"Aujourd'hui ça ne me dérange pas de gagner moins" : dentiste, il a tout plaqué pour se lancer dans la musique
"La musique a toujours fait partie de ma vie", reconnaît Josia Gourouza. Il naît en 1995 à Alençon, en Normandie. Dès l’âge de 2 ans, il enchaîne les déménagements avec ses parents. Fils d’une mère bretonne et d’un père nigérien, Josia Gourouza passe son enfance à voyager. "Mes parents étaient profs, avec leurs mutations tous les quatre ans on changeait de vie", se souvient-il. Au début, ils s’installent à Saint-Georges-de-L’Oyapock, en Guyane. "C’est un village perdu façon amérindien, il n’y avait pas d’eau, pas d’électricité. On est restés là-bas un an puis on est allés quelques années à Kourou, là où y a la fusée Ariane", raconte-t-il, en riant. C’est sur ce territoire que Josia Gourouza commence à s’essayer à la musique, et notamment à la trompette, au conservatoire. "En Guyane, la trompette c'est assez commun. Il y a une grosse culture du carnaval et en plus de ça on était à la frontière du Brésil, et dans la samba brésilienne, il y a de la trompette", explique-t-il. À l'âge de 8 ans, le jeune alençonnais d’origine s’installe à Tahiti, en Polynésie Française, puis retourne quatre ans plus tard en Guyane. Après la trompette, Josia Gourouza apprend la batterie, puis la guitare. C’est un passionné de musique mais aussi de sport, si bien qu’il suit un rythme d’activités extrascolaires très intensif jusqu’à ses 17 ans. "Le lundi c’était tennis, le mardi judo, le mercredi musique, le jeudi tennis, le vendredi judo, le samedi natation et le dimanche mes devoirs. Mes parents m’ont toujours poussé à faire plein de projets. Je n’aimais pas rester à rien faire : l’angoisse", se rappelle-t-il, en se considérant un peu "hyperactif". Une fois son bac en poche, Josia Gourouza rejoint la métropole et s’installe à Brest (Finistère) pour y effectuer ses études supérieures.
Très bon élève, Josia Gourouza se lance en première année commune aux études de santé (Paces). Malgré son planning chargé, Josia Gourouza n’arrête pas pour autant la musique. "En Paces le maître-mot de ta vie, c’est isole toi et travaille", confie-t-il. Le musicien s’autorise à jouer de la guitare pendant ses pauses. "Ça me permettait de déstresser, de me relaxer, et dès que je reprenais les révisions ça avait rechargé mon énergie", se remémore Josia Gourouza. Pour ne pas déranger ses voisins, il ne jouait ni batterie, ni trompette, uniquement de la guitare et allait même jusqu’à pousser la chansonnette parfois. "Je voyais vraiment la musique comme une passion. Je n’ai même pas imaginé faire mes études dans la musique parce que c’était impensable dans mon esprit", se rappelle-t-il. Vers la fin de cette première année, il monte un groupe avec un étudiant en médecine, un chaudronnier et un électricien. "Je fredonnais des morceaux, j’essayais de faire des covers [reprises de musiques connues, NDLR] et finalement je me suis dit que j’aimais bien chanter", explique-t-il. Avec son groupe, il participe à plusieurs castings et plusieurs festivals étudiants.
Une fois sa première année en poche, il doit choisir la filière vers laquelle il se dirigera : médecine, pharmacie, dentaire ou maïeutique. Après avoir hésité entre médecine et dentaire, il finit par se détourner de la médecine. "Je voulais absolument faire une spécialité, donc ça veut dire qu’aux ECN, je ne suis même pas sûr d’avoir ce que je veux", confie-t-il. Josia Gourouza préfère la liberté et choisit alors dentaire. "Je peux faire de la radiologie, de la dermatologie, de la chirurgie, de la pharmacologie. C’est très varié, et le métier en lui-même me plaisait beaucoup, notamment avec le côté manuel, soigner avec mes mains plutôt qu’en donnant des médicaments." C’est lorsque Josia Gourouza est arrivé en troisième année que des questions commencent à émerger dans son esprit. "Je me disais : ‘Tiens j’aimerais m’arrêter un peu de travailler et faire autre chose’.” Il s’imagine partir en voyage faire une année de césure et réfléchir, mais sa mère l’en dissuade. "Elle m’a convaincu qu’il valait mieux que je finisse mes études et qu’après je pourrais faire ce que je voudrais", se souvient-il.
"Faire de la musique pour de vrai"
En 2018, à la fin de ses études, Josia Gourouza se questionne de plus en plus. "Là je me suis vraiment dit : 'mais est-ce que j’ai vraiment envie de faire ça ?'" Il s’aperçoit qu’il aimerait bien "faire de la musique pour de vrai". Après son stage de dernière année qu’il effectue à Landerneau (Finistère), il se décide à tenter le coup et monte en Île-de-France, à la fois pour se former en orthodontie et pour commencer son premier EP [petit album de 4 à 6 morceaux]. Josia Gourouza se lance dans l’inconnu, il ne connaît personne à Paris ni rien sur le milieu de la musique. "Je suis allé dans un studio ‘un peu au hasard’. Le technicien qui doit m’enregistrer me demande si je veux un arrangeur. Je lui réponds : 'ah c’est quoi un arrangeur ?'" Le technicien lui explique que c’est une personne qui "aide à faire passer la musique de guitare/voix à une orchestration". Convaincu, Josia Gourouza accepte et se lance. "L’EP était vraiment horrible, je ne l’ai jamais sorti", dit-il en riant. Mais cette expérience lui permet "de comprendre comment le milieu fonctionne" et de commencer à créer son réseau.
Josia Gourouza devient "Josia"
Parmi les rencontres qui vont faire évoluer sa carrière, il cite celle de Loretta (nom de scène : Laure Milan). "C’est la première personne qui m’a vraiment aidé", se rappelle Josia Gourouza. Dans les années 2000, cette artiste travaillait pour Diam’s, Vitaa, Amel Bent… "Au moment où je l’ai rencontrée, elle était manageuse d’artistes et de passage dans le studio où j’avais enregistré mon EP. Elle faisait du coaching vocal, elle a entendu mon son, et elle m'a dit ‘ah c’est cool’, et elle m’a accompagné à partir de là", se souvient-il. Grâce à elle, il rejoint même un label. "C’est là que je me suis professionnalisé", confie-t-il. Josia Gourouza devient "Josia". "Il a fallu que je me forme sur l’industrie de la musique, le marketing musical, le fonctionnement des sociétés de musique, la production, les métiers de la musique, tout ! C’est super compliqué, il n’y a pas d’école", admet le musicien. Il compare le monde de la musique à "une toile d’araignée" où chaque fil représente un lien entre des structures et des personnes. Petit à petit, et grâce à ses rencontres, il perce le mystère de l’araignée.
Même s’il commence à comprendre comment marche le milieu de la musique, le musicien continue en parallèle à travailler en dentaire. "J’ai exercé à Vitry-sur-Seine, à Clichy, à Melun, dans le centre de Paris." Il se lance aussi dans la création d’un second EP qui sort cette fois-ci, et dans lequel il partage un morceau intitulé La Nuit, avec...
Georgio, un rappeur français davantage connu. Josia est polyvalent, il chante en français, compose lui-même sa musique, qui est un mélange de plusieurs styles "pop métissée", "alternative", "hip hop", "chanson française", et de "l’orchestral". Pour Josia Gourouza, la musique n’est pas qu’une simple mélodie jouée à la guitare. C’est aussi "réfléchir à une stratégie, se dire il faut que je sorte ce morceau-là à tel moment. Il faut que je parle à cette personne-là, mon morceau je vais le faire comme ça parce que il y a cette influence. C’est très stimulant je trouve. C’est ma passion, je ne compte pas mes heures, tandis que dentiste, même si j’aime bien ça reste un travail", indique le chanteur.
Maître de sa carrière
A l’image de sa musique, Josia veut être maître de sa carrière : après la sortie de son deuxième EP en 2021, il crée son propre label. "Je voulais faire mon concept, ma musique, je monte tout mon projet, tout seul, explique-t-il. Jusqu’à ce qu’un label encore plus gros, qu’on appelle une major, me propose une collaboration et m'ajoute à son label." Il existe à l’heure actuelle trois majors, (Universal, Sony et Warner), dans le monde entier. "Mon objectif, c’est vraiment de travailler avec l’une d’elles, mais l’idée, c’est que le jour où une major me proposera une collaboration, elle ne pourra pas me changer ou m’empêcher de faire la musique que je veux"; poursuit-il.
Quelques années plus tôt, lorsqu’il débutait, Universal l’avait déjà contacté et lui avait proposé un contrat de 12 000 euros qu’il avait décliné. "Je savais qu’ils allaient contrôler mon image, mes réseaux sociaux, je n’aurais pas eu le droit de faire ce que je voulais. Ça aurait été comme une prison dorée. Beaucoup aurait accepté, mais le fait d’être dentiste m’a permis de garder la tête sur les épaules et de me dire ‘je n’ai pas besoin de ça, si je veux je suis dentiste’ et j’ai envie de faire de la musique parce que j’aime la musique que je fais."
"Les musiciens du métro de Paris"
Lorsque Josia créé son propre label, il arrête progressivement son travail de dentiste. Il se rend compte que ce n’est plus possible de concilier les deux. "J’arrive à un moment dans ma carrière où pour que ça marche, il faut que je ne fasse que de la musique, il faut que je sois disponible à 100%. Mais si un jour ça ne marche pas, je pourrais toujours repartir dans l’orthodontie et ça ira", assure-t-il. Pour le musicien, l’expression "être au bon endroit, au bon moment", bien connue dans le monde de la musique, fonctionne, mais sa "stratégie, c’est d’être tout le temps partout pour provoquer [sa] chance. C’est très chronophage, c’est pour ça qu’être dentiste en même temps c’est très compliqué", explique-t-il.
En mars 2023, à 28 ans, Josia se lance un nouveau challenge : participer au casting des "musiciens du métro de Paris". "J’y pensais depuis un petit moment", reconnaît-il. S’il réussit ce concours, il pourra chanter dans n’importe quelle station de métro/RER du réseau parisien, à n’importe quelle heure, pendant six mois. L’espace est interdit aux musiciens et aux chanteurs en temps normal, sous peine d’une amende. Ce casting a permis de révéler plusieurs artistes renommés, comme Alain Souchon, Zaz, Keziah Jones… Pour Josia Gourouza, ce projet a deux avantages. Le premier : lui apporter une visibilité. "Ça paraît rien, mais au bout de seulement 20 minutes de concert, 15 personnes m’ont suivi sur les réseaux sociaux. Si je fais ça tout le temps, je peux faire grandir mon audience et en plus ça me fait des scènes d’entraînement." Le musicien y voit aussi un deuxième avantage : "Mon objectif, c’est aussi de rentrer dans le réseau RATP. Ensuite, on peut me proposer un casting pour des festivals parisiens comme Solidays ou We Love Green, ou même un casting pour The Voice, car les musiciens du métro ont un casting spécifique pour y rentrer." Le jour J, Josia Gourouza n’est pas stressé. "Je jouais comme si j’étais dans un salon, le jury était bienveillant", se souvient-il. Deux semaines après avoir passé le casting, les résultats tombent : sur plus de 1 000 candidats, environ 300 sont sélectionnés, dont Josia Gourouza. Il obtient la précieuse carte "les musiciens du métro de Paris", sur laquelle il a son nom, son nom d’artiste et sa durée de validité. La première partie de Juliette Armanet Pour se faire un nom, Josia Gourouza enchaîne d’autres projets comme des tremplins. Ce sont des concours d’artistes, où chaque participant joue ou chante et à la fin le jury en sélectionne une poignée. "C’est la Paces mais version musique, et en pire, ajoute, en riant, Josia Gourouza. Le dernier tremplin que j’ai fait, on devait être 1 200 et ils en prenaient 7". Il y a quelques mois, le musicien a passé le "Tremplin 77" en Seine-et-Marne. Sur 200 artistes, seul un était retenu : Josia. Grâce à sa victoire, il a pu faire la première partie de Juliette Armanet au Majestic – Scène de Montereau, le 24 mai dernier, à Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne). "Des tremplins, il faut en faire tout le temps. Si on en gagne, les organisateurs nous écoutent et peuvent nous proposer d’autres tremplins", explique-t-il. Pour gagner ce tremplin, Josia Gourouza a choisi de chanter la chanson Douleur exquise, issue de son premier album qui sortira en octobre prochain. Cela fait deux ans qu’il s'est lancé dans ce projet, "c’est un album moins introspectif, un peu plus général et qui peut toucher tout le monde", décrit-il. Passionné de philosophie depuis la terminale, il lit Le Bonheur Désespérément du philosophe André Comte-Sponville juste avant de commencer à écrire ses chansons. "Ce livre m’a beaucoup inspiré et j’ai choisi de faire mon projet dessus, je l’ai relu, j’ai refait mes recherches… et j’ai décidé que mon album s'appellerait aussi Le Bonheur Désespérement" "J’ai envoyé [une maquette de] mon album à André Comte-Sponville. Il m’a répondu dans la journée en disant qu’il était super ému et que ça le touchait que je prenne appui sur son œuvre. Il est venu dans mon salon, on a discuté pendant une heure et demi sur l’album et sur le bonheur. Pour moi, c’est une expérience incroyable, c’est mon idole, j’adore ce qu’il raconte, j’adore ses bouquins. C’est ce que j’aime dans la musique, ça m’apporte des expériences que je n’aurais jamais eu en dentaire", reconnaît-il, des étoiles dans les yeux. L’album est prévu pour octobre 2023.
Une "prolongation" de son éducation Aujourd’hui, Josia se rend compte que ce changement de carrière et tous ces projets ne sont qu’une "prolongation" de ce qu’il a toujours vécu avec ses parents. "Mes parents n’avaient peur de rien, ils bougeaient tout le temps et ont toujours eu beaucoup de projets." Aujourd’hui, même s’il n’exerce plus en tant que dentiste, il confie ne pas regretter son choix. "Je ne vis plus comme avant. Aujourd'hui, ça ne me dérange pas de gagner moins, je n’ai jamais fait ça pour l’argent", rappelle-t-il. S’il a pour objectif de jouer dans les grandes salles parisiennes, comme l’Olympia ou La Cigale, Josia commencera par performer ce 23 juillet au festival des Murs à Pêches à Montreuil (Seine-Saint-Denis) et sera en concert le 13 octobre à l’espace Caravelle à Meaux (Seine-et-Marne).
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