En décembre dernier, la fédération nationale des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) faisait état d’une progression constante du maillage de l’hexagone avec un décompte de 791 structures dont 498 avaient déjà contractualisé officiellement avec les pouvoirs publics. Mais si, toutes les semaines, des projets continuent de se monter, la dissolution d’une CPTS en Bretagne au 1er janvier montre tout de même que tout n’est pas si simple. L’histoire avait pourtant bien commencé. Créée dès 2019 et baptisée "Presqu'îles en mer", la communauté comptait 180 professionnels et était issue du rapprochement de deux structures d’exercice coordonné l’une à Belle-Ile et l’autre, sur le continent, sur le territoire de Quiberon. Au départ sous un format d’association spécifique à la région – les Fédérations bretonnes interprofessionnelles (FBI) - , elles avaient chacune, déjà commencé à mener des projets sur l’accès aux soins et la prévention, depuis même une dizaine d’années déjà pour la Belle-iloise. "Historiquement, nous avions créé la FBI-Mer pour regrouper tous les professionnels de santé de l’île, raconte le Dr Pierre-Yves Le Floch, médecin généraliste et ancien membre du bureau de la CPTS tout juste dissoute. Celle-ci a pris ensuite la structure juridique d’une Sisa (Societé interprofessionnelle de soins ambulatoire, NDLR) en tant que maison de santé multisite afin de pouvoir bénéficier des fonds publics pour mener des projets". Une coordinatrice est salariée et des actions se mettent en place : ateliers d’éducation thérapeutique sur le rachis douloureux, parcours de soins en addictologie, ateliers mémoire ou activités physiques pour les personnes âgées, ainsi qu’un volet sur la permanence des soins. Les médecins de la MSP, qui est située dans les locaux de l’hôpital, peuvent également intervenir dans l’établissement. Une organisation rodée qui permet également de faire face à l’afflux touristique en saison. Puis, l’orientation stratégique du gouvernement en direction de la création des CPTS convainc les professionnels de se lancer afin d’intégrer dans leur territoire d’intervention les deux petites îles de Houat et Hoedic et surtout de pouvoir travailler avec leurs confrères de la presqu’île de Quiberon. "Nous avons pensé que cela permettrait d’être mieux entendus par les pouvoirs publics et, par exemple, d’ouvrir la voie à une permanence des soins un peu plus large" explique le Dr Le Floch. Brouilles entre professionnels Le raisonnement est à peu près le même sur le continent, même si, à Quiberon, la création de la MSP précède de peu celle de la CPTS. "En Bretagne, c’est l’association Geco Lib’ initiée par l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) médecins et rejoint par les autres, qui accompagne le développement des CPTS, nous avons pensé que c’était intéressant de nous allier avec Belle-Ile pour créer une structure plutôt que d’intégrer celle d’Auray qui existait déjà" témoigne le Dr Jean-Philippe Moitier, généraliste à Quiberon et dernier président de la CPTS. Parallèlement, la MSP travaille avec une infirmière Asalée et monte des projets notamment dans le domaine de l’addictologie. Comme dans beaucoup de territoires, la crise du Covid donne plus de corps à la CPTS, via notamment la mise sur pied rapide de centres de vaccination. Mais les brouilles entre professionnels, les changements de présidence et les habitudes de travail différentes font que la mayonnaise ne prend pas vraiment. "Les projets que nous avons essayé de porter ensemble sont restés un peu flous" reconnait le Dr Moitier. "Au départ, nous étions assez enthousiastes, se souvient le Dr Le Floch. Mais quand nous avons commencé à nous pencher sur les statuts, c’est devenu vite compliqué. Mais si on est accompagnés, il y a beaucoup de bureaucratie et de travail administratif, autant de choses qui ne sont pas notre métier. C’était un peu un mariage naïf et pas très bien préparé." Effet doublon Certains écueils rencontrés par la structure bretonne avaient été relevés en juin dernier dans le rapport du "tour de France des CPTS" mené par la Dr Marie-Hélène Certain (MG France), Albert Lautman (Cpam de l’Essonne) et Hugo Gilardi (ARS Hauts-de-France). Suite à leurs entretiens avec des professionnels engagés dans diverses CPTS, ils avaient retenu la "crainte d’une logique de multiplication progressive d’objectifs, d’indicateurs, d’actions à déployer, sans priorisation suffisante et surtout sans concertation et coconstruction". La dissolution de la CTPS Presqu’îles, qui n’est d’ailleurs pas sans poser de difficultés administratives aujourd’hui (départ de la coordinatrice, restitution des fonds à l’ARS…), met aussi en lumière les difficultés... que créent les superpositions de structures. "Nous nous sommes rendus compte que quand la pharmacienne croisait la coordinatrice de la CPTS, elle la prenait pour la coordinatrice de la maison de santé" illustre le Dr Moitier. L’effet doublon pose aussi, dans cet exemple, avec acuité la question de la bonne échelle pour des projets coordonnés. "Peut-être qu’une difficulté qui a fait que la dynamique s’est vite essoufflée est que le territoire de notre CPTS n’était sans doute pas assez cohérent, juge, avec le recul, le Dr Le Floch. Les problématiques de prises en charge sont trop différentes entre les patients qui habitent sur une toute petite île avec un seul médecin et ceux qui sont sur le continent à proximité d’un hôpital. Et à vrai dire, nous avions le sentiment que ce que nous pouvions apporter à nos patients au travers de la maison de santé avait déjà fait la preuve de son efficacité". Un autre avis, partagé par les professionnels de l’île comme du continent, est que le cruel manque de temps des praticiens et l’aspect chronophage de ce type d’organisation découragent mêmes les meilleures volontés. "Malheureusement, si nous étions deux ou trois fois plus de médecins sur le territoire, il y en aurait sans doute un ou deux qui pourraient se consacrer à la coordination et à ce type de projet, constate le Dr Moitier. Ce sera sans doute plus facile dans dix ou vingt ans". Décision des acteurs locaux Contactée par "Egora", la Cpam du Morbihan a indiqué par écrit ne pas avoir de "commentaire à formuler sur ce qui appartient à la vie de l’association" et s’est dit "préoccupée par les perspectives de dissolution de la CPTS" et "suivre attentivement la situation". "L’accompagnement a été constant et la relation toujours de confiance avec les acteurs successifs" assure-t-elle. "L’ARS et la Cpam ont toujours été derrière nous, reconnaît le Dr Moitier. Nous avions des réunions trimestrielles avec la caisse pour faire des points réguliers mais qui étaient aussi, de fait, chronophages". "La dissolution en cours de la CPTS Presqu’îles en mer est une décision des acteurs locaux, souligne également l’Agence régionale de santé (ARS) de Bretagne dans une réponse à "Egora"par courriel. La coordination organisée à l’échelle locale sur les deux exercices coordonnés existants (un à Quiberon, l’autre à Belle-Ile-en-mer) semble aujourd’hui plus adaptée aux préoccupations des professionnels des territoires concernés". Les deux administrations poursuivent les échanges localement et estiment "envisageable" que les professionnels intègrent la CPTS existante voisine du Pays d’Auray. "La situation rencontrée sur la CPTS Presqu'îles en mer demeure un cas particulier en Bretagne où il est important de rappeler que les projets se multiplient et la dynamique de développement demeure intacte" veut croire l’ARS. Selon sa cartographie, en date du 31 décembre 2023, environ la moitié du territoire de la région est couverte par 25 projets de CPTS validées et signataires d’un contrat ACI (accord conventionnel interprofessionnel). Huit structures sont en cours de structuration. Aucune autre n’a jeté l’éponge pour l’instant.
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