Retraite : pourquoi le régime universel menace les médecins libéraux

28/02/2019 Par Catherine le Borgne
Un rapport de l’économiste Frédéric Bizard*, commandité par l’UFML-S du Dr Marty, pointe pour les libéraux les écueils qui découleraient de la mise en place du futur régime universel de retraite voulu par Emmanuel Macron. Des médecins libéraux s’organisent avec la Carmf pour faire amender le projet que le Gouvernement, avant le mouvement des Gilets jaunes, prévoyait de présenter à l’été. Pour une mise en place en 2025.

  Un monde les sépare. Il y a d’un côté, la voix doucereuse et le physique patelin de Jean-Paul Delevoye, Haut-commissaire à la réforme des retraites, qui garantit tout en rondeur que le nouveau système opérationnel en 2025 instaurera l’équité de traitement entre tous, libéraux comme salariés, prendra en compte chaque euro cotisé et protégera des aléas de carrière.   Et de l’autre côté, le rapport alarmiste de 80 pages du très libéral Frédéric Bizard, qui décrit que cette réforme entraînera la destruction du régime de retraite très spécifique du médecin libéral conventionné, régime pour partie co-géré en bon père de famille par la profession, épaulé sans défaillance par les caisses pour le financement de l’ASV, malgré le coût énorme de la facture. Et gonflé des 7 milliards d’euros de réserves du régime complémentaire, constituées au fil du temps pour amortir l’impact de la décrue démographique qui va faire souffrir la profession jusqu’en 2030. 7 milliards… soit 10 fois le montant des réserves du régime Agirc-Arcco, qui bat sérieusement de l’aile. De quoi faire briller les yeux des argentiers de Bercy (qui ne s’en cachent guère), et faire redouter tant aux gestionnaires de la Carmf qu’aux syndicat médicaux un braquage en règle de "leur argent" patiemment épargné.   Un déficit de 20 000 cotisants dans 10 ans Mais le déficit démographique (55% des médecins libéraux ont plus de 55 ans) couplé à la faible appétence des jeunes médecins pour la médecine libérale, constaté ces 15 dernières années est bien réel, même s’il n’est pas inéluctable, veut croire Frédéric Bizard. Ce sont d’ailleurs ces mauvaises courbes qui avaient amené Jean-Paul Delevoye, il y a quelques mois, à prophétiser la fin prochaine de l’exercice libéral, ce qu’il a probablement anticipé dans son projet de retraite universelle. Déclarations ayant suscité en retour la colère du Dr Thierry Lardenois, le président de la Carmf, lequel avait fermement recadré le Haut-commissaire, en soulignant qu’au bout de 10 ans, le taux d’installation en médecine libérale montait à 41 %.

Ces données sont reprises dans le rapport Bizard, ou l’auteur insiste, de plus, sur l’engouement des libéraux pour le cumul emploi-retraite, qui devrait séduire 35 000 libéraux en 2025. L’un dans l’autre, le déficit attendu de ce mode d’exercice ne serait plus que de 20 000 médecins cotisants dans 10 ans par rapport à aujourd’hui (123 000 cotisants). "Le régime universel met en jeu l’avenir du système libéral", a martelé Frédéric Bizard lors de la présentation de son rapport, début février, sous les hochements de tête approbateurs du Dr Marty. "La mise en place d’une réforme systémique est nécessaire pour le pays, mais ne peut se traduire par un régime unique étatique supprimant la solidarité professionnelle."   Que deviendra l'ASV? Autres sujets d’inquiétude : le mode de financement. Aujourd’hui, les médecins libéraux conventionnés supportent un effort contributif de 20 % environ, contre 15 % pour les professions libérales et 28 % pour les salariés (dont la moitié de la charge est acquittée par l’employeur). Le différentiel entre les médecins et les salariés est essentiellement dû à la prise en charge par les caisses des deux tiers du montant de la cotisation ASV pour les médecins du premier secteur ou ayant souscrit à l’Optam. Pour un revenu de 80 000 euros, le "bonus" ASV représente 6 000 euros, explique Frédéric Bizard. Qu’adviendra-t-il de cette spécificité considérée comme des honoraires différés, née avec le système conventionnel en contrepartie de l’application de tarifs négociés et plafonnés, dans un régime universel où tout le monde devra cotiser au même taux ?  L’UFML craint une augmentation des cotisations sans accroissement de droits… Ces interrogations sont reprises par la FMF du Dr Jean-Paul Hamon, qui demande avec le Dr Marty que la profession conserve la gestion de son régime complémentaire, déjà réformé par un système par points, le "temps choisi" mis en place par la Carmf et effectif depuis 2017. Il est dorénavant basé sur le principe d’un âge de départ pivot à 62 ans, d’une décote qui s"appliquererait avant  et d’une surcote cumulable ensuite pouvant atteindre 30 % à 70 ans. "Une réforme Macron avant l’heure", a coutume de résumer le président Lardenois, bien décidé à se battre pour la survie de sa caisse.

Dernier point, et non des moindres : on ne sait pas comment le Gouvernement envisage la  gouvernance de ce gigantesque régime universel, où le principe de solidarité des médecins entre eux ne sera plus de mise. Le Dr Marty redoute la mise en place d’un système étatique où les partenaires sociaux n’auront plus leur place ni leur mot à dire. Il veut mobiliser la profession contre les risques de cette réforme, écrire une lettre ouverte à Agnès Buzyn et enfin, constituer un groupe de travail avec la Carmf pour faire des propositions alternatives et consensuelles.  Le Gouvernement avait prévu de présenter son projet avant l’été, donc le temps presse. Mais c’était avant que le mouvement des Gilets jaunes ne détraque toutes les pendules. Jean-Paul Delevoye demeure officiellement confiant, l’ancien ministre sachant fort bien quelle serait l’option du Gouvernement en cas de menace d'un nouveau front social.   * Analyse économique et perspective d’avenir du système de retraite des médecins libéraux. Frédéric Bizard pour l’UFML.    

Ce que l'on sait de la réforme

Lors d’une rencontre avec les partenaires sociaux et la presse, en octobre dernier, Jean-Paul  Delevoye, le Haut-commissaire à la reforme des retraites, a dévoilé les conclusions de la première phase de consultations devant aboutir à la constitution du régime universel de retraite en 2025. Le nouveau système universel qui englobera les 42 régimes obligatoires existants sera à la fois par répartition, comme aujourd’hui, pour servir les droits acquis, et par points.

Afin d’y parvenir, le législateur devra élargir l’assiette de cotisations actuellement en place pour le régime général du privé, et inclure tous les cotisants jusqu’à 3 Pass (plafond annuel de la Sécurité sociale, soit environ 120 000 euros de revenus), contre 1 Pass actuellement. On ne savait pas en octobre dernier ce qu’il adviendra des 300 000 assurés sociaux qui ont des revenus supérieurs à cette somme, et peuvent, dans le privé, continuer à cotiser à l’Agirc-Arcco jusqu’à 6 Pass. A la Carmf, 35 % des cotisants sont au-dessus des 3 Pass de revenus. La majorité des 65 % restant devrait donc sortir de la caisse autonome pour passer dans le régime universel, signant ainsi, selon le président Thierry Lardenois, la disparition de la Carmf qui n’aurait plus qu’un trop petit portefeuille à gérer.

Dans le cadre de la réforme, chaque jour travaillé sera pris en compte, et il en sera fini des 25 meilleures années qui sont la référence dans le privé comme des 6 derniers mois dans le public ainsi que du nombre minimum d’annuités nécessaire pour atteindre le taux plein.

Autre promesse : le taux de cotisation sera identique pour tous : 28 % (contre moins de 20 % pour les médecins libéraux, qui bénéficient de la participation des caisses au financement de l’ASV des médecins conventionnés). Les indépendants, qui cotisent actuellement autour de 15 % sur leur rémunération nette, auront un traitement à part. Les primes des fonctionnaires seront intégrées et prises en compte.

Des droits familiaux seront accordés dès le premier enfant, contre trois aujourd’hui. Les pensions de veuvages seront maintenues.

L’âge de départ à la retraite restera de 62 ans, les assurés à moins de 5 ans de la retraite ne seront pas concernés par la réforme.

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