Produits biologiques : des impacts variés

20/04/2022 Par Marie Ruelleux-Dagorne
Nutrition Santé publique
Le projet BioNutriNet a permis de caractériser des effets sur les différents aspects de la santé de la consommation de produits issus de l’agriculture biologique. Le Dr Emmanuelle Kesse-Guyot*, épidémiologiste et directrice de recherche à INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), nous détaille les résultats. 

Conduit entre 2014 et 2018, le projet BioNutriNet a permis de mesurer sur la large cohorte de NutriNet-santé (30 000 à 70 000 adultes) la consommation d’aliments issus de l’agriculture biologique, et de comparer les consommateurs de produits biologiques et les consommateurs d’aliments conventionnels afin notamment de mieux comprendre les relations entre le mode de production des produits alimentaires consommés, la santé et les impacts environnementaux.  

Les résultats ont montré que les plus forts consommateurs de produits biologiques ont une probabilité réduite de surpoids ou d’obésité (- 31%), d’avoir un syndrome métabolique (-31%), d’être atteints d’un diabète de type 2 (-35%), ou encore de développer un cancer (en moyenne -25%) - dont un lymphome (-76%) ou un cancer du sein post-ménopause chez les femmes (-34%).

 

Egora : Existe-t-il une typologie des consommateurs de produits biologiques ?  

Dr Emmanuelle Kesse-Guyot : Oui, dans un premier article publié en 2013, diffusé également sous forme de BD, nous avons dressé les profils types des consommateurs de bio. Même si on s’aperçoit qu’il y a évidemment plusieurs profils en fonction de différents critères, les très grands consommateurs de bio mangent globalement plus sainement avec notamment plus de fruits, de légumes, de légumes secs, de fruits à coque (noix, amandes, noisettes), d’huiles végétales et de céréales complètes. Ils ont des apports en oméga 3, vitamines, minéraux et fibres supérieurs. Ils ont aussi un niveau d’éducation plus élevé et pratiquent une activité physique plus régulièrement. 

 

Quelles sont les hypothèses pour expliquer une telle différence de risque de surpoids et de syndrome métabolique entre alimentation bio et alimentation conventionnelle ?  

Pour les produits végétaux, et même si cela dépend des conditions d’expérimentation, des variétés utilisées etc., il a été observé une teneur plus importante en vitamine C dans certains végétaux bio qui contiennent par ailleurs plus de matière sèche et qui sont donc parfois plus intéressants sur le plan nutritionnel. Il existe aujourd’hui beaucoup d'études expérimentales soit in vitro, soit chez l'animal, qui montrent que les résidus de pesticides peuvent perturber le métabolisme des glucides et des lipides et par conséquent avoir un effet possible sur la prise de poids ou encore le diabète. C'est la raison pour laquelle nous sommes allés vérifier d'une part si les consommateurs de bio étaient moins exposés aux résidus de pesticides et s’ils avaient moins de risque de développer des pathologies en lien avec un désordre métabolique. Je parle ici des pesticides autorisés à savoir les organophosphorés et les pyréthrinoïdes. Mais attention aussi à l'effet cumulatif ! On sait effectivement que les seuils réglementaires sont donnés aujourd’hui molécule par molécule mais on connaît très mal l'effet potentiel du cumul de ces résidus de pesticides.  

 

Comment expliquer cette diminution de 25% du risque de cancer (tous types confondus) ?

Plusieurs hypothèses pourraient expliquer ces données : la présence de résidus de pesticides synthétiques beaucoup plus fréquente et à des doses plus élevées dans les aliments issus d’une agriculture conventionnelle ou des teneurs potentiellement plus élevées en certains micronutriments (antioxydants caroténoïdes, polyphénols, vitamine C ou profils d’acides gras plus bénéfiques) dans les aliments bio. Beaucoup d'études expérimentales ont observé les effets des résidus de pesticides sur des processus impliqués dans la carcinogenèse (désordre au niveau de l'ADN, dérégulations diverses…). Dans le cas plus spécifique du cancer du sein qui est un cancer hormono-dépendant, il est fort probable que certains de ces pesticides se comportent finalement comme des perturbateurs endocriniens. Les liens entre pesticides et cancer ont été beaucoup étudiés chez les populations professionnelles, mais beaucoup moins en population générale, et encore moins les liens avec l’alimentation bio. Il s’agissait uniquement d’études de surveillance en population générale et c’est en cela que notre étude est inédite car nous suivons les participants au long court. Grâce au projet BioNutrinet adossé à la cohorte Nutrinet-Santé, notre équipe devrait prochainement publier sur les thématiques de l'exposition aux résidus de pesticides et le diabète ou encore l’obésité.  

 

Le généraliste peut-il jouer un rôle dans "l’éducation à l’alimentation bio" ?  

Il est essentiel que les médecins généralistes diffusent les recommandations de 2017 du PNNS (Programme National Nutrition Santé) qui mettent en avant l’intérêt de privilégier des aliments cultivés selon des modes de production diminuant l’exposition aux pesticides de synthèse pour les fruits et légumes, les légumineuses, les produits céréaliers complets afin de diminuer l'exposition de la population générale aux résidus de pesticides.  Ces recommandations sont disponibles dans leur version scientifique sur le site du Haut Conseil de la Santé Publique ou sur le site de Santé Publique France.  

 

*Le Dr E. Kesse-Guyot déclare n’avoir aucun lien d’intérêts

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