"On ne peut pas soigner en faisant du prosélytisme" : comment le Dr Pelloux compte s’attaquer à la radicalisation à l’hôpital

10/03/2022 Par Marion Jort
Comment prévenir et lutter contre le risque de radicalisation des professionnels de santé dans les hôpitaux ? C’est à cette réponse qu’a tenté de répondre l’urgentiste Patrick Pelloux, chargé par le ministère de la Santé d’une mission spéciale d’état des lieux dans les établissements français. Considérant ce travail comme un "devoir citoyen", l’ancien collaborateur du journal satirique Charlie Hebdo formule une vingtaine de recommandations pour défendre les valeurs de la République et la laïcité dans le système de santé. Sensibilisé à la problématique dans le milieu libéral, il s’attaque aussi à la "médecine communautaire" sur laquelle il veut continuer de travailler. Interview.  

 

Egora.fr : Votre rapport est paru au début du mois, il était initialement prévu pour fin 2021 afin d’éviter une publication en pleine campagne présidentielle. Pourquoi avoir attendu ?  

Patrick Pelloux : Il y a eu le Covid et le rapport a pris du temps. C’est une période compliquée politiquement, je ne voulais pas que les réflexions que tout cela engendre soient polluées par le débat politique, notamment celui des extrêmes. 

 

En préambule, vous évoquez un "devoir citoyen". Qu’entendez-vous par-là ? 

Oui. À mon avis, au sujet de la montée du radicalisme, notamment du radicalisme islamiste, on n’a pas été au bout des choses. On n’a pas été vaillants et on a laissé trop faire. C’est là où je place l’engagement citoyen. Demandons-nous ce qu’est une société ? C’est une harmonie qui repose sur le respect du droit, le respect des autres, des libertés, de tout un chacun. En France, c’est la laïcité qui permet la liberté. Il y a plein de secteurs dans lesquels le débat a eu lieu : l’éducation nationale, la jeunesse et les sports, les transports… Mais jusqu’ici, il n’y en a pas eu sur la santé.  

 

Vous écriviez que l’hôpital et le système sanitaire et social ont toujours été un des objectifs des radicalismes religieux. Dans quel sens ?  

Quand on regarde les textes religieux, à chaque fois, toutes les religions se sont fixées sur le système de santé, à propos de la vie et de la mort notamment. On peut le comprendre, quelque part, les religions l’ont bâti. Évidemment, le système sanitaire et social d’aujourd’hui est un objectif. Il ne faut pas oublier que Daesh, en Syrie, avait dans son programme la gratuité des soins.  

 

Plusieurs de vos propositions sont axées sur la représentation des cultes à l’hôpital. Parmi elles, vous insistez sur l’importance de recruter des aumôniers validés par les autorités cultuelles…  

Il existe cinq aumôneries reconnues : catholique, protestante, musulmane, juive et bouddhiste. Ce que nous proposons, c’est une meilleure surveillance des personnes qui vont intervenir à l’hôpital. Cela va de pair avec le contrôle que nous devons avoir des associations cultuelles d’aide aux malades et permettra par exemple d’éviter qu’une association comme Barakacity, qui représente l’islamisme radical fort et puissant, puisse s’y immiscer. En travaillant sur ce point, on s'est rendu compte que les aumôneries sont payées par les hôpitaux à hauteur de 13,5 millions d’euros annuellement. Ça pose des questions… Est-ce qu'en 2022, il ne faut pas véritablement considérer la liberté de chacun de croire en ce qu’il veut mais aussi de payer pour croire ? Est-ce à l'hôpital de prendre à sa charge tous ces millions pour payer les aumôniers ?  Personnellement, je ne pense pas que ce soit à l’hôpital de payer les aumôniers.  

 

Il faut aussi, selon vos recommandations, faire appliquer un principe de neutralité à l’hôpital. N’est-ce déjà pas le cas ?  

Ce principe existe, mais il a été oublié. Il faut le réaffirmer. C’est pour cette raison que je demande à ce que les soignants signent une charte de la laïcité quand ils sont embauchés et entrent dans la fonction publique hospitalière.   

 

Qui sera concerné par cette charte de la laïcité ? 

Tous les agents, les étudiants, les soignants et les entreprises extérieures, excepté les patients dont c’est le droit. Les soignants doivent être neutres. Par exemple, ce n’est pas normal d’avoir dans les établissements de soins français, un réanimateur en activité contre le don d'organes. À la suite du décès d’un patient, la famille voulait donner l’organe et il a refusé, affirmant que c’était “haram” [pêché, NDLR].  

 

En parallèle, vous misez sur la formation, la sensibilisation, la communication. Tout cela n’est pas nouveau…  

C’est balbutiant à l’hôpital, il y a une sorte d’hésitation. Dans toute la culture colonialiste, du "wokisme"* qui est en train d’émerger, on sent bien que la laïcité est une ennemie. Il faut donc réaffirmer ce principe. Il y a des journées de sensibilisation mais je crois qu’il faut aller plus loin, comme en affichant la charte de la laïcité dans les couloirs. 

 

Cela sera-t-il suffisant ?  

Bien sûr, il n’y a pas de petit combat.  

 

Vous appelez aussi à mettre en place une "analyse qualitative du phénomène de radicalisation". Qu’est-ce que cela veut dire ? 

Il n’existe pas de chiffres et d’analyses de ce qu’est le radicalisme aujourd’hui. C’est très compliqué. En introduction, j’ai proposé cette définition : "Tout extrémisme potentiellement violent à contenu politique ou religieux, visant par là au premier chef la radicalisation islamiste, compte tenu du contexte post-attentats dans lequel est plongé notre pays, mais sans exclure d’autres types possibles de radicalisation", qui peut être critiquable, bien sûr. Le Pr David Cohen, psychiatre, avec qui j’ai travaillé pour ce rapport, a construit un questionnaire...

validé sur le plan international pour mesurer dans la population des jeunes, le risque de radicalisme. À terme, cela pourrait remonter via les agences régionales de santé (ARS).

 

Les ARS sont très critiquées, vous appelez néanmoins à vous appuyer dessus pour cette mission ? 

Je n’ai que ça, je fais avec ce qui existe. J’ai préféré faire un rapport à zéro euro en m’appuyant sur ce qui est déjà en place.  

 

Comment mieux contrôler les professionnels de soignants embauchés à l’hôpital ? 

Évidemment par la formation, et par la signature de la charte de la laïcité. Pourquoi cela peut-il marcher ? Car cela permet de repérer ceux qui s’y opposent. Au cours de nos auditions par exemple, on nous a rapporté le cas de femmes originaires d'Arabie-Saoudite qui portaient le tchador et refusaient de l’enlever. Elles candidataient à l’AP-HP et n’ont pas été embauchées. J’insiste sur un point : de toute façon, il n’est pas possible de soigner si on fait du prosélytisme ou si la religion est mise en avant. On peut aussi comparer cela avec les médecins qui refusent de pratiquer les datations de grossesse pour pratiquer les avortements et font tout pour éviter les IVG.  

 

Vous incluez aussi les services juridiques et les responsables des ressources humaines des hôpitaux, dont vous soulignez l’importance dans vos recommandations ?  

Bien sûr, ils ont un rôle pour éviter que des personnes soient recrutées alors qu’ils ne correspondent pas aux statuts de neutralité des agents de la fonction publique. Ils ont un rôle à jouer quand ils identifient des personnels soignants qui, par exemple, font la prière tous les jours ou mettent en place des salles de prière clandestines. Ils doivent procéder à des rappels à l’ordre, essayer de comprendre pourquoi ces soignants font du prosélytisme, etc. Nous ne sommes pas dans ce qu’on pourrait surnommer de “barricade” : il faut donc utiliser les armes qu’on a pour défendre les valeurs de la République et de la laïcité et lutter contre une forme d’oppression qui existe.  

 

Un syndicat de médecins libéraux, le SML, vous a alerté au début de vos travaux, sur la montée d’une médecine communautaire… De quoi s’inquiètent-ils exactement ? 

Ils sont inquiets des violences de manière générale, des patients qui font passer la religion avant toute chose et sont menaçants, des certificats de virginité, des certificats pour exclure les enfants tantôt de la piscine, tantôt des activités sportives… Le président du Conseil national de l’Ordre des médecins m’a confirmé ce constat. On ne peut pas laisser se développer une médecine communautarisée. Cela me fait penser aux médecins à diplôme hors communauté européenne qui, dès qu’ils ont une autorisation de libre exercice, vont s’installer dans des quartiers parce qu’ils sont musulmans et veulent soigner des patients musulmans. Ce n’est pas entendable.  

 

Comment agir pour aider les médecins libéraux face à ce constat?  

J’ai dit au SML qu’il fallait qu’on travaille ensemble. Il y aura sûrement un autre rapport, mais ce travail est suspendu aux enjeux électoraux de la présidentielle. Quoi qu'il en soit, il faut un état des lieux correct et dimensionner l’ampleur du problème et trouver des solutions concrètes en s’appuyant sur ce qui existe, comme les URML.  

 

S’occupe-t-on de la radicalisation dans le milieu libéral comme dans le milieu hospitalier ?  

Au niveau des patients, cela ne change pas grand-chose. Par rapport aux professionnels de santé en revanche, il est clair que l’activité libérale est très différente car les libéraux sont seuls. Quand un médecin fait face à une personne radicalisée ou qui met en avant les préceptes religieux pour soigner sa famille, et qu’il est seul dans son cabinet, c’est très délicat pour lui d’agir et réagir. C’est pour cela que le travail doit être poursuivi.  

 

L’élection présidentielle est dans un mois. Des propositions du rapport vont-elles être mises en place avant cette échéance ?  

Oui, à commencer par la charte de la laïcité car le ministre de la Santé veut aller vite sur ce sujet.  

 

C’est donc la priorité d’Olivier Véran ? 

Oui, et pour une bonne raison. Le Gouvernement est en train de recruter beaucoup de médecins hors communauté européenne pour travailler dans les déserts médicaux, l’immigration choisie est considérable. Ils souhaitent donc un outil pour permettre de cadrer leur arrivée.  

 

*Tiré du terme anglo-américain woke, signifiant "éveillé". Désigne le fait d'être conscient des problèmes liés à la justice sociale et à l'égalité raciale. 

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