"On observe un recul du choix de la médecine générale aux ECN" : les internes reprennent le combat de la quatrième année
Egora : La procédure de choix de spécialité post ECN prend fin ce soir. En novembre dernier, l’Association nationale des étudiants en médecine de France s’inquiétait du fait que la moitié des étudiants dont le premier choix était médecine générale remettaient leur choix en question. Peut-on déjà dresser un bilan de l’attrait de la spécialité pour les futurs internes ?
Florie Sullerot : On observe clairement un recul du choix de la médecine générale chez les futurs internes. Malheureusement, à cause de l’annonce de la quatrième année d’internat, on s’y attendait. On est encore en train d’analyser les chiffres pour savoir si tous les postes sont pourvus, car la procédure de choix de spécialité se termine dans quelques heures. Mais on peut déjà dire qu’il y a un recul du rang médian cette année.
La quatrième année d’internat entre en vigueur pour les néo-internes dès maintenant. La maquette est parue au Journal officiel cet été, mais il manque encore beaucoup de textes pour encadrer et préciser certaines modalités…
Je veux d’abord dire que les délais de sa parution n’ont pas du tout été respectés. Aujourd’hui, effectivement, on attend toujours ces textes qui vont préciser la rémunération à l’acte, qui était une demande de l’Isnar-IMG. Il nous manque encore également tous les textes régissant la thèse. La thèse devait pouvoir être réalisée avec dérogation (en quatre ans, ndlr) pour les promotions qui entrent dans l’internat en 2023-2024-2025. Pour l’instant, ils devront passer leur thèse en trois ans contre six ans aujourd’hui, soit avant leur année de Docteur junior ambulatoire. Nous n’avons aucune information…
Une thèse avant la quatrième année pour l’ensemble des internes en médecine générale en sachant que c’est la spécialité où le ratio enseignant/étudiants est le plus faible, c’est faisable ?
Non, on manque de jurys de thèse, de PU-MG*. Cette différence de ratio devrait aboutir à une différence de traitement. Ce n’est pas qu’on ne veut pas passer la thèse, mais ce n’est pas possible. Notre priorité étant l'accompagnement pédagogique, nous craignons que ce soit trop compliqué.
D’ailleurs, des enseignants de médecine générale de Tours et d’Île-de-France ont récemment tiré la sonnette d’alarme dans un courrier, appelant les étudiants à ne pas choisir la MG au-delà d’un certain rang sur ces territoires car les "capacités de formation n’ont pas été respectées". C’est inédit…
On se dit que c’est une catastrophe. On représente des internes en médecine générale, on aime notre spécialité, on a envie de la promouvoir et on est face à un énorme dilemme quand on lit ce genre de textes ! Imaginez un peu, les internes sont prévenus que s’ils prennent ces postes en question, ils ne pourront pas avoir la meilleure formation possible ! C’est très dur pour nous d’entendre ce genre de choses, surtout en pleine procédure de choix. Ça ne devrait pas exister. On entend la détresse des départements de médecine générale, mais ça fait des années qu’on demande plus de maîtres de stage universitaires et qu’on demande une augmentation du nombre d’internes en médecine générale associée au nombre de MSU**, donc des capacités de formations universitaires.
Pourtant, François Braun, quand il était ministre, a tenté de rassurer les étudiants en affirmant qu’il y aurait bien des encadrants pour chaque interne en stage lors de l’annonce de la quatrième année. Il n’en est rien?
Je ne sais pas s’ils ont les chiffres au ministère, et on se demande s’ils se représentent bien ce que veut dire former un interne sur le terrain. Il faut un nombre de MSU qui soit cohérent avec le nombre d’internes qu’on forme. Les ministres ont beau se montrer rassurants, les départements de médecine générale de Tours et d’Île-de-France savent pertinemment qu’ils n’auront pas toutes les capacités de former leurs stagiaires de niveau 1 et qu’ils vont devoir mettre la main à la pâte et se battre.
Les MSU ne seront pas les seuls à former les internes sur le terrain. Un nouveau statut d’encadrant a été créé pour les Docteurs juniors ambulatoires. A quoi cela va-t-il ressembler ?
Le MSU restera en charge de la pédagogie avec un débriefing quotidien obligatoire de l’interne. Mais on va créer en plus un poste de "médecin en charge de la supervision" qui sera un médecin avec la responsabilité d’un interne sur place avec lui. Ce serait une sorte de supervision indirecte. Concrètement, si l’interne se retrouve confronté à une difficulté pendant sa consultation, c’est vers ce médecin-là qu’il se tournera. Le MSU ne sera pas forcément dans le même cabinet. Tout cela sera régi par une convention-type qui sera définie dans un arrêté.
Peut-on considérer qu’il s’agit d’une solution "a minima" compte tenu de la pénurie de MSU ?
Il est tôt pour le dire. Il faut voir si des mesures sont mises en place pour former les médecins chargés de la supervision. Pour l’instant, notre inquiétude se porte surtout sur l’aspect fonctionnel du stage. Quid du matériel, du bureau, de l’ordinateur d’un côté, des agréments de l’autre… ça fait beaucoup de questions à trancher.
François Braun souhaitait inclure une PDSA obligatoire pour les Docteurs juniors ambulatoires… Finalement, elle n’a pas été intégrée à la maquette ?
Pour le moment, tel que c’est écrit dans la maquette, elle resterait...
au choix de l’interne en fonction de la participation à la PDSA du MSU ou du médecin chargé de la supervision. Pour autant, il faut que l’on reste très vigilants sur cette question car cela pourrait très bien être rajouté dans des arrêtés ou dans des décrets ultérieurs. Il n’existe aucun cadre sur la PDSA pour les internes, c’est un énorme flou juridique.
Vous avez sollicité le nouveau ministre de la Santé dès sa nomination. Avez-vous pu le rencontrer ?
Non, on nous a dit que nous serions reçus "dans les prochaines semaines". Nous ressentons beaucoup d’incompréhension. C’est un besoin pour nous de discuter avec notre ministère de tutelle. Il y a eu un changement et qui dit changement, dit remise en question des promesses de l’ancien ministre. C’est très dur pour les internes qu’on représente de ne pas voir ces questions avancer, alors que c’est la rentrée.
Au-delà de la mise en place de la quatrième année d’internat, quels seront les autres dossiers prioritaires de votre mandat ?
Dans l’immédiat, la revalorisation des gardes pour les internes qui ont été exclus des mesures de pérennisation annoncées par le Gouvernement. Si les décrets de revalorisation sortent sans prendre en compte les internes, il y aura un énorme mécontentement et une certaine fureur. Ça fait deux fois qu’on nous annonce qu’on sera pérennisés et il s’agirait donc d’une promesse non-tenue. Pour le reste, il y a bien sûr la lutte pour le droit des internes qui reste un champ de bataille de l’Isnar-IMG, il y a l’action en justice qui est en cours contre les CHU pour le respect du temps de travail. Et puis, nous entendons nous battre pour la conquête de nouveaux droits.
Lesquels par exemple ?
On va se battre pour la mise en place d’un repos pré-garde avec une demi-journée avant une garde pour couper les 24 heures consécutives qui représentent un danger pour la santé des internes. Enfin, cela va ensemble, nous voulons nous attaquer au bornage horaire de la demi-journée de travail et des demi-gardes.
*Professeurs des Universités de Médecine Générale.
**Maîtres de stage universitaires.
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