Egora.fr : Comment est née cette mission et pourquoi l’avoir acceptée ?
Dr Patrick Pelloux : Il y a quelque temps, il y a eu un problème dans un hôpital à cause d’un imam qui faisait du prosélytisme. Le problème a été résolu et Katia Julienne [directrice de la Direction générale de l'offre de soins, NDLR] a eu l’idée de cette mission. Plus largement, depuis l’attentat visant Samuel Paty, des directives importantes de la part du Gouvernement ont été données pour lutter contre le radicalisme religieux et trouver des solutions pour le freiner. Sans dire que c’est une énorme vague, il y a un sujet. Le ministère de l’Éducation nationale a fait un travail formidable, et tous les ministères globalement ont fait un travail sur cette question, celui de l’Intérieur, celui des Transports… Le ministère de la Santé aussi se posait des questions. Katia Julienne m’a donc appelé en me disant : “Écoutez, je crois qu’il n'y a que vous qui puissiez travailler sur le sujet.” Évidemment, je ne suis pas un lâche, j’ai immédiatement accepté. J’ai accepté de la faire, car depuis les attentats de Charlie Hebdo où j’ai perdu mes amis à cause d’un attentat islamique, ma seule priorité est de défendre la nation contre le terrorisme, et de défendre la laïcité.
Quelle est votre mission exactement ?
Définir ce qu’est la radicalisation dans les hôpitaux et comment faire de la prévention sur la radicalisation dans les hôpitaux. Il ne s’agit pas de faire quelque chose de révolutionnaire, pour dénoncer, mais bien de proposer des choses. Dans le cadre de cette mission, depuis le mois de décembre, des “responsables radicalisation” ont été nommés dans les ARS pour mesurer ce que cela représente et je travaille avec eux.
Votre rapport concerne à la fois les patients et les soignants ?
La radicalisation est indissociable de la notion de laïcité, c’est important. Il y a deux éléments importants. Le premier concerne les soignants. Il y en a qui sont un peu égarés dans le prosélytisme, mais... ce n’est pas énorme. Le deuxième concerne les malades, comme ceux qui refusent parfois des soins faits par des hommes. Et puis, cela touche aussi, par exemple, des associations cultuelles qui font du prosélytisme de “la vie” sur les soins palliatifs. Il y a aussi tout un sujet sur l'aumônerie, les actes religieux à l’intérieur de l’hôpital, où on nous a déjà signalé des exemples de lieux de culte qui sont soi-disant des lieux multiculturels et qui sont en fait repris par des salafistes.
Il faut trouver des moyens pour solutionner ces problèmes, car ceux qui sont en première ligne, ce sont les directeurs d’hôpitaux. Eux ont pour mission de faire valoir la laïcité et de lutter contre toutes les formes de radicalisme. Évidemment, le plus en développement en ce moment, c’est le radicalisme islamique, mais il y a d’autres radicalismes religieux, qu’il ne faut pas oublier.
Votre mission concerne-t-elle toutes les religions ?
Oui, toutes. La religion a toujours été très liée au système de santé, elle s’est toujours servie du système de santé pour exister. Ceci de la naissance à la mort, comme avec “tu accoucheras dans la douleur”, ou tous les sacrements… Ça fait partie des croyances religieuses. La santé, elle, a toujours reconnu cette liberté de choix religieux. Les gens qui croient ont besoin de croire et il faut les laisser croire. Ça ne concerne pas simplement les quatre religions monothéistes, j’ai déjà vu des religions inconnues avec des gens qui croient à un autre Dieu ou à un autre symbole. La santé se veut extrêmement tolérante. Le problème, c’est que la religion doit aussi être tolérante envers la santé. Et c’est là où ça ne va plus.
Il y aura donc, à l’issue de votre travail, un constat et des propositions ?
Une première partie sera bibliographique. Je veux partir des racines, c’est-à-dire de la loi 1905 et de ce qui a construit la laïcité à l’hôpital. Il faudra tout rappeler, y compris les textes de loi qui ont été votés, comme...
ceux sur les signes ostentatoires. Outre cette partie bibliographique, il va y avoir des entretiens. Par exemple, je vais devoir rencontrer les doyens à l’université sur cette question des signes ostentatoires. On autorise des étudiants à avoir des signes ostentatoires dans les amphithéâtres, qui sont au sein des facultés. Ça interpelle. Le Pr Riou, doyen d’une faculté de médecine, avec qui j’en avais parlé il y a longtemps, m’avait dit que ça ne le concernait pas. Que des universitaires disent que ça ne les concerne pas, je trouve ça dramatique, parce que personne, sur la montée de la radicalisation et la défense de la laïcité, surtout dans le corps universitaire, peut dire que ça ne le concerne pas. Je voudrais donc les rencontrer pour en parler à nouveau.
Une fois ce travail achevé, le rapport permettra de comprendre ce qu’il en est de la radicalisation religieuse à l’intérieur de l’hôpital et ce qu’il faudrait faire. Voyez par exemple, quand une mosquée salafiste ferme et que d’un coup l’ensemble des représentants de la mosquée se retrouve à l’hôpital et profite du lieu œcuménique, ça pose question. Le directeur de l'hôpital est seul face à des personnes radicalisées, donc il faut qu’on lui apporte des solutions. Moi, je suis là pour faire un rapport qui permet de réfléchir ou de donner des idées.
Certains soignants regrettent que la priorité soit donnée à ce sujet, alors que la crise sanitaire a fait émerger nombre de dysfonctionnements et de problèmes à l’hôpital. Comprenez-vous leur réaction ?
Il n’y a pas de petit problème quand il s’agit des valeurs de l’hôpital public. Quand vous avez un médecin qui se fait tabasser parce qu’il a ausculté une femme et que son mari n’est pas content, ça intéresse l’hôpital public. Quand l’hôpital public est gêné de travailler dans ses missions parce que ça ne plaît pas à telle ou telle religion, ça regarde l’hôpital public. Pendant la crise du Covid, il n’y a pas eu de diminution des problématiques de radicalisation et on l’a d’ailleurs vu avec la décapitation de Samuel Paty. Cet acte terroriste doit nous interpeller. Il était enseignant, il s’agit du service public. Je vous rappelle que l’Education nationale, c’est le service public qui forme les générations futures, y compris celles de soignants. On est tous concernés par ce sujet. Il n’y a pas de petit débat par rapport à tout ça et ce n’est pas rédhibitoire par rapport aux mobilisations qu’il y a l’hôpital. Ma vie, et ce que j’ai connu avec les attentats de 2015 qui m’ont concerné de plein fouet, font que d’un coup je suis totalement engagé dans cette mission.
Un tel état des lieux pourrait-il permettre d’améliorer les conditions de travail des soignants au quotidien ?
Je l’espère, c’est pour ça que je travaille sur le sujet. Récemment, j’ai recueilli le témoignage d’une infirmière qui travaillait en psychiatrie. L’un des psychiatres avec lequel elle travaillait était en charge des jeunes ados radicalisés avec l’Islam, et elle, elle s’inquiétait de...
constater la montée de la radicalisation chez les jeunes malades. Or le psychiatre ne comprenait pas où était le problème. Elle a démissionné tellement elle se sentait désœuvrée. Ça veut dire que nous devons avoir une réflexion là-dessus. Des soignants sont empêchés dans leur quotidien. Et puis, ce dont je me rends de plus en plus compte, c’est que c’est aussi lié au sujet du sexisme à l’hôpital. Vous avez des soignants qui mettent en avant le religieux pour instaurer une sorte de sexisme à l’hôpital entre soignants.
Des libéraux, notamment le syndicat des médecins libéraux, regrettent que cette mission ne concerne pas la ville. Le SML demande d’ailleurs qu’une mission parallèle soit menée pour établir un diagnostic de la situation et proposer des mesures de prévention. Comprenez-vous leur position ?
Je tiens à rassurer le SML, ma mission est suffisamment large pour les écouter. Je considère que l’hôpital ne peut pas fonctionner comme la ville mais je rencontrerai les présidents de syndicats libéraux pour parler de cette mission. Ils ne seront pas oubliés, c’est mal me connaître.
Depuis combien de temps travaillez-vous sur ce rapport ?
C’est une mission qui a débuté il y a trois mois. Je rendrai un pré-rapport fin septembre. Je dois avouer que je suis surpris par tous les exemples qu’on me donne et tout ce que ça représente. Il y a même des sujets dans le sujet, comme le radicalisme dans la psychiatrie. Il va falloir rencontrer les psychiatres pour en parler, notamment pour évoquer les moyens accordés aux centres qui accueillent les enfants qui rentrent de Syrie, les enfants des gens de Daesh.
Les élections présidentielles se déroulent dans moins d’un an. Ne craignez-vous pas une récupération politique de votre rapport ?
Je ne tomberai pas dans le panneau. C’est pour cette raison que je veux travailler à fond pour rendre le rapport avant décembre et éviter de tomber dans le sprint des présidentielles. Ce rapport sera sans concession. Tout ce qui sera dit dedans sera étayé par des exemples et des argumentaires, ce qui cassera la récupération éventuellement politique. Mais de toute façon, c’est un rapport qui sera politique car il touche des socles sociaux de notre République, la santé et la laïcité, qui sont des sujets politiques. Je veux, à travers cette mission, être un rapporteur de faits par les preuves.
On devine que cette mission vous tient à cœur...
Complètement. Ce qui me porte, ce sont les valeurs de celles et ceux qui sont tombés sous les balles des islamistes. Je veux être à la hauteur de Samuel Paty et des valeurs qu’il portait pour la laïcité et de mes amis qui sont morts à Charlie Hebdo. J’espère que ce rapport peut faire changer les choses, il faut toujours y croire.
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