
Téléconsulter un médecin en pleine nuit, c'est désormais possible : "C'est de l'hyper-consumérisme"
Fin mars, la plateforme de téléconsultation Livi a étendu son accès 24 heures sur 24. Une initiative qui interpelle les médecins.

Pour une plateforme de téléconsultation française, c'est une première. Depuis le 25 mars dernier, Livi est accessible "24 heures sur 24, 7 jours sur 7". Si la société suédoise, implantée en France depuis 2018, a souhaité étendre ses plages de consultation à la nuit profonde, c'est -dit-elle- pour améliorer l'accès aux soins.
"On s’est aperçu qu’il y avait certains patients [travaillant en] horaires décalés qui, pour une pathologie simple mais ennuyeuse - comme une angine, une gastro...- avaient parfois besoin de consulter à des heures tardives ou avant de prendre leur service pour, soit être soigné et pouvoir continuer à travailler ou, à l’inverse, avoir un arrêt de travail en bonne et due forme pour éviter de prendre des risques professionnels majeurs", explique le Dr Nicolas Leblanc, directeur médical de la plateforme en France. Avant l’ouverture des premiers rendez-vous, la plateforme remarquait également de nombreuses files d’attente. Ouvrir des créneaux plus tôt est aussi "une manière de fluidifier l’accès un peu avant nos horaires d’ouverture", ajoute-t-il.
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Non
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"Pour moi, il n'y a pas de besoin"
Mais pour le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, les organisations territoriales de garde répondent déjà à ce besoin. "Aujourd’hui, partout en France, si on a un enfant qui a 40 de fièvre à 2 heures du matin, ou quelqu’un avec une douleur précordiale, on appelle le 15, répond-t-il. On a la possibilité de donner des conseils, d’envoyer une ordonnance pour la pharmacie de garde ou de déclencher une ambulance pour envoyer vers un service d’urgence ou vers un médecin effecteur", rappelle-t-il. Installé en Mayenne, le généraliste assure la PDSA, et est lui-même médecin régulateur. "Quand j’ai ce type de patient entre 6 heures et 7 heures du matin, je renvoie vers le SAS, poursuit le généraliste. Donc pour moi, il n’y a pas de besoin."
Arrêts maladie
Il reste cependant la problématique de l’arrêt maladie. "Quand quelqu’un est malade à 4 heures du matin, il peut appeler dès l’ouverture le secrétariat de son médecin traitant, indique le Dr Duquesnel. Mais si le seul besoin justifié par Livi pour mettre en place [ce nouvel accès 24h/24], c’est [de] faire des arrêts de travail, ça confirme toutes les évaluations et les études qui ont été faites par la Cnam : ceux qui utilisent ces téléconsultations sont des personnes jeunes dans le cadre d’un hyper-consumérisme des soins et en effet pour les arrêts de travail."
À Strasbourg, le Dr Djilali Saïche, généraliste et secrétaire général de la Fédération des médecins de France (FMF), est également de son avis. Il ne participe pas à la PDSA, mais réalise quelques téléconsultations, dont 90% avec ses propres patients. Il confie avoir déjà reçu des retours de patients qui, après avoir pris rendez-vous sur une plateforme de téléconsultation, ont repris rendez-vous avec lui. "Quand je leur demande pourquoi ils reprennent rendez-vous alors qu’un autre médecin les a déjà pris en charge, ils répondent que ‘ça allait tellement vite’". Lui n’a jamais exercé sur une plateforme de téléconsultation, mais reconnaît que certains patients font "deux voire trois consultations dans la même journée parce qu’ils font plusieurs plateformes".
Concernant les demandes reçues la nuit, sans caractère d’urgence, elles "pourraient attendre le lendemain, reconnaît Nicolas Leblanc, mais pour voir qui ? Ça ne me paraît pas être une demande illégitime de dire ‘je me tords de douleurs, je veux un avis médical qualifié, un traitement que je peux prendre le matin avant d’aller au travail, pour assumer ma journée et éviter de prendre un risque social quant à mon emploi.’ Ce n’est peut-être que quelques centaines de demandes par jour, mais elles me paraissent recevables." Il sait déjà que, dans le lot, certaines demandes de téléconsultation ne le seront pas. "Est-ce qu’on va récupérer des demandes abracadabrantesques ? Sans doute dans la masse. Mais qui peut se prévaloir de n’avoir que des demandes pures et qualifiées ?", s’interroge-t-il.
Quel bénéfice pour les médecins ?
Livi a également reçu des messages de "quelques dizaines" de médecins déclarant être "disponibles la nuit pour répondre à cette demande". La plateforme tient tout de même à rappeler que ce nouvel accès "n’est pas un objectif de développement en tant que tel. C’est une activité auprès d’une demande qui existe", insiste le directeur médical. Le Dr Saïche a, quant à lui, du mal à voir l’avantage que gagnent les professionnels avec ce nouvel accès. Les téléconsultations sur la plateforme Livi qui auront lieu la nuit ne seront, en effet, pas majorées. Le tarif sera donc le même qu’en journée, à savoir 25 euros. "Il n’y aura pas de bénéfice de facturation, mais il y a bien un bénéfice quelque part ? Personne ne le ferait s’il n’y avait pas un avantage", juge-t-il.
Avec ce nouvel accès 24h/24, Nicolas Leblanc estime que les patients qui se rendent aux urgences sans un motif véritablement justifié pourront aussi être évités, en se dirigeant vers Livi. Il entend ainsi voir un "gain d’efficience" pour l’ensemble du système de santé. "C’est un gain pour le patient parce qu’il ne perd pas de temps et c’est un gain pour le médecin parce qu’au moins le temps médical aux urgences est consacré à la vraie urgence."
Un argument que dément fermement le président des Généralistes-CSMF. "C’est entièrement faux. L’accès aux urgences est régulé par le SAS et par la PDSA." Pour le Dr Saïche, "le régulateur est capable de faire la part des choses entre ce qui nécessiterait une téléconsultation ou une consultation en présentiel ou un passage aux urgences. Mais là, c’est un accès direct du patient à la plateforme. Ça pourrait rendre service, mais avec une régulation."
"La nuit est un moment anxiogène"
Un autre point avancé par Livi concerne la prise en charge de la santé mentale. "On sait que la nuit est un moment anxiogène. Parallèlement, on voit qu’il y a une grande difficulté d’accès à la santé mentale. On suppose pouvoir apporter un peu d’accès aux soins. On ne va pas traiter de la psychose lourde, mais entre rien et quelque chose qui permet de mettre le pied à l’étrier dans le système de soin, voilà ce qu’on peut faire très modestement et humblement", indique le représentant de la plateforme. À court terme, ce sont les téléconsultations de médecine générale qui sont proposées la nuit sur Livi.
Luc Duquesnel le rejoint sur l’enjeu que pose la nuit en santé mentale, car lui aussi est confronté à ces patients. "C’est vrai que je reçois plus ces appels à minuit quand les flux sont moins importants. Les personnes savent qu’on va pouvoir passer plus de temps avec eux." Sauf en cas d’urgence, lui redirige ces patients vers des numéros nationaux, comme le 3114 pour la prévention du suicide. "Ils fonctionnent 24 heures sur 24 et les patients ne sont pas confrontés à un modèle économique, qui doit être rentable."
Des assises de la télémédecine en juin
Si Livi a aujourd’hui sauté le pas, qu’en est-il de Qare, la plateforme qui reçoit 7 millions de téléconsultations par mois ? Elle a confié qu’ouvrir son accès la nuit "n’était pas un projet à court terme. Notre modèle actuel, de 6 heures à 23 heures, 7 jours sur 7, correspond aux habitudes de téléconsultation des patients Qare". La plateforme explique également ne pas recevoir de "signal significatif" de patients, "que ce soit en termes de trafic sur notre plateforme, de remontées de la communauté médicale ou de sollicitations auprès de notre service client", qui souhaiteraient téléconsulter la nuit.
Également interrogée, l’Assurance maladie a indiqué être "attentive à ce que l’offre des sociétés de téléconsultation s’inscrive en bonne articulation avec l’offre de soins existante dans les territoires, particulièrement dans le cas des soins non programmés en lien avec la régulation/la permanence des soins". Des discussions auront lieu sur ce sujet, avec les parties prenantes, lors des Assises de la télémédecine, qui auront lieu fin juin.
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