"C'est une catastrophe annoncée" : pourquoi la 4e année fait peur aux internes de médecine générale
Egora.fr : Vous attendez le rapport depuis fin mars et avez appelé le ministère de la Santé à dévoiler urgemment la maquette nationale du nouveau DES* de médecine générale. Finalement, un rendez-vous vous a été donné par François Braun à une semaine du début des ECN…
Raphaël Presneau : C’est vraiment un point qui nous dérange. Le rapport est dans les mains du ministère depuis janvier, on avait demandé que les textes définitifs tombent au plus tard avant fin mai pour avoir une marge de manœuvre avant les ECN. D'après les engagements initiaux, on aurait dû avoir ce rapport fin mars. Pour avoir passé ce concours, je sais qu’on est dans un état second… En choisissant cette date, le ministère prend un risque avec la santé mentale des étudiants et il perturbe leurs révisions et leur concentration alors qu’ils jouent leur avenir sur un concours dans une semaine.
L’un des points de blocage avec le ministère au sujet de la création de la 4e année d’internat était les modalités de rémunération des nouveaux Docteurs Juniors Ambulatoires. Finalement, François Braun a tranché en faveur d’une partie à l’acte afin que cette année "soit véritablement professionnalisante". Comment tout cela sera-t-il calculé ?
C’est une décision historique : les Docteurs Juniors Ambulatoires de médecine générale toucheront une partie des actes qu’ils réaliseront. Ce qui nous a été annoncé, c’est que dans notre rémunération, il y aura la base fixe du statut de Docteur Junior sans les primes, soit environ 1900 euros nets, à laquelle s’additionnera une rétrocession de 20% des actes réalisés. La Direction générale de l’offre de soins a aussi annoncé qu’il y aurait une prime d’environ 400 euros pour les internes qui exercent cette 4e année en zone sous-dense. Notre salaire sera par contre plafonné à 4500 euros nets mensuels, ce qui correspond au salaire d’un praticien hospitalier.
Le nombre de consultations sera-t-il lui aussi plafonné ?
Oui, entre 10 à 30 consultations par jour par interne.
L’Isnar-IMG appelle de longue date à mettre les moyens sur l’encadrement des internes, et notamment à augmenter le nombre de maîtres de stages universitaires. Que vous a-t-il été promis à ce sujet ?
Nous n’avons rien eu de précis. Le ministère évoque l’objectif de 16 000 MSU en 2026 pour pouvoir encadrer cette dernière année alors qu’aujourd’hui on en a un peu moins de 13 000. On nous a de nouveau assuré qu’il n’y aurait pas d’internes isolés dans des structures, ce qui va plutôt dans le bon sens. Mais cela demande à être vérifié.
En revanche, le ministère vous impose une participation à la permanence des soins ambulatoires. Cela aussi, c’est nouveau…
En effet. Les modalités de participation sont encore très floues. On nous a parlé d’une astreinte téléphonique et nous avons demandé à quel rythme les internes devront faire de la PDSA, mais c’est encore très vague. Cette mesure pose en tout cas plusieurs questions : les internes feront-ils des gardes mobiles, par exemple ? Est-ce que la rémunération de la PDSA sera comprise dans le plafond des 4500 euros ? Nous ne savons pas grand-chose et nous y sommes en tout cas opposés.
Qu’est-ce qui vous inquiète en particulier ?
L’encadrement. Dans certains endroits, on doute d’une mise en application qui se fera en sécurité pour les internes. Qui sera derrière eux pendant les astreintes téléphoniques ? Est-ce que ce sera une personne formée à l’encadrement des internes ? Et puis la question financière nous inquiète particulièrement.
Globalement, à quoi va ressembler la nouvelle maquette ?
La maquette proposée par le ministère est une maquette qui ne change pas la phase socle actuelle : un stage aux urgences et un stage chez un praticien de médecine générale. En phase d’approfondissement, en deuxième année, on aura toujours un stage de médecine polyvalente avec une orientation sur la personne âgée polypathologique. Mais au lieu d’avoir ensuite un stage de six mois en santé de la femme et un autre de six mois en santé de l’enfant, il y aura obligation d’avoir...
un stage couplé de six mois sur la santé de la femme et de l’enfant. Cela permettra ensuite l’ouverture d’un stage libre. Le ministère précise que ces stages seront orientés vers la femme et l’enfant, la personne âgée polypathologique ou la santé mentale. Enfin, le Saspas sera maintenu.
Quel sera donc le contenu de la quatrième année ?
Les internes devront faire un "stage ambulatoire de niveau 3", une sorte de "Saspas +" avec deux semestres indépendants. On nous a indiqué qu’il y aurait une procédure de choix par semestre [de novembre à mai et de mai à novembre, NDLR] avec une incitation pour ceux qui le souhaitent de rester au même endroit pour avoir un suivi sur le plus long terme de leurs patients. On nous a assuré que les procédures de choix seraient indépendantes.
Comment seront attribués les stages ? On sait que la procédure de "big matching" actuellement utilisée pour les Docteurs Juniors des autres spécialités n’est pas satisfaisante…
Ce sera probablement la même chose. On nous a en tout cas garanti que le classement ne devrait pas entrer en jeu mais plutôt le projet professionnel et la motivation.
Sera-t-il possible pour les internes qui le souhaitent de faire un stage à l’hôpital ?
Oui. En quatrième année, pour les internes qui ont un projet professionnel mixte ou hospitalier, il sera possible de faire six mois dans un service.
Il n’y aura donc pas d'obligation d’effectuer son stage en zone sous-dotée, comme cela avait été évoqué par le ministère ?
Non. La prime de 400 euros évoquée par la DGOS sera une mesure incitative et nous y tenons.
L’un des points qui posait problème dans l’allongement de l’internat de médecine générale était la modification du calendrier de passage de la thèse. Comment le ministère a-t-il réglé cela ?
Les Docteurs Juniors doivent passer leur thèse avant leur phase d’approfondissement. Le ministère souhaite que nous, internes en médecine générale, fonctionnions comme le droit commun, ce qui revient à passer sa thèse pendant les trois premières années d’internat. Dans le cadre de la mise en place du nouveau DES*, il y aura une dérogation possible d’un an pour les trois premières promotions qui passeront les ECN en 2023, 2024 et 2025. Eux pourront passer leur thèse l’année de Docteur Junior, soit en quatrième année, mais il faudra forcément qu’ils soient thésés à l’issue de cette année-là.
Des moyens supplémentaires d’encadrement ont-ils été garantis pour permettre aux internes de préparer et passer leur thèse ?
Aujourd’hui, on a des internes de médecine générale qui, dans beaucoup de subdivisions, sont souvent laissés seuls...
dans ce travail de thèse. Ils sont très peu accompagnés. On a aussi des gros délais pour obtenir des dates de soutenance, trouver des maîtres de thèses. Je vous rappelle qu’en médecine générale, on a un ratio enseignant/élève huit fois inférieur aux autres spécialités. Le ministère a pris des engagements flous d’augmentation de ces enseignants, mais sans annonces concrètes.
Globalement, au sujet de cette maquette nationale, il y a donc du bien… et du moins bien ?
C’est cela. Le stage couplé, c’était une demande des internes de médecine générale pour pouvoir avoir un stage libre. C’est positif. Mais ce que nous relevons, c’est qu’il persiste des incertitudes autour de cette quatrième année, des terrains de stages, de comment ça va se passer. On retient la décision historique sur la rémunération partiellement à l’acte mais on s’inquiète vraiment du timing et du recul de nos droits sur plusieurs points, comme la PDSA. Je veux rappeler que non, les internes de médecine générale ne souhaitent pas l’allongement de ce DES*. Nous avons limité la casse mais nous serons vigilants lors des prochaines étapes.
La médecine générale ne fait le plein que depuis trois ans lors de la procédure de choix des ECN… Craignez-vous que l’allongement de l’internat dans ces conditions démotive des candidats potentiels cette année ?
C’est une catastrophe annoncée. Bien sûr, nous le redoutons. D’autant que même si le ministère se gargarise d’avoir rendu ses arbitrages avant les ECN, on n'est toujours pas en capacité de dire aux futurs internes comment va se dérouler le cursus de médecine générale. En plus de ça, la proposition de loi Valletoux, dont l’examen vient de débuter, risque de faire revenir dans l’actualité les amendements et propositions coercitives… L’attractivité de la médecine générale est clairement prise en tenaille entre un Gouvernement tenant absolument à cette quatrième année et un Parlement qui souhaite mettre toujours plus de contraintes sur les médecins libéraux alors qu’ils sont déjà complètement à bout de souffle.
Vous avez eu peu de contacts avec le ministère malgré vos nombreuses sollicitations… Ce changement de maquette est-il pris trop à la légère selon vous ?
C'était notre crainte depuis le début. On n’arrête pas de nous dire "ne vous inquiétez pas"... mais on a malheureusement trop d’expériences récentes sur les réformes des études de médecine qui se sont mal passées, comme celles du premier et du deuxième cycle.
Le concours puis la procédure de choix de spécialité vont arriver vite… Quelles sont les prochaines étapes concernant la mise en place de la quatrième année ?
La proposition du ministère de la Santé doit être étudiée aujourd’hui par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ensuite, le décret doit passer devant le Conseil d’Etat, mais ce sont des procédures très longues. Il y a parfois des mois d’attente. Il faut que la DGOS s’active, elle parle d’un dépôt fin juillet. C’est intolérable : la procédure de choix se déroule fin août et les stages débutent en novembre. Malgré nos multiples demandes de report de la quatrième année, le ministère de la Santé souhaite absolument que cette année soit mise en place en septembre. Nous attendons la suite mais si ce calendrier implique un report, nous en serons très heureux. Nous resterons vigilants et la lutte continuera si besoin.
Quel message faire passer aux internes de médecine générale ?
Il faudra que nous, internes en médecine générale, soyons prêts à apporter toute notre solidarité aux futurs internes - les externes actuels - dans cette lutte qui risque de se prolonger.
*Diplôme d'études spécialisées.
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