"Je n'ai pas brisé le secret médical" : la défense d'un jeune généraliste, jugé pour avoir consulté le pass vaccinal de Macron

16/06/2023 Par Louise Claereboudt
Déontologie
C’est peu après le déjeuner, ce vendredi 16 juin, qu’a été convoqué le Dr Michaël Rochoy devant la chambre disciplinaire du Conseil de l’Ordre des médecins des Hauts-de-France. Le généraliste d’Outreau (Pas-de-Calais) comparaissait pour avoir consulté le pass vaccinal du Président de la République. Si le MG a plaidé la bonne foi, assurant avoir voulu lancer l’alerte sur des failles de sécurité, l’avocate du CDOM 62, qui a porté plainte contre lui, y voit un manquement au Code de déontologie. Egora s’est glissé sur les bancs de la salle d’audience. Compte-rendu.  
 

Ce vendredi, le Dr Rochoy joue le "rien". Ni avertissement, ni blâme, ni suspension… et encore moins une radiation. Assis dans un fauteuil bleu peu confortable, le généraliste d’Outreau (Pas-de-Calais) paraît confiant à quelques minutes de comparaître devant la chambre disciplinaire du Conseil de l’Ordre des Hauts-de-France, située à Lille. Poursuivi pour "manquements déontologiques" pour avoir consulté à deux reprises le dossier vaccinal d’Emmanuel Macron à l’été 2021, le praticien a sous le bras 80 pages de dossier devant servir à sa défense. Il a fait le choix de ne pas prendre d’avocat. S’il doit se sortir de cette affaire, ce sera seul et avec "les bons arguments".  

Dans le train qui le menait à Lille ce matin, il a pris le temps de rassurer ses "supporters" sur Twitter – sa femme et ses deux bambins assis à côté de lui. Durant l’épidémie de Covid, le Dr Rochoy s’est créé une petite notoriété au sein de la communauté médicale connectée, défendant à cor et à cri les bienfaits des vaccins et du port du masque, et tordant le bras à ses détracteurs du camp des anti-vaccins, avec un verbe un brin provocateur. Sur son blog, il avait pris l’habitude depuis quelques années de commenter les études, les décisions politiques qu’il juge absurdes, de dénoncer les attitudes d’organismes – surtout des compagnies d’assurance. Il interpelle à tout-va : la Cnam, l’Elysée, les mutuelles… 

Interpeller, ou plutôt lancer l’alerte, c’est ce qu’il assure aujourd’hui avoir voulu faire lorsqu’il a consulté le pass vaccinal du chef de l’Etat.  

L’heure a sonné : il est 14h30. Le Dr Rochoy se rend dans la salle aseptisée et étouffante – le thermomètre dépasse les 25 degrés – où son sort sera scellé. Il se place face à la présidente, Anne-Marie Leguin, entourée de cinq autres membres de la chambre disciplinaire. À sa gauche, le CDOM 62, qui a déposé plainte, est accompagné d’une avocate, à la grande surprise du Dr Rochoy. Nous nous plaçons derrière, sur les chaises réservées au public. Sont d’abord rappelés les faits qui lui sont reprochés et l’historique de l’affaire. 

 

"Preuve de concept"

Le 16 juillet, au cours d’une consultation avec un patient venu sans sa carte vitale, le Dr Rochoy constate que l’on peut accéder à son statut vaccinal uniquement grâce au nom et à la date de naissance de ce dernier. Le praticien, qui militait depuis avril 2021 pour obtenir la liste de ses patients non vaccinés, est stupéfait par la simplicité d’accès à ces informations. Il décide alors de faire une "preuve de concept" et de vérifier la sécurité du système. Il entre les informations du Président de la République, parvient à récupérer son numéro de Sécurité sociale sur le téléservice de l’Identité nationale de santé, lui permettant d’accéder ensuite à son dossier vaccinal.  

À neuf mois de la présidentielle, le généraliste d’Outreau fait alors une découverte qu’il estime potentiellement dangereuse si l’information tombait entre de mauvaises mains. Alors qu’Emmanuel Macron avait déclaré sur Twitter avoir été vacciné contre le Covid le 31 mai 2021, le Dr Rochoy se rend compte...

que la date est erronée : l’injection est datée du 13 juillet 2021 – des semaines après donc. Une information qui pourrait nourrir la sphère complotiste, craint-il. Le praticien dégaine son téléphone et contacte aussitôt l’Elysée qui répond rapidement. On le remercie et lui répond que l’on va faire remonter l’information.    

Mais le 26 août 2021, Médiapart sort un article intitulé : Imbroglio autour de la vaccination de Macron. Dont les premières lignes sont les suivantes : "Le chef de l’État avait annoncé s’être fait vacciner le 31 mai. Or, d’après les données de l’Assurance-maladie consultées par Mediapart, il aurait été vacciné le 13 juillet, au lendemain de son allocution présidentielle sur le passe sanitaire". Le généraliste outrelois décide de retourner sur le dossier vaccinal du chef de l’Etat et observe que l’erreur de date qu’il avait signalée un mois plus tôt n’a pas été corrigée. "Ce que j’avais prédit est arrivé", explique le Dr Rochoy ce vendredi à la chambre disciplinaire.  

À la suite de l’article de Médiapart, l’Assurance maladie mène une enquête et constate que plusieurs dizaines de professionnels de santé ont mis le nez dans le dossier vaccinal d’Emmanuel Macron – dont le Dr Rochoy. Les ordres professionnels sont alors alertés.  

Le médecin, qui n’a divulgué aucune information découverte lors des deux consultations du pass vaccinal du Président – a-t-il tenu à rappeler, est convoqué fin décembre 2021 devant le Conseil départemental de l’Ordre du Pas-de-Calais ; un "entretien confraternel" et "sympathique". Malgré une bonne impression, son dossier est transféré à la chambre disciplinaire du Conseil régional de l’Ordre des médecins des Hauts-de-France. "Quand bien même le Dr Rochoy dit que ses intentions étaient louables", il y a "à mon sens, une violation des dispositions du Code de déontologie", a déclaré Me Prizac, avocate du CDOM 62 ce vendredi. 

Selon l’avocate, le généraliste outrelois n’avait "pas d’intérêt ni de besoin" de consulter le pass vaccinal du Président puisque ce dernier "ne faisait pas partie de sa patientèle". En cela, il y a "violation des obligations déontologiques et du secret médical", a-t-elle estimé, déplorant par ailleurs que "le Dr Rochoy n’ait pas fait amende honorable" dans les entretiens qu’il a accordés à la presse, dont à Egora. "Le Président de la République ne fait en effet pas partie de ma patientèle, a confirmé le Dr Rochoy. S’il se rend souvent au Touquet, il ne vient pas à Outreau", a-t-il plaisanté. Un trait d’humour qui a laissé l’auditoire de marbre.  

 

"Le secret médical n'est pas plus absolu pour le Président"

Venant son tour de parler, le généraliste a souhaité réexpliquer comment il avait consulté le pass vaccinal du chef de l’Etat, remuant les dizaines de feuilles sous ses yeux. "Ce n’est pas utile", lui a aussitôt rétorqué la présidente. Le généraliste s’est alors défendu d’avoir enfreint les deux articles du code de la santé publique (4 et 12). "Il n’y a jamais eu d’informations médicales sur Vaccin Covid", a-t-il rappelé, martelant n’avoir ainsi pas "brisé le secret médical". "Ce sont les mêmes données administratives que toute personne a pu montrer à des vigiles, à des personnes d’accueil pendant un an", justifie le médecin, qui se définit plutôt comme "un lanceur d’alerte". 

Le médecin outrelois a tenu également à noter qu’"il n’y a de règle qui dit que le secret médical est plus absolu pour le Président de la République". 

Par ailleurs, "on ne peut pas révéler quelque chose qui n’est pas un secret", a-t-il ajouté, rappelant qu’Emmanuel Macron avait officialisé sa vaccination. "Je suis probablement le seul idiot [parmi la centaine de professionnels de santé ayant consulté son pass vaccinal] à avoir contacté l’Elysée le jour-même", a-t-il lancé. Par ailleurs, le Dr Rochoy a déclaré avoir respecté l’article 12 stipulant que "le médecin doit apporter son concours à l'action entreprise par les autorités compétentes en vue de la protection de la santé et de l'éducation sanitaire" et "participe aux actions de vigilance sanitaire". "J’ai apporté mon concours en disant que les informations étaient visibles et qu’il y a une erreur sur la date de vaccination du Président qui aurait pu causer du tort à la vaccination. Et favoriser la vaccination Covid en 2021, je pense que tout le monde conviendra que c’était quelque chose qui participait à l’action sanitaire". 

Enfin, le généraliste a tenu à souligner son attachement au principe du secret médical, indiquant qu’il lutte depuis plusieurs années contre les pratiques abusives de certaines compagnies d’assurance. "Nous n’allons pas vous servir de tribune aujourd’hui", a répondu Anne-Marie Leguin, coupant court à l’exposé du généraliste sur ce sujet.  

À la sortie de l’audience, qui n’a duré qu’une vingtaine de minutes, le Dr Rochoy s’est montré mitigé. "Je pense qu’ils ont entendu les arguments, après ils n’ont rien laissé transparaître quant à leur décision sur l’éventuelle future sanction", a-t-il déclaré à Egora. Pour lui, "il n’y a pas de fondements juridiques à [le sanctionner]. Si néanmoins la décision est inverse, on verra si un appel sera fait." 

La décision de la chambre disciplinaire devrait être rendue fin août. D’ici là, le généraliste entend bien reprendre le cours de sa vie. "J’aimerais laisser cette histoire derrière moi", nous confiait-il peu avant d’entrer dans la salle d’audience. 

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