Ni "esclaves", ni "bêtes savantes", des externes en grève pour dire stop au mépris

25/07/2017 Par Aveline Marques

Jusqu'à vendredi, 100 externes de la faculté de médecine de Nantes sont en grève pour protester contre le "manque de considération" qu'ils ressentent tout au long de leur formation et qui s'est manifesté douloureusement durant les épreuves classantes nationales (ECNi) 2017. Ils réclament des conditions de travail décentes et une profonde réforme du 2ème cycle.

      C'était il y a un peu plus d'un mois. "Entassés comme du bétail dans un amphi non climatisé" en pleine canicule, les étudiants de 6ème année de la faculté de médecine de Nantes apprennent qu'ils devront plancher une matinée de plus sur les ECNi, une épreuve ayant été annulée. "On se disait que c'était bientôt fini. Et deux minutes avant le début du dernier jour d'épreuves, on nous annonce sans aucune empathie qu'on va devoir revenir le lendemain matin, relate Maël Domblides. Certains étudiants se sont mis à pleurer, d'autres ont fait un malaise ou sont restés prostrés." Le lendemain, bis repetita : nouvelle épreuve annulée, nouvelle recomposition annoncée à la dernière minute. La colère gronde chez les quelque 9000 externes qui ont bûché trois ans durant sur ce concours déterminant pour leur avenir, où le moindre centième de point compte. Les représentants des étudiants montent au créneau, le ministère prend des engagements pour que le "fiasco" ne se reproduise plus.   "Ni entraide, ni bienvieillance" Mais à Nantes, les externes ne comptent pas en rester là. "Ce qui nous angoisse, c'est que ces engagements avaient été pris à la suite des ECNi 2016 [une épreuve avait été annulée car un des sujets avaient fait l'objet d'une conférence, NDLR]. Avec notre grève, nous voulons faire pression", expose Florian Manœuvrier, l'un des porte-parole du mouvement. Depuis hier et jusqu'à vendredi, 100 externes sont en grève pour protester contre la façon dont on les traite. "Les ECNi ont été ressenties par la promotion 2017 comme une insulte envers leur travail, leur préparation acharnée, leur motivation à devenir médecins, écrivent les porte-parole du mouvement. Le manque total de considération à l'égard des étudiants lors de ces ECNi est à l'image du manque de considération ressenti par les étudiants tout au long de l'externat. Ces ECNi ont finalement été l'apothéose désastreuse d'un système d'apprentissage basé ni sur l'entraide, ni sur la bienveillance, mais sur la compétition et l'individualisme." Durant cinq jours, les services du CHU de Nantes devront donc se débrouiller sans ces "hommes à tout faire". Photocopies, fax, rangement des dossiers, prises de rendez-vous pour les patients, brancardage… Autant de tâches dévolues à "l'externe" –"nous sommes très souvent prénommés par notre fonction dans les services, y compris lorsque l'on s'adresse directement à nous", soulignent les contestataires- qui n'ont rien à voir avec l'apprentissage de la médecine, se désole Maël Domblides. "L'externe, c'est l'esclave du service, la bonne à tout faire, du fait du manque de personnel à l'hôpital. On a la volonté d'aider les internes, mais on fait un travail qui n'est pas médical et qui ne nous prépare pas à notre pratique future." Plus de personnels dédiés à l'apprentissage pour un "vrai compagnonnage", c'est l'une des revendications du mouvement nantais.   Au pain sec et à l'eau D'autres portent sur l'obtention de conditions de travail décentes, au premier rang desquelles la mise à disposition systématique d'un lit et d'un plateau repas lors des gardes. "Le repas n'est pas prévu pour les externes. Quand on s'approche du frigo pour se servir, on nous dit 'non, toi tu manges pas'", raconte Maël. Quant au repos, ce sera sur un brancard ou une table d'examen, voire pas du tout. "Il y a des chefs de service ici qui interdisent de dormir, y compris quand l'activité est calme." Au terme de ces douze heures "à la dure", l'externe reçoit une indemnité de 52 euros brut, soit 4.33 euros brut de l'heure. Les grévistes réclament que le salaire de l'externe soit valorisé "à un niveau équivalent à tout étudiant en alternance correspondant à son âge, calculé à partir des grilles de salaire officielles". Leurs revendications locales ont déjà fait l'objet d'une réunion avec la direction du CHU de Nantes. Les externes ont notamment obtenu d'être représentés au sein des commissions "qualité de vie au travail" et "vie facultaire".   La théorie plutôt que la pratique Mais au-delà de l'hôpital, la "profonde souffrance morale" des externes, mise en évidence par la récente enquête sur la santé mentale des étudiants, vient des ECNi. Un concours de deux jours et demi qui transforme l'externe "en bête savante", "alors qu'être médecin, c'est avant tout de la pratique, de la clinique, être au contact du patient", relève Florian Manœuvrier. Au contraire, souligne-t-il, de nombreux externes choisiraient des stages "pas trop prenants" pour avoir le temps d'aller réviser à la bibliothèque.  

A lire aussi : "Externe, j'ai failli me tuer un certain nombre de fois. Il faut arrêter le massacre"

  "La compétition est délétère, quand on voit les chiffres de l'étude, renchérit Maël. Il faudrait une vraie évaluation en continue, intégrant aussi les stages." Et pourquoi pas une entrée en 3ème cycle basée sur le projet personnel de l'étudiant. "C'est ce qui se fait à l'étranger. Dès qu'une spécialité commence à nous intéresser, on pourrait la choisir pour des stages libres et se créer un bagage à présenter pour avoir le poste d'internat", explique Florian. A court terme, les grévistes nantais veulent surtout s'assurer que le "fiasco" des ECNi 2017 ne se reproduise plus et que les engagements ministériels soient tenus, cette fois-ci.  

Les principales revendications des externes nantais
Concernant les ECNi: mise à disposition des annales, isolation des dossiers progressifs afin d'éviter d'annuler une épreuve entière pour un seul DP litigieux, refonte complète du Conseil scientifique, création de sujets inédits chaque année, composition des dossiers par plusieurs PU-PH et non un seul expert pour éviter la trop grande spécialisation, mise à jour des sujets par rapports aux dernières recommandations, publication d'une correction officielle, absence de conflits d'intérêts des PU-PH qui composent les dossiers, sanctions pour les responsables des couacs passés et futurs.
Concernant le second cycle : suppression des ECNi, amélioration de la représentativité des externes, renforcement d'un "compagnonnage bienveillant", augmentation de la place du contrôle continu, création d'une aide psychologique au sein des facs, mise en place automatique d'un lit et d'un plateau repas pour les gardes, valorisation du salaire de l'externe.

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