Nodules thyroïdiens : les endocrinologues dénoncent des chirurgies inutiles
Cette année le consensus annuel de la Société Française d’endocrinologie (SFE) portera sur la prise en charge des nodules thyroïdiens. Il a été annoncé en conférence de presse en amont de la Journée Européenne des hormones, le 23 mai. En effet, pour le Pr Françoise Borson-Chazot (Hôpital Louis Pradel, Lyon), il s’agit d’un véritable « enjeu de santé publique ». Cette pathologie très fréquente, marquée par la crainte d’un cancer, est à l’origine d’une prise en charge chirurgicale importante, qui n’est pas justifiée dans un grand nombre de cas. Les nodules thyroïdiens sont, en effet, très fréquents, concernant 5 à 7% des femmes et 1 à 2 % des hommes. En outre, on peut la qualifier de pathologie du vieillissement, puisqu’à 80 ans, près de 80% des femmes présentent un nodule. Le nodule est découvert le plus souvent à la palpation, ou de façon fortuite, à l’occasion d’un examen de radiologie pour autre chose (incidentalome dans 30 à 40% des cas) ; et dans 15% des situations, l’examen est fait suite à un dysfonctionnement thyroïdien. Dans plus de 90% des cas, les nodules sont euthyroïdiens, bénins et non évolutifs ne justifiant pas de prise en charge spécifique. Tout l’enjeu est de ne pas passer à côté d’un cancer qui représente 4 à 5% des nodules, ou d’un nodule toxique responsable d’hyperthyroïdie ou compressif. Mais « la très grande majorité des nodules sont bénins. Donc il faut dédramatiser. Il ne faut pas les négliger, mais il faut savoir les respecter sans trop s’inquiéter » insiste le Pr Borson-Chazot. Surdétections et surtraitements Or, bien souvent, ce n’est pas le cas. Et les nodules thyroïdiens font l’objet d’une hausse massive de diagnostic depuis 30 ans, dans tous les pays industrialisés et notamment en France. Ce phénomène est lié au développement de l’imagerie, à l’amélioration de l’accès aux soins, et aux changements de pratique anatomo-pathologique. Cependant, cette évolution ne s’accompagne pas de changement sur la mortalité. Pour la SFE, il s’agit d’une « surdétection conduisant à des traitements dont l’impact bénéfice-risque est considéré comme défavorable ». Ainsi, 35 000 interventions pour nodules thyroïdiens ont été réalisées en 2010. Or la part des cancers n’était que de 17%. Il existe, par ailleurs, une forte hétérogénéité dans les prises en charge en fonction des régions et même des centres. Ainsi, dans les établissements qui respectent bien les recommandations, la part des cancers est plus élevée. Ces constatations sont d’autant plus importantes que si les opérations de la thyroïde sont souvent simples, elles ne sont pas dénuées de complications ; et une ablation de la thyroïde nécessite souvent un traitement à vie, et a un impact non négligeable sur la qualité de vie. Enfin, cet excès de chirurgie a abouti à une « épidémie de cancers thyroïdiens » du fait que l’incidence de ces cancers a été multipliée par 6 depuis 30 ans, dans les pays industrialisés. Mais cette hausse concernait surtout de petits cancers, de moins de 1 cm, qui sont passés de 5 à 50%. A l’opposé, on n’a pas observé d’augmentation des gros cancers. Des observations ont aussi été réalisées en Corée du sud, un pays qui a instauré le dépistage systématique des cancers thyroïdiens. Il en est résulté une incidence des cancers multipliée par 15. En revanche, la mortalité n’a pas évolué non plus dans ce pays. Devant ces constatations, le dépistage systématique a été arrêté, et l’incidence des cancers a baissé. En France, entre 1980 et 2012, l’incidence des cancers s’est accrue de 1300 à 8200 ; mais les décès liés ont peu baissé (de 500 à 400 par an au cours de la période). « On a dépisté des formes infracliniques qui ne se serait pas développé » confirme la spécialiste ; donc « c’est du surdiagnostic ». On considère ainsi que 50% des cancers opérés sont des microcancers, de moins 1 cm, de type carcinomes papillaires. Et même si l’intervention n’est pas décidée uniquement sur la taille de la tumeur - car d’autres facteurs interviennent aussi -, on considère qu’environ la moitié de ces microcancers ont été opérés inutilement. Face à ces données, les spécialistes ont mis en place une stratégie « déflationniste » qui conduit aujourd’hui, en France, à une diminution des indications chirurgicales qui commence à se traduire dans les chiffres. « A l’inverse, il reste très important de savoir reconnaitre et prendre en charge de façon urgente certains cancers au pronostic sombre qui peuvent se révéler par un nodule » souligne la SFE. De nouvelles stratégies de prise en charge Ce contexte -auquel s’ajoute un surcoût important - , justifie la rédaction d’un nouveau consensus d’experts dans ce domaine. L’objectif étant donc « savoir détecter les nodules à risque de malignité, car 90% sont bénins et ne nécessitent pas de prise en charge spécifique » a résumé le Pr Borson-Chazot. Le précédent texte datait de 2011. Or depuis, des progrès ont été faits pour l’exploration, le diagnostic préopératoire et le traitement des nodules thyroïdiens. Ce texte vise donc à proposer une stratégie pertinente dans la prise en charge diagnostique et thérapeutique des nodules thyroïdiens, « dans le respect du droit des patients, et dans le cadre d’un parcours de soins adapté » détaille la SFE. Il s’agit en particulier de préciser la place de l’échographie et de la cytologie, mais aussi les perspectives prometteuses issues de la biologie moléculaire. Sur le plan thérapeutique, les apports de la médecine nucléaire doivent être discutés, de même que les indications des différentes techniques chirurgicales et des voies alternatives qui émergent, qu’il s’agisse de la surveillance active des microcancers, ou de la prise en charge thermoablative pour les nodules bénins. Seront aussi précisés le suivi des formes non opérées ou bénignes, ainsi que la prise en charge des formes de l’enfant, et de la femme enceinte. Le traitement devra aussi être personnalisé et tenir compte de la balance bénéfice/risque de chaque traitement et de leur impact sur la qualité de vie. Enfin, le texte devrait aussi insister sur la nécessité d’une prise en charge multidisciplinaire. D’où l’intégration, pour sa rédaction de 3 sociétés, la Société Française d’Endocrinologie (SFE), l’Association Française de Chirurgie Endocrinienne (AFCE) et la Société Française de Médecine Nucléaire (SFMN), ainsi que celle d’experts d’autres spécialités (anatomo-pathologistes, radiologues, pédiatres, biologistes…). Ce consensus sera présenté le 15 octobre 2022 au Congrès de la SFE à Nantes.
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