"Monsieur le ministre, vous qui êtes médecin, de quel côté êtes-vous?" : la supplique d'une généraliste en grève

14/02/2023 Par Dre Madeleine Lhote
Généraliste dans le Var, la Dre Madeleine Lhote, 39 ans, explique dans une tribune pourquoi elle fera grève ce mardi 14 février. Dans ce texte, publié par Egora.fr, la jeune praticienne s'adresse sans prendre de gants au ministre de la Santé François Braun. "Quel effet cela vous fait-il de voir aujourd’hui tous vos collègues, dans la rue, à l’appel aussi unanime qu’exceptionnel des syndicats de médecins généralistes ?", interpelle-t-elle, décriant "l'absence de revalorisation d'une consultation de médecine générale que l'on dit essentielle mais que l'on veut brader".

  "Aujourd’hui, mardi 14 février, comme nombre de mes collègues médecins généralistes, je serai en grève. En grève parce que très inquiète de l’avenir de la médecine générale en France. Par devant, on nous explique vouloir assurer l’accès à un médecin généraliste pour tous, partout sur le territoire, y compris le soir et les weekends. En coulisse on constate que 83% du territoire est d’ores et déjà sous doté en médecins et que l’accès y est déjà compliqué en semaine… Par devant, on nous explique qu’il faut un médecin traitant pour tous les Français, notamment pour les plus fragiles, les plus dépendants, tous ceux souffrant d’une affection longue durée (ALD). En coulisse, non seulement on ne forme pas assez de praticiens mais en plus, on détruit le concept même du médecin de famille, on le détricote, on le piétine, on le saccage...

Par devant, on nous explique que la médecine générale est mal-aimée, désertée, rejetée. En coulisse on instaure une 4e année obligatoire pour obliger les (rares) jeunes médecins à l’avoir choisie à aller exercer (seuls) dans des déserts médicaux, sans référent, sans soutien, sans expérience. Par devant, on nous explique que les médecins sont des héros indispensables, mobilisables, mobilisés, dévoués, avec ou sans moyen, malgré les pénuries qui font rage, au nom de la moralité et de l’éthique. En coulisse, on s’émeut, on s’offusque que les héros soient fatigués ou mécontents et qu’ils osent réclamer une revalorisation de leurs honoraires. Quel cynisme de croire qu’une revalorisation à 26,50 euros moyennant des contraintes solutionnera l’attractivité de la médecine générale et l’accès au soin ! Oui, en ce 14 février, je ferai grève pour porter un message à mon ministre, aux députés, aux sénateurs qui débattent actuellement. Aujourd’hui c’est l’ensemble de la profession qui est en danger, de burn out, de suicide, d’erreur médicale, et avec elle, ce sont vous tous, vous, les patients qui êtes en danger. Un danger majeur. Imminent. Inquiétant. Nous ne sommes plus assez nombreux. Nous ne pouvons plus assurer correctement le soin de la population. Nous attendions un choc d’attractivité… et nous avons eu ... de la poudre de perlimpinpin. Pardon pour la dramaturgie de mes mots, mais si je fais grève en ce 14 février, c’est aussi parce que cette réforme mettra mes jeunes collègues en danger, eux qui seront envoyés seuls gérer des problématiques pour lesquelles ils n’auront pas été formés. Si je fais grève en ce 14 février, c’est parce que les patients méritent de connaître la vérité. Oui ils méritent d’avoir des médecins formés, diplômés, pour les soigner… mais ils doivent comprendre que ce ne peut être 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, ou alors ils se verront soignés à la chaîne par des cabines de téléconsultation ou d’intelligence artificielle… Est-ce vraiment comme cela que nous méritons d’être soignés demain ? Si je fais grève en ce 14 février, c’est pour essayer de sauver ce qui peut l’être alors même que toutes les filières de la médecine de ville sont en danger. Monsieur le ministre de la Santé, je vais me permettre de m’adresser directement à vous si vous me le permettez. Monsieur le ministre, vous qui êtes médecin, vous qui avez face à vous aujourd’hui dans la rue une foule de médecins en colère, inquiets de l’avenir du système de santé, de quel côté êtes-vous ? Quel effet cela vous fait-il de voir aujourd’hui tous vos collègues, dans la rue, à l’appel aussi unanime qu’exceptionnel des syndicats de médecins généralistes ? Arriverez-vous réellement à vous convaincre que cette mobilisation inédite n’est qu’une passade, une illusion ? Lorsque tous les syndicats quittent la table des négociations que vous auriez voulu jouées d’avance, vous sentez-vous médecin, choqué comme moi de l’absence de revalorisation d’une consultation de médecine générale que l’on dit essentielle mais que l’on veut brader, ou bien technocrate, guidé par les décisions d’un portefeuille soigneusement bridé dans la poche d’un costume trois pièces ? "Sommes-nous tous voués à sombrer ?" Le système de soins brûle Monsieur Braun : arriverez-vous, en ce 14 février, à regarder ailleurs ? Monsieur le ministre, vous qui êtes médecin, vous qui dites vouloir vous mettre au chevet de la médecine et de la santé, pourriez-vous m’expliquer pourquoi vos prédécesseurs ont quitté le navire ? Le savaient-ils déjà atteint d’un mal incurable… ou bien se sont-ils résignés à ne pas vouloir mettre en œuvre les soins adéquats ? Pourquoi vos prédécesseurs, tous deux médecins, sont-ils partis vers d’autres horizons ? Serait-ce un renoncement ? Si notre système de soins est en soins palliatifs, Monsieur Braun, pourquoi ne pas nous l’avouer ? Si tel est votre dessein, notre futur, ne sommes-nous pas aptes à l’entendre ? Je veux vous poser la question Monsieur Braun : sommes-nous tous voués à sombrer ? Ou à tous déserter ? La maison brûle Monsieur Braun… et je pleure de rage de constater que... vous n’avez pas même cherché l’extincteur. Voilà des semaines, des mois, des années, que les personnels de santé vous crient leur mal-être, leur souffrance, leur volonté de mieux soigner, leur souhait de ne plus être maltraitants, leur aspiration à retrouver cette flamme d’humanité qui les a poussés à devenir soignants. Et vous, qu’en avez-vous fait ? Vous avez étouffé l’humain, vous l’avez enterré sous des brancards cassés, vous l’avez bâillonné, muselé sous des monceaux de paperasses, de procédures administratives. Oui, gouvernement après gouvernement, vous avez condamné l’hôpital public dans vos logiques comptables, vos fermetures de lits, vos optimisations de personnels, et maintenant, vous avez décidé bille en tête de vous attaquer à la médecine de ville. Soyez honnête Monsieur le ministre, puisque l’on se parle en vérité, qui a créé les déserts médicaux ? Les professionnels de santé ou les politiciens ? Aurez-vous l’honnêteté et le courage intellectuel de le rappeler ? Incroyable mais vrai : dans les années 80, vous, politiciens, avez bradé la santé pour des raisons économiques, parce qu’il y avait alors trop de médecins ! "Trop" de médecins, "trop" de prescripteurs qui coutaient « trop » cher à la sécurité sociale ! Trop de médecins dont vous avez choisi de réduire le nombre, de les faire bifurquer vers des filières annexes, voire même de les faire partir à la retraite… plus tôt… Pardon de vous parler de sujets qui fâchent, surtout en pleine réforme des retraites, mais comment ne pas s’étrangler de rage quand on rappelle que vos prédécesseurs ont fait partir des médecins en retraite à l’âge de 56 ans ? Si certaines crises sont imprévisibles, la démographie n’en fait pas partie. Ne sommes-nous pas en droit de nous demander aujourd’hui pourquoi personne n’a voulu anticiper ? Pardon de vous poser la question, je n’ai surement pas la compétence et la vision macro-économique que vous avez mais je voudrais que vous m’expliquiez : pourquoi a t-il fallu attendre les années 2000 pour qu’on desserre les numerus clausus ? Quand on sait qu’il faut au bas mot neuf ans pour former un médecin généraliste, que la population n’a cessé de croître, que vous avez diminué par trois le nombre de médecins formés chaque année, comment, vos prédécesseurs, pourtant issus des plus grandes écoles françaises, Sciences Po, ENA, Polytechnique, n’ont-ils pas anticipé les départs à la retraite desdits "trop" de médecins ? Serait-ce à nous – et aux patients – de payer le prix de votre incapacité à prévoir ? "Protester contre votre projet de faire de la médecine sans médecin" La maison brûle Monsieur Braun. Aujourd’hui si nous sommes dans la rue c’est pour protester contre votre projet de faire de la médecine sans médecin. Comment votre réforme améliorera-t-elle l’accès au soin quand il n’y aura plus personne pour soigner ? J’en termine Monsieur le Ministre, je vous remercie de votre temps, mais j’en appelle pour conclure au médecin urgentiste que vous êtes, en espérant que la situation clinique vous parlera. Voilà la situation Dr Braun : la médecine générale, votre patiente est en état de choc hémorragique, elle se meurt. Vite, elle fibrille : il lui faut de façon urgente des traitements ! Dr Braun, qu’attendez-vous pour troquer le costume pour la blouse ? Dr Braun, lui administrerez-vous en conscience tout ce dont elle a besoin pour se soigner ? Dr Braun, nous soignerez-vous à l’homéopathie ou enfin avec l’adrénaline dont nous avons besoin ? Je vous conjure en revanche de ne pas décider seul d’un arrêt des soins, je crois bien que nous ne sommes pas prêts à vous laisser signer notre certificat de décès…"

 
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