Comment la Cour des comptes veut éradiquer le secteur 2

21/09/2017 Par Catherine le Borgne
Economie

Conventionnement sélectif des spécialistes en zones surdotées, contrat de modération tarifaire obligatoire en zones sous-denses, révision régulière de la nomenclature, durcissement des sanctions en cas de pratiques tarifaires excessives…. Ça décoiffe. Considérant que le contrat d'accès aux soins (CAS) est un échec très couteux, c'est une cuisson à gros bouillons que la Cour des comptes a imaginée pour dissoudre sans états d'âme les spécialistes en secteur 2, bien trop nombreux à ses yeux.

La France n'a jamais compté autant de médecins spécialistes, pourtant le temps d'attente pour un rendez-vous auprès de ces professionnels n'a jamais été aussi long dans certaines zones et certains territoires. Et malgré l'accord conventionnel (avenant N° 8 à la convention médicale) réformant la pratique des honoraires libres en créant le contrat d'accès aux soins (CAS*), jamais la croissance des dépassements d'honoraires n'a été aussi vive, et jamais les médecins en secteur 2 n'ont été aussi nombreux (de 39,6 % en 2006 à 44,3 % en 2015). D'ailleurs, leur nombre va encore augmenter puisqu'en 2015, 61 % des nouvelles installations en cabinet ont eu lieu en secteur 2… Voilà les constats qui ont poussé la Cour des comptes, observant à la loupe les causes du déficit structurel de l'assurance maladie, à s'attaquer à bras le corps à la situation des spécialistes en honoraires libres dans notre pays.  

Pour 10 euros de fonds publics, 1 euro de dépassement évité

  Dans son rapport sur l'application des lois de financement de la Sécurité sociale, qu'il a présenté hier mercredi, le Premier président de la Cour, Didier Migaud, n'y va pas par quatre chemins. Et puisqu'un petit dessin vaut mieux qu'un long discours pour toucher les Français il met en regard le poids du CAS pour la collectivité (prise en charge des avantages sociaux du signataire, augmentations ciblées, meilleur remboursement des patients, soit 320 millions d'euros entre 2013 et 2015) et l'avantage que la collectivité en a tiré : 35 millions d'euros. "L'assurance maladie ne dépense pas moins de 10 euros de fonds publics en incitations financières pour éviter un euro supplémentaire de dépassements des honoraires conventionnels", a-t-il souligné alors que dans le même temps, le montant total des dépassements honoraires des médecins de secteur 2 a continué d'augmenter, plus modérément, certes. Le diagnostic est sans appel. Pour la Cour, le dispositif conventionnel mis en place n'a remporté que des "résultats limités et très coûteux", considérant de plus que le successeur du CAS, l'Optam – né de la dernière convention – accentue les avantages alloués, afin de le rendre encore plus attractif notamment auprès chirurgiens, par le biais d'un contrat spécifique.

 

A lire également : Déficitaires, coûteux et trop subventionnés : les établissements de santé de la Sécu étrillés par la Cour

  Soulignant en outre que la nouvelle convention accorde "438 millions d'euros de revalorisation d'actes en faveur des spécialistes, pour l'essentiel inconditionnelle", la Cour considère qu'il est temps de siffler la fin de la partie. Et de passer à d'autres mécanismes de régulation:

  1. Révision plus fréquente de la nomenclature des actes techniques, afin de tenir compte des gains de productivité entre les praticiens et les financeurs,
  2. Réorientation des aides de l'assurance maladie et de l'Etat à l'installation des spécialistes dans les zones sous-dotées "porteuses d'effet d'aubaine", vers le soutien à un exercice dans un cadre pluriprofessionnel, permanent ou intermittent sous la forme de consultations avancées,
  3. Conventionnement sélectif des spécialistes, qui auront l'obligation de s'installer en secteur 1 dans les zones sur-dotées, les spécialistes en secteur 2 de la zone étant encadrés par un objectif de progression de leurs actes en tarifs opposables,
  4. Possibilité pour les spécialistes en secteur 2 de s'installer en zones sous-denses, mais obligation de souscrire à l'Optam, qui deviendrait obligatoire.

Et pour agrémenter le tout la Cour suggère d'expérimenter un mécanisme d'enveloppe globale et modulable des dépenses de soins de spécialité par patient, notamment pour la prise en charge des pathologies chroniques. En cas de constat de pratiques excessives, elle recommande également de durcir les sanctions en allongeant les durées de suspension temporaires du droit à dépassement et rendre, le cas échéant, les déconventionnements effectifs. Autant de préconisations qui ont fait hurler le SML, fervent défenseur de la liberté des honoraires, qui voit dans cette potion un "réquisitoire anti-libéral (…) dont la violence interroge sur les objecfifs poursuivis ". Sonné par ce "plaidoyer contre la médecine libérale, son mode de rémunération qu’il faudrait dynamiter et du procès en sorcellerie fait aux spécialistes en secteur 2", le SML comprend que la Cour des comptes "est restée alignée sur la planète de Mme Touraine et qu’elle n’aspire qu’à une étatisation pure et simple de la médecine de ville", siffle le syndicat du Dr Vermesch.  

Coupable idéal

  Même accueil glacial à la CSMF, pour qui la Cour des comptes se "trompe encore de cible" et aurait trouvé dans la médecine libérale "le coupable idéal de la hausse des dépenses d'assurance maladie et des inégalités d'accès aux soins". La centrale affirme que le CAS (qu'elle a négocié avec la Cnam) a permis de réduire les dépassements d'honoraires, dont le taux moyen pour les médecins signataires du contrat est passé de 28,4 % à 22 % en 2015. Elle estime que les mesures préconisées par la Cour n'auraient pour résultats que d'éloigner les jeunes d'une installation en libéral, "effrayés par la dérive bureaucratique et la lourdeur de l'exercice libéral". Comme le veut la loi, ce rapport a été transmis aux parlementaires, dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la Sécurités sociale, qui sera officialisé le 28 septembre. Aux politiques, maintenant, de choisir ce qu'ils conservent ou oublient du brulot de la Cour.   *Créé en 2013, le contrat d'accès aux soins engage le praticien en honoraires libres ou le médecin en secteur 1 suffisamment titré pour y accéder, installés avant 2013, à ne pas réduire leur part d'activité en secteur 1 et à stabiliser leur taux de dépassement par rapport à leur pratique de l'année 2012. En contrepartie, ces praticiens ont bénéficié d'augmentations différenciées d'actes techniques, de l'application de majorations réservées au secteur 1, et de la prise en charge au 3/4 par les caisses, de leur protection sociale (ASV et assurance maladie), en proportion de l'activité exercée en secteur 1. Les patients, par ailleurs, sont mieux remboursés que s'ils avaient consulté en praticien en secteur 2 hors contrat.  

"Des pratiques qui affectent la sincérité de l'Ondam"
Bon, on le sait depuis des années, l''assurance maladie est l'homme malade de la Sécurité sociale", tiré vers le fond par un déficit structurel qu'elle ne parvient toujours pas à endiguer. Plus que la branche retraite qui parvient vaille que vaille à s'équilibrer (grâce à d'importants transferts sur le Fonds de solidarité vieillesse) et malgré l'amélioration "fragile de la situation en 2016", notée par la Cour des comptes. Année électorale exige, la présentation de la situation de la Sécurité sociale n'a pas échappé à quelques "aménagements" de bon aloi, permettant à Marisol Touraine d'afficher un grand sourire et un bilan de redressement des comptes quasiment historique. "Pratiques qui entachent la sincérité de l'Ondam", regrette la Cour. Mais artifices habituels avant une élection. Sobrement, dans son rapport sur l'application des lois de financement de la Sécurité sociale, la Cour relève, certes, des évolutions positives: "le déficit du régime général et du FSV est revenu, pour la première fois, à un niveau inférieur à celui de l'avant-crise", soit 7,8 milliards de trou, contre -30 milliards en plein cœur de la crise, en 2010; et le déficit structurel s'est réduit de 0,1 %, sans mesures d'augmentation de recettes. Du coup, la dette sociale a poursuivi le mouvement de reflux entamé en 2015.
Mais la maladie est toujours malade. "La réduction du déficit de l'assurance maladie, corrigé du produit exceptionnel de la CSG (740 millions d'euros), se révèle marginale : - 5,5 milliards d'euros en 2016 , contre – 5,8 milliards en 2015, soit une baisse de 0,3 milliard d'euros", a relevé Didier Migaut, le Premier président de la Cour des comptes mercredi matin. Le déficit de l'assurance maladie continuera de constituer "l'essentiel" du déficit de la Sécurité sociale," la dynamique des dépenses reste forte". Ainsi, accuse-t-il, la progression réelle des dépenses est pour partie masquée par les biais de plus en plus marqués : certaines dépenses sont rattachées à l'année suivante, d'autres sont sorties du périmètre de l'Ondam (fonds de l'innovation pharmaceutique de 220 millions en 2017), d'autres dépenses sont reportées sur d'autres financeurs publics si bien qu'au total, "une part croissante des dépenses échappe à l'Ondam", qui perd une partie de son sens. Une fois neutralisés ces divers biais et artifices, ce n'est pas de 1,8 % que l'Ondam a progressé en 2016, mais de 2,2 %. Pour 2017, son augmentation prévisionnelle n'est pas de + 2,1 % comme affiché, mais de + 2,4 %, prévient la Cour.

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