s’expriment publiquement sur un sujet, même polémique", citant notamment le terme "charlatan". "De tels propos ne se bornent pas à mettre en avant l’inefficacité de ces pratiques mais mettent en cause de façon globale et indifférenciée, dans des termes qui ne peuvent être perçus par les intéressés que comme offensants, l’éthique de l’ensemble des médecins qui les mettent en œuvre et les accusent d’avoir une attitude dangereuse pour leurs patients", a tranché l'Ordre dans sa décision, rendue publique le 19 décembre 2023.
"Il faudrait revoir les procédures disciplinaires au sein du conseil de l'Ordre. J'ai été très bien soutenu au niveau départemental où le président avait souligné l'importance de la liberté d'expression et ma qualité de lanceur d'alerte. Mais au niveau national, l'avantage est toujours au plaignant, et c'est texte contre texte", estime le Dr Ropars. Ce dernier se souvient que lors de l'audience le Syndicat national des médecins homéopathes n'avait pas d'avocat, mais était représenté par "une consœur et deux confrères, dont l'un était membre d'un conseil départemental de l'Ordre".
Condamné à un avertissement, la plus petite peine ordinale, Vincent Ropars risquait la peine d'interdiction d'exercer avec sursis. "Cela ne m'empêchera pas de resigner une tribune", déclare le généraliste qui note "une dichotomie" entre les plaintes ordinales et la position actuelle de l'Ordre "qui dit vouloir lutter contre les fakenews". D'autant que cette condamnation va faire jurisprudence : "Je suis conscient que ce qu'il s'est passé va faire des commentaires de plus dans le code de déontologie et donc desservir mes consœurs et confrères." "Il y aura toujours une réserve pour ceux qui essayent de faire bouger les lignes", déplore le généraliste breton, citant notamment l'affaire récente visant le Dr Jérôme Marty, président de l'UFML.
"Le conseil départemental de l'Ordre a tapé sur les doigts du Dr Marty face à des propos attaquants violemment l'ensemble de la profession médicale. Et cette triste affaire n'est qu'un exemple de plus de la manière dont l'Ordre peut être facilement instrumentalisé contre les médecins, qui font ce qui est juste et droit, par des personnes qui vont l'utiliser à mauvais escient", regrette le Dr Vincent Ropars. "On est train d'assister au suicide de l'Ordre. Il s'agit du sabotage de l'Ordre par l'Ordre lui-même", a commenté le Dr Jérôme Marty, accusé en première instance d'avoir "déshonoré la profession" face à Jean-Marie Bigard et Francis Lalanne.
"L'Ordre est instrumentalisé"
"La confraternité dessert son objectif, c'est un outil qui instrumentalise la justice ordinale", analyse le Dr Pierre de Bremond d’Ars, président du collectif FakeMed. "Cela permet de lancer des procédures baillons qui mettent six ans à être réglées et pendant lesquelles les médecins n'osent pas parler par peur d'alourdir la peine. Cela permet de faire taire les médecins qui ont le courage de dénoncer quelque chose". "L'Ordre est instrumentalisé mais il a la main sur les textes du code de déontologie", nuance le praticien. "Aujourd'hui, on remarque que dans la lutte contre la désinformation, l'Ordre n'a pas soutenu le collectif ni ses membres. On apprécierait un rendez vous avec le président de l'Ordre pour se poser et faire un point sur toutes les procédures. Nous souhaitons travailler là-dessus dans une démarche constructive. Tous les ans nous demandons un rendez-vous au président, mais il n'a pas donné suite pour l'instant", relève le Dr de Bremond d’Ars.
Pour le collectif FakeMed, la priorité est donc de faire évoluer et clarifier l’article 56 du code de déontologie médicale (voir encadré) ou son commentaire. "La priorité doit être donnée à l'information. Les médecins doivent s'appuyer sur les données de la science pour prendre en charge leurs patients". "L'Ordre s'oppose sous nous yeux à la jeunesse médicale extrêmement bien formée à la lecture critique. Les médecins qui luttent contre les paramédecines ne sont pas soutenus, mais pire, ils sont pénalisés. Ça n'est pas nous qui avons le plus à y perdre, c'est l'Ordre. Ils n'ont rien compris", conclut le Dr Jérôme Marty.
Sollicité par Egora, l'Ordre n'a pas souhaité commenter cette décision sachant que le délai pour le pourvoi en cassation n'est pas terminé.
Article 56 (article R.4127-56 du code de la santé publique)
"Les médecins doivent entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité. Un médecin qui a un différend avec un confrère doit rechercher une conciliation, au besoin par l'intermédiaire du conseil départemental de l'ordre. Les médecins se doivent assistance dans l'adversité."
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