"On veut convaincre qu'on ne fait pas du mauvais boulot" : les médecins des plateformes de téléconsultation se fédèrent
Alors que la pratique de la téléconsultation a explosé depuis la crise sanitaire, les médecins salariés des plateformes ont décidé de se regrouper. Une Fédération des médecins téléconsultants (FMT), dont le but est "d'assurer la défense des droits matériels et moraux" de ces praticiens, vient de voir le jour. Car bien que plébiscitée par les patients, la pratique fait l'objet de nombreuses réserves de la part des instances et organisations médicales. Le Dr Dominique Souvestre, médecin retraité exerçant chez Medadom et premier président de la fédération, entend bien prouver à ses confrères que téléconsultation peut rimer avec excellence et éthique. Entretien.
Egora : Quand est née l'idée de créer cette fédération ? Qui en est à l'origine ?
Dr Dominique Souvestre : Cette fédération s'adresse à tous les médecins salariés de toutes les plateformes, quelles qu'elles soient, mais le projet est parti de chez Medadom. Au mois de février 2024, la Dre Valérie Besset, qui occupe le poste de présidente honoraire de la fédération, a lancé l'idée. Elle m'a tout de suite embarqué dans le projet. Trois autres médecins de la plateforme se sont greffés à nous. Nous n'avions pas tellement envie de nous lancer seuls. C'est pour cela que Medadom nous aide de différentes manières, même si l'initiative vient des médecins. On pourrait aussi se faire aider par d'autres "partenaires experts" à l'avenir.
Avez-vous déjà des membres ?
Après avoir fait germer notre idée, nous avons déposé les statuts pour la création de notre fédération. Ils sont parus au Journal officiel le 4 juin dernier. Depuis ce lundi [24 juin], notre site internet est disponible. Il permet à tous les médecins salariés téléconsultants de s'inscrire. Nous attendions vraiment son lancement avant de communiquer. Nous avons déjà une cinquantaine d'inscriptions.
Combien de médecins pourriez-vous représenter ?
Quand je suis entré chez Medadom en 2021, nous étions 150 médecins. Aujourd'hui, nous sommes 850, avec à peu près 30% de retraités. Depuis le début de ce projet collectif, nous avons créé un canal dédié sur notre forum interne, sur lequel nous avons demandé à nos collègues intéressés de s'inscrire volontairement. 150 se sont inscrits sur ce canal. Ce sont donc des candidats potentiels qui vont sûrement concrétiser leur adhésion à la Fédération des médecins téléconsultants (FMT) prochainement. Ensuite nous ferons probablement de la publicité auprès des autres plateformes. Pour l'instant, elle est embryonnaire.
Quel sera votre combat ?
Nous allons orienter nos actions autour de cette limite de 20% du total annuel des actes en téléconsultation par médecin. La nouvelle convention qui vient d'être signée confirme un peu les termes de l'ancienne, mais il y avait auparavant une forme de vide juridique pour les plateformes. Le nouveau texte conventionnel est très clair : il stipule que ce seuil de 20% s’applique "à titre individuel aux médecins salariés des plateformes de téléconsultations". Initialement, nous voulions nous battre pour faire augmenter ce seuil (à 50%), voire le supprimer. Mais c'était illusoire.
Dans la nouvelle convention, il est inscrit que "des exceptions à ce seuil maximal d’actes, notamment pour les médecins retraités, pourront être décidées en CPN [commission paritaire nationale]". Notre combat va donc se porter sur ces dérogations. Nous souhaitons qu'elles s'appliquent aux médecins retraités, mais aussi aux femmes médecins enceintes, aux mères de jeunes enfants, aux médecins porteurs de handicap ou malades. La mutation professionnelle du conjoint pourrait aussi être considérée comme un motif valable.
Des dérogations liées à la situation des patients, cette fois, pourraient aussi être mises en place. On défend le fait que pour les patients [résidant] dans les déserts médicaux ou qui n'ont pas de médecin traitant, en période d'épidémie ou en période de vacances, ces actes ne soient pas comptabilisés.
Comptez-vous vous rapprocher de syndicats représentatifs de médecins libéraux pour vous soutenir dans ce combat ?
Nous savons que les syndicats médicaux en général ne sont pas très favorables à la téléconsultation. On tentera peut-être des manœuvres d'approche mais on n'en attend pas grand-chose…
Comment cela se passe pour les médecins qui dérogent à ce seuil de 20% ? Vous, par exemple, vous faites 100% de téléconsultations…
Avant d'être chez Medadom, j'étais généraliste dans le 93. En mars 2021, j'ai fermé mon cabinet, et j'ai enchaîné avec cette nouvelle activité. Mon conseil de l'Ordre m'a dit de m'inscrire auprès de l'Ordre de Paris. Ce que j'ai fait, et je n'ai rencontré aucune difficulté. L'avenant 9 à la convention médicale qui a instauré cette règle de 20% est paru en septembre 2021. Depuis 2022, certains médecins éprouvent des difficultés vis-à-vis de l'Ordre des médecins. J'ai moi-même reçu un courrier recommandé de l'Ordre de Paris cette année-là, récapitulant les réserves de l'instance sur la pratique de la téléconsultation. Certains ont fait face à des problèmes pour s'inscrire. J'ai eu vent de cas de praticiens ne résidant pas dans la capitale qui ont vu leur inscription refusée. La plupart des ordres de province qui récupèrent des médecins de cette façon-là imposent du présentiel. Mais, selon les CDOM, les règles ne sont pas tout à fait les mêmes : tantôt on impose les 20% de façon stricte, tantôt on impose un peu de présentiel mais sans exigence sur le taux ; il y a aussi des conseils qui laissent faire.
Quelles réserves reviennent dans le discours des instances ou des syndicats de médecins à propos de la téléconsultation ? Les comprenez-vous ?
Ce qui m'irrite beaucoup, c'est quand on critique les médecins retraités [qui travaillent pour des plateformes de téléconsultation]. Nous ne sommes pas obligés de continuer à travailler ! Si on nous interdit la téléconsultation, nous irons à la pêche ou faire autre chose. Il y a aussi un argument "anti-téléconsultation" qui est de dire que l'on risque de perdre notre compétence. Ce que je conteste. J'ai 40 ans de pratique : en quelques années, je ne pense pas trop perdre de la compétence.
On entend aussi dire que les plateformes de téléconsultation détournent des médecins qui se seraient installés autrement. C'est vrai que c'est devenu tellement compliqué de s'installer en libéral aujourd'hui… Cet argument peut se défendre. Il vaudrait mieux des médecins en présentiel que des médecins en visio. Mais l'avantage avec la téléconsultation, c'est qu'on a des médecins dans toute la France. Les médecins sont demandeurs, notre effectif chez Medadom a beaucoup augmenté, donc c'est une solution opérationnelle dès maintenant : pas pour résoudre les déserts médicaux, mais pour aider un peu les patients ! Le patient qui a un médecin traitant disponible n'a aucune raison de nous appeler. On est là un peu comme les médecins de garde d'antan.
On tape souvent sur la téléconsultation, moi je la défends. Et je suis très content parfois de faire changer d'avis certains collègues, notamment sur des groupes Facebook de confrères. Je suis très partisan de la téléconsultation, même en dehors du Covid et de la pénurie médicale. Je crois en son avenir.
La fédération ambitionne d'être "une force motrice dans l'évolution de la télémédecine". Au regard de la démographie médicale, quel est l'avenir de cette pratique ?
Pour la téléconsultation, il y a des motifs parfaits, des motifs intermédiaires – très imparfaits mais acceptables en période pénurie médicale – et des motifs impossibles (les certificats de sport par exemple). Si un jour nous avons assez de médecins, comme la situation que j'ai pu connaître par le passé, il ne restera que des motifs "parfaits" : des dépannages le weekend, etc. Mais le champ d'action aujourd'hui est, il est vrai, un peu trop étendu par rapport aux prestations possibles en téléconsultation. On est parfois amenés à faire des téléconsultations discutables, mais les gens n'ont pas le choix… On est amenés à bricoler parce qu'il n'y a pas assez de médecins.
Vous voulez néanmoins œuvrer "pour une intégration efficace et éthique" de la télémédecine dans le système de santé, et garantir des soins de qualité…
Chez Medadom, pour les arrêts de travail qui sont souvent un motif d'abus, on applique depuis longtemps des règles, qui ont d'ailleurs été légalisées cette année. Par exemple, celle des trois jours maximum en arrêt de travail sans prolongation. Il faut savoir dire non aux patients. Un médecin un peu laxiste va laisser faire des d'abus, même s'il faut rappeler que les demandes abusives viennent des patients. Il faut savoir cadrer les choses, comme en cabinet. Pour les renouvellements d'ordonnance, la règle chez nous, c'est un mois maximum, trois fois de suite au maximum. Le problème, c'est qu'on est 850. Et je ne vais pas dire que les 850 appliquent les règles à la lettre, ce serait mentir. Mais on se bat. J'ai rédigé en 2022 et 2023 des newsletters (46), sur plein de sujets courants : cystites, IST, angines, anticoagulants, asthme, arrêts de travail, avec l'aide des référents. J'ai rédigé aussi des mails aux nouveaux arrivants pour leur expliquer notamment comment utiliser les instruments dans les cabinets, etc. Ils reçoivent aussi un tableau des bonnes pratiques. On essaie de faire de la bonne médecine. Et on veut la promouvoir.
Vous venez de lancer votre site internet. Quelles seront vos prochaines actions ?
Nous avons l'intention de solliciter nos interlocuteurs potentiels : les autorités nationales (le Cnom, le ministère de la Santé, la Cnam, le Parlement…), les autorités locales (département, ARS, CPAM, collectivités territoriales). Il faudra aussi se montrer crédible auprès des associations d'usagers, comme France assos santé. Quant aux syndicats médicaux, comme je le disais, ils seront plus difficiles à convaincre. Nous voulons solliciter des entretiens pour les convaincre qu'on ne fait pas du mauvais boulot et qu'on a notre place, et pour développer les dérogations.
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