Une semaine après la suspension des négos conventionnelles entre l’Assurance maladie et les syndicats médicaux, MG France réunissait ce jeudi 26 janvier les acteurs des soins primaires pour un colloque dédié à l’avenir du médecin traitant. Dans un contexte de tensions inouïes, teinté de grèves et de manifestations, le climat était plus à l’orage qu’à l’accalmie. Dénonçant des "attaques incessantes" du Gouvernement et des textes parlementaires délétères – en particulier la PPL Rist qui veut instaurer l’accès direct aux paramédicaux, les généralistes ont appelé à une prise de conscience immédiate afin de sauver une profession au bord du gouffre.
"Le burn-out, moi, j’ai fait sa connaissance il y a quelques années. Ça a été très bref mais très intense, raconte le Dr Yohan Saynac, généraliste à Pantin (Seine-Saint-Denis), devant ses pairs. Un jour, je me suis retrouvé au parc avec ma fille et j’ai commencé à faire une crise d’angoisse en allant lui acheter une glace parce qu’il y avait un peu de monde. Aujourd’hui je vais très bien, tout est rapidement rentré dans l’ordre. Néanmoins, ce n’est pas anodin de se retrouver à 33 ans dans cet état quand on s’installe avec l’envie de sauver le monde avec ses petits bras." Comme lui, "40% des généralistes présentent des signes évocateurs de burn-out". Une réalité encore trop invisible, déplore le jeune délégué régional MG France d’Ile-de-France, en préambule du colloque sur l’avenir du médecin traitant organisé ce jeudi. "Ce beau métier qu’il devient de plus en plus compliqué d’exercer", regrette le Dr Saynac. Si ce "mal-être" trouve essentiellement sa cause dans la baisse de la démographie médicale, qui oblige les praticiens déjà débordés à en faire toujours plus, le "manque de reconnaissance" de l’Etat est venu frapper de plein fouet une profession déjà au sol. "Tous les jours, dans nos cabinets, on a un rôle social et on reçoit des gens qui n’en peuvent plus", qui connaissent une "perte de sens dans leur travail", "on monte les employés les uns contre les autres". "Notre profession subit exactement la même forme de harcèlement", dénonce la Dre Agnès Giannotti, présidente du syndicat, qui critique la flopée de textes prônant la coercition qui se succèdent au Parlement, et "les attaques incessantes de la part du Gouvernement". "Nous sommes surchargés de travail" et "on nous accuse de ne jamais en faire assez", fustige-t-elle. Dans ce contexte, les vœux du Président de la République aux acteurs de la santé ne passent pas. Face à la pénurie de praticiens, ce dernier a appelé à "repenser notre organisation collective", et affiché son intention de "mieux rémunérer les médecins qui font la permanence des soins et qui prennent en charge de nouveaux patients". "Nous avons besoin de notre médecine libérale, je crois à ce modèle, mais on doit mettre fin à la divergence qui s'est installée. Il faut mieux récompenser ceux qui veulent travailler ensemble" et assument une "responsabilité territoriale", a déclaré le chef de l’Etat le 6 janvier dernier, peu avant la reprise des négos conventionnelles. "On est des boucs émissaires", réagit la cheffe de file des généralistes, qui dépeint "une période houleuse". Un niveau de tension historique même. Il y a une semaine jour pour jour, MG France et les autres syndicats représentatifs des médecins ont collectivement décidé de claquer la porte des négociations conventionnelles avec l’Assurance maladie, refusant le "contrat d'engagement territorial" proposé quelques jours plus tôt par la Caisse, et reprenant les engagements d’Emmanuel Macron : des revalorisations oui, mais à condition de s’engager à atteindre plusieurs objectifs.
"La profession a été percutée de plein fouet par la PPL Rist" Une proposition qui est intervenue en même temps que l’examen de la proposition de loi Rist – qui vise à instaurer un accès direct aux infirmières en pratique avancée, aux masseurs-kinésithérapeutes et aux orthophonistes dans le cadre d’un exercice coordonné – par les députés (elle a été votée depuis à l’Assemblée nationale). Les limites ont été dépassées pour les médecins qui ont vivement dénoncé un contournement du rôle du généraliste traitant, une dérégulation du parcours de soins et, de fait, la mise en place d’une médecine à plusieurs vitesses. "Cette pénurie [de médecins] fait que tout le monde s’engouffre sans aucune concertation", analyse également Catherine Deroche, sénatrice LR de Maine-et-Loire et présidente de la commission des Affaires sociales du Sénat. Pour la médecin de profession, "la PPL Rist ne tombe pas au bon moment", alors que les négociations conventionnelles sont bloquées. On est "dans un débat hystérisé" et on introduit des mesures "qu’on a votées en expérimentation il y a à peine trois mois", commente-t-elle, soulignant une certaine "maladresse". "La profession est en colère, percutée de plein fouet par la PPL Rist", poursuit la Dre Giannotti, qui précise que les "amendements de dernière minute" introduits par le Gouvernement ont mis le feu aux poudres, provoquant leur départ de la table des négos et des appels unanimes à la mobilisation – notamment à la grève des gardes. "Vous avez poussé le cynisme, vous avez détruit le lien de confiance que nous pouvions avoir avec le Gouvernement", lance la syndicaliste au ministre de la Santé, François Braun, qui, malgré ce climat tendu, a tenu à se rendre au colloque.
La généraliste du 18e arrondissement de la capitale dénonce la volonté gouvernementale de "mettre les négociations conventionnelles sous tutelle". Un amendement dans la PPL Rist "confie aux partenaires conventionnels le soin de...
définir les modalités de l’engagement territorial des médecins afin de définir les modalités appropriées de reconnaissance et de valorisation de ces professionnels qui s’engagent en faveur de la coopération, l’accès aux soins de proximité, aux soins non programmés, avec des pratiques tarifaires maitrisées et en participant aux actions de santé, notamment l’exercice coordonné, au bénéfice de la population de leur territoire au-delà de leur patientèle propre". "Il n’y a rien dans cette PPL qui nous empêche de travailler sur cette convention médicale. Au contraire, ça légitime le rôle de la convention médicale", estime pour sa part le directeur général de la Caisse nationale de l’Assurance maladie. Malgré la rupture du dialogue avec les syndicats, Thomas Fatôme a répondu présent au rendez-vous, souhaitant "saisir toutes les opportunités pour échanger avec les médecins libéraux, et notamment généralistes". Celui-ci a dit "comprendre le mal-être" de ces professionnels, mais regrette "beaucoup de malentendus et d’incompréhensions". "Les médecins généralistes sont notre première ligne de prise en charge des patients. C’est un bien extrêmement précieux car c’est une médecine de proximité, qui rend un service immense. On veut la soutenir", assure le DG de la Cnam. Mais pour MG France, l’avenir du médecin traitant est aujourd’hui en danger. Car un accès direct aux paramédicaux hors de tout cadre reviendrait à "provoquer la disparition" du métier. Tout au moins de son essence. "On met les professions en concurrence et ça, c’est désastreux", explique la Dre Giannotti, qui dit tenir à "l’interprofessionnalité". "Là, on dégoûte tous les médecins généralistes."
La députée Stéphanie Rist a pourtant assuré que l’exercice des IPA, kinés et orthophonistes "ne se ferait pas de façon isolée", listant les modes de coordination dans lequel ils devront s’inscrire : établissements de santé ou médico-sociaux, équipes de soins primaires, maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), centres de santé ou encore CPTS*. Pour les généralistes, "la ligne rouge" a malgré tout été franchie avec les CPTS. "On y tient aux CPTS. Il ne faut pas que ça devienne un alibi de dérégulation", alerte la Dre Giannotti qui craint que les soignants "s’affrontent" au sein de ces communautés professionnelles. Ce qui, à en croire l’assemblée présente, semble être déjà le cas parfois… Pour le Dr Saynac, "l’interprofessionnalité est un sujet qui mérite un peu de finesse, qui mérite d’être préparé". Les projets de loi actuels, "mal calibrés voire dangereux", obligent les généralistes à les combattre, afin d’éviter "de susciter des guerres fratricides". "Personne ne ressort gagnant de cette mise en concurrence", juge par ailleurs le Dr Paul Frappé, président du Collège de médecine générale (CMG). "Il y a encore des réticences" Conscients du défi de l’accès aux soins qui se dresse devant eux, les généralistes, qui réalisent déjà près d’1 million de consultations par jour, se disent toutefois prêts à travailler en équipe. Une enquête réalisée du 9 décembre 2022 au 3 janvier 2023 auprès des adhérents du syndicat montre que 73% sont d’accord pour voir plus de patients si on leur donne plus les moyens : en premier lieu un assistant médical, mais aussi une secrétaire médicale et une infirmière Asalée ; les trois premiers interlocuteurs favorisés. 83% des sondés ont par ailleurs envie de travailler en interprofessionnalité, de collaborer, à condition de garantir la place "cardinale" du médecin traitant. "Seuls 2% des internes de médecin générale veulent travailler en solo", ajoute le président de l’Isnar-IMG, Raphaël Presneau. Si dans d’autres pays en Europe (Suisse, Royaume-Uni, Italie, Espagne) et ailleurs (Etats-Unis, Québec), on observe une grande variété de modèles d’équipes et de coopération, en France, les généralistes soulignent de multiples obstacles, à commencer par la question des locaux. Or, selon le Dr Saynac, "créer une alchimie" entre les professionnels "ne peut fonctionner que si on travaille au même endroit". "Une équipe doit communiquer. Or communiquer, ce n’est pas informer ou envoyer un courrier." Est également soulevée la question de la confiance dans la pérennité des financements de l’Assurance maladie, ou encore les démarches et les responsabilités liées à la fonction d’employeur. "Il y a encore des réticences, notamment la peur d’être pieds et mains liés ou la peur de la charge administrative" induite par un travail en équipe, reconnaît le Dr Quentin Boyez, MG à Ostricourt. Cet exercice coordonné "ne résout pas complètement la charge de travail", admet Dominique Polton, présidente du Haut Conseil scientifique de l'EHESP. Mais, avance le DG de la Cnam, il apporte une sérénité aux médecins. Afin de libérer du temps médical, le nerf de la guerre, Thomas Fatôme a dit souhaiter construire et accélérer le déploiement des solutions plébiscitées par les médecins : des assistants médicaux d’abord, des MSP, soutenir les équipes de soins primaires et spécialisés. Mais le DG de la Cnam a aussi appelé les syndicats médicaux à entendre les "signaux" lancés par les élus, confrontés sur le terrain au désarroi de leurs administrés. A ce jour, 6 millions de Français – dont 657 000 en ALD – sont toujours dépourvus de médecin traitant. "La profession est capable de s’adapter", assure la Dre Giannotti. Mais "l’équipe traitante ne peut être que l’équipe du médecin traitant". Ce dernier doit "être la porte d’entrée dans notre système", a approuvé le ministre. Néanmoins, il est "de mon devoir de ministre de résoudre des situations de santé que ne pouvons accepter". S’il juge que les "médecins ne sont pas responsables de la dégradation de notre système de santé", qui est le fait "de décennies de politiques court-termistes", "nous serions collectivement tous responsables de ne rien faire aujourd’hui". Ainsi, François Braun a expliqué que le médecin traitant ne pouvait "plus être l’homme d’orchestre mais le chef d’orchestre", accompagné de "solistes". "Je serai attentif à ce qu’il n’y ait pas de fausses notes", a-t-il promis. Un plan Marshall des soins primaires Face à une assemblée dubitative, Thomas Fatôme a lancé une perche aux syndicats. "On a quatre semaines devant nous" pour trouver un "compromis". "Est-ce que vous voulez construire avec nous des réponses pour faire face aux défis qui sont devant nous ?" Des moyens doivent être mis sur la table pour avancer, et en premier lieu, "des mesures concrètes" d’urgence, "a minima que la remise à niveau en tenant compte de l’inflation de la consultation de base du médecin traitant soit conditionnée à rien du tout", réclame Agnès Giannotti. Si l’invitation à reprendre le dialogue a été entendue, MG France maintient : il ne "signera pas une convention qui comprendrait des contraintes pour une profession à bout de souffle". "Pour protéger les généralistes mais, surtout, pour éviter qu’ils partent", a conclu leur cheffe de file. Cette dernière a enfin réclamé un "plan Marshall précisant la place et l’organisation des soins primaires dans le système de soins et la place des médecins généralistes". Ce plan Marshall, "créons-le ensemble, a aussitôt répondu François Braun. Les vents seront parfois contraires, les vagues, pas toujours dans le bon sens, il y aura même des avis de tempête, du tangage, du roulis, mais vous pouvez compter sur moi pour tenir fermement la barre mais aussi pour adapter la route, avec comme seule boussole, prendre soin des Françaises et des Français et de ceux qui les soignent." *Un volet dédié devra être inscrit dans le projet de santé de la CPTS.
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