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"Illisible", "trop complexe"... Comment la Cour des comptes veut démolir la réforme de la Pass/LAS

La Cour des comptes a publié, ce mercredi 11 décembre, un rapport au vitriol sur la réforme de l'accès aux études de santé. Débutée il y a quatre ans, la mise en œuvre de cette refonte du premier cycle des filières MMOP a été largement décriée. Application hétérogène selon les universités, persistances des inégalités, incompréhension des étudiants… Les Sages pointent les objectifs non atteints de la réforme et formulent dix recommandations. Egora fait le point.

11/12/2024 Par Chloé Subileau
PASS/LAS R1C
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La réforme de l'accès aux études de santé (R1C) est "trop complexe, difficilement lisible", et "n'a pas atteint ses buts", a résumé ce mercredi Nacer Meddah, président de la troisième chambre de la Cour des comptes. Auditionné par la commission des affaires sociales du Sénat, le haut fonctionnaire présentait les grandes lignes de son rapport sur l'accès au premier cycle des études de médecine, maïeutique, odontologie et pharmacie (MMOP), réformé en 2020. Il est nécessaire "de tirer tous les enseignements" de cette refonte, a insisté Nacer Meddah : "Le statu quo n'est plus possible."

Les conclusions de ce rapport, publié quelques heures plus tard, étaient très attendues ; elles ne devraient pas décevoir les détracteurs de la R1C. Pour cause : étudiants, parents, enseignants et même doyens pointaient les dysfonctionnements de ce nouveau système, qui a remplacé la célèbres Paces par deux voies que sont le Pass et la LAS*. Saisie par la commission des affaires sociales du Sénat, la Cour des comptes s'est penchée en détail sur la mise en œuvre de cette réforme. Son constat est sévère

Pour les Sages, cette refonte comptait d'abord de "trop nombreux" objectifs. Supprimant la Paces et le numerus clausus – en vigueur depuis 1971 -, elle visait à améliorer "la réussite et le bien-être des étudiants", à favoriser "la progression dans [d'autres] parcours d'études" en cas d'échec à intégrer une filière santé, à diversifier les profils, à développer des "passerelles entre les différentes filières santé", ainsi qu'à augmenter le nombre de professionnels de santé formés en France, a listé Nacer Meddah, devant les sénateurs.

Des universités dans l'incertitude

Mais dès ses débuts, la réforme a souffert de défauts de conception, note la Cour des comptes. Sa mise en œuvre s'est faite suivant un "calendrier très contraint et surtout, en pleine crise sanitaire", a indiqué le président de la troisième chambre de la juridiction : "De plus, l'absence de soutien juridique à l'interprétation des textes juridiques, a laissé les administratifs des universités dans l'incertitude, contraints de les interpréter de manière hétérogène. D'une université à l'autre, la mise en application des textes n'est pas la même, faute d'avoir une jurisprudence établie par les ministères" de l'Enseignement supérieur et de la Santé. Et si un comité de suivi a été instauré, celui-ci a été mis en place trop tardivement en juin 2020 et "prématurément dissous en juin 2023", souligne la Cour des comptes.

Depuis, les libertés laissées aux facultés dans le choix de l'instauration des deux principales voies d'accès aux études de santé ont encouragé certaines, "volontaires", "à mettre pleinement en œuvre les LAS, sans obliger [celles] plus réticentes à abandonner le modèle proche de la Paces, par l'intermédiaire du Pass".

Par ailleurs, les moyens financiers nécessaires au lancement de cette réforme n'ont pas "suffisamment [été] anticipés par le ministère comme par la plupart des universités", écrivent les Sages. De fait, "bien que l'exposé des motifs évoque des économies de 50 millions d'euros, le coût total de la réforme sur quatre ans avoisine en réalité 125 millions d'euros", a affirmé Nacer Meddah ce mercredi, précisant : "Si les subventions ministérielles ont permis de couvrir les dépenses supplémentaires dans les universités, l'absence de visibilité pluriannuelle sur ces subventions a freiné le développement des parcours LAS. Les universités ont eu du mal à se projeter à long terme."

Un manque criant d'harmonisation

La Cour des comptes relève également un défaut d'appropriation de cette réforme de l'accès aux études de santé et un dialogue rendu difficile au sein des universités. En outre, l'instance pointe l'absence de coordination concernant les dispositifs d'information et d'orientation, en particulier à destination des lycéens. Chaque université a, par exemple, résumé sur son site Internet les modalités de la R1C selon son "propre vocabulaire, sans harmonisation", renforçant le manque de lisibilité, indique le rapport.

Face à ces difficultés de mise en œuvre, les objectifs sont loin d'avoir été atteints. A commencer par l'augmentation du nombre de soignants formés, qui devait être permise par la suppression du numerus clausus. Selon Nacer Meddah, le nouveau système s'est appuyé sur "des concertations locales et nationales, sous l'égide de l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS)", dont les moyens sont limités. Mais si le nombre d'admis en filières MMOP s'est accru, des inégalités territoriales persistent. "En médecine, bien que des augmentations aient eu lieu dans toutes les régions, les volumes professionnels n'ont pas été choisis de façon à combler les écarts existants, a avancé le président de la troisième chambre. Ainsi, certaines régions qui étaient déjà bien dotées en médecins, comme l'Occitanie ou l'Auvergne-Rhône-Alpes, ont bénéficié des plus grandes augmentations. A l'inverse, d'autres régions, comme les Hauts-de-France, la Normandie ou le Grand-Est qui n'étaient pas historiquement bien dotées, ont bénéficié d'augmentations relativement modestes par rapport à la moyenne nationale. Cette situation révèle donc un manque de logique de rattrapage qui aurait dû prévaloir lors de la fixation des objectifs [de formation]."

Entre les filières aussi, des inégalités se sont creusées. En effet, si le nombre de futurs médecins et dentistes a augmenté depuis 2020, "les effectifs de sages-femmes et pharmaciens sont restés stables, voire ont légèrement diminué."

L'objectif de diversification des profils est, pour les Sages, un autre "échec". Les étudiants conservent "des profils similaires avant et après la réforme, avec même une légère tendance à l'homogénéisation", est-il indiqué dans leur rapport. "La diversification académique a eu lieu dans des proportions limitées et avec un apport des autres disciplines qui semble faible compte tenu de la durée des formations. Enfin, la diversification sociale, qui participe à l’égalité des chances ne semble pas encouragée par la multiplication des voies sur Parcoursup", explique le document, ajoutant que "la diversification géographique" n'est elle aussi pas au rendez-vous.

Les Pass avantagés dans l'accès aux filières santé

Enfin, si la réussite des étudiants** s'est améliorée en quatre ans, elle reste limitée. Ainsi, deux ans après leur année d’accès santé, 63% des étudiants ont perdu une année d’étude, ce qui constitue toutefois une légère amélioration par rapport aux 79% avant la réforme. Mais ces quelques progrès cachent d'importantes disparités d'accès dans les filières santé, notamment selon la voie d'accès choisie ; "les Pass sont beaucoup plus nombreux à y accéder que les LAS". De plus, "les étudiants en LAS semblent moins bien préparés à la suite de leurs études en MMOP et redoublent plus souvent que les étudiants admis après un Pass", note la Cour des comptes.

Pour établir ces conclusions, les Sages se sont également intéressés à l'avis des étudiants, en réalisant un sondage auprès d'un échantillon de 3 000 de ces jeunes. Là encore, les résultats sont sans appel : les principaux intéressés expriment "de manière quasi unanime leur insatisfaction" face à cette réforme, d'après Nacer Meddah. Et perçoivent très négativement la filière LAS : "53% des inscriptions [dans cette voie] sont subies par les étudiants, qui [l']ont choisie par défaut, contre 5% pour les Pass."

"Face à cette situation qui pénalise les étudiants et met en péril l'attractivité des formations médicales", une "évolution substantielle" de la R1C est nécessaire, a insisté le président de la troisième chambre de la Cour des comptes, qui formule dix principales recommandations.

Retour à une voie d'accès unique

La première est de mettre fin à la coexistence des parcours Pass et LAS. Les Sages proposent en effet la mise en place, d'ici à la rentrée 2026, d'une voie d'accès unique aux filières santé, "en concertation avec l'ensemble des acteurs", et gérée par une unique UFR santé. Sans revenir à l'ancien système de la Paces, elle comprendrait une majorité d'enseignements en santé et une mineure hors santé. "Dans la continuité des mesures en faveur de la réussite des étudiants, le redoublement de cette première année de licence [ne serait] pas autorisé. De plus, cette première année serait systématiquement considérée comme une première candidature à MMOP et la possibilité d’exercer une seconde candidature depuis une deuxième année de licence en lien avec la mineure hors santé est maintenue", est-il détaillé.

La deuxième recommandation porte sur la création à titre expérimental d'une voie d'accès post-bac en pharmacie et en maïeutique, accessible via Parcoursup et en complément d'un accès classique via la première année d'études de santé. Une autre proposition invite, elle, à mettre en place un comité de pilotage commun entre les ministères de l'Enseignement supérieur et de la Santé sur "la connaissance des besoins, l'évaluation du nombre de professionnels à former, le suivi des effectifs et des moyens qui se réunisse au moins annuellement, de manière à permettre un réajustement régulier des objectifs de formation".

Enfin, même si le scénario d'une "voie unique" d'accès n'est pas retenu, les Sages insistent sur l'intérêt d'encourager l'accès aux études de santé pour les jeunes issus de milieux ruraux et défavorisés en développant une offre territoriale de formations délocalisées et des dispositifs d'orientation des lycéens. Ils proposent aussi d'élargir les passerelles donnant accès à la deuxième année des filières santé à des formations du premier cycle de domaines scientifiques ou non scientifiques et d'en développer le volume.

 

*Parcours "accès santé" spécifique (Pass), Licence "accès santé" (LAS).

**Cette réussite des étudiants est mesurée "comme leur capacité à progresser dans leurs cursus et à intégrer MMOP en un an", précise la Cour des comptes dans son rapport.

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Frederic Limier

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