"Fixons-nous une priorité : que d’ici quelques années nous ayons déployé pour le cancer du poumon des campagnes au moins aussi efficaces que celles qui ont cours" pour d’autres cancers. Lors de la présentation de la Stratégie décennale de lutte contre les cancers en février 2021, Emmanuel Macron s’était engagé à "défricher une nouvelle frontière". Une demande formulée de longue date par les pneumologues, "dans une grande attente du dépistage, qui ont envie qu’il soit déployé de manière très concrète", rappelle le Pr Sébastien Couraud, chef du service de pneumologie aiguë spécialisée et cancérologie thoracique des Hospices civils de Lyon (HCL). Or malgré les annonces encourageantes, le feu vert se fait toujours attendre. Nonobstant la valse des ministres de la Santé (cinq depuis mai 2022), "il y a peut-être de la part de certaines administrations une frilosité à mettre en place un nouveau programme de dépistage alors que les résultats ne sont pas très bons pour ceux en cours", avance Sébastien Couraud. Exemple, celui du cancer colorectal, dont le taux de participation était de 34,3% en 2021-2022. Autre motif d’hésitation, le recours au scanner (faible dose), ressource très inégalement répartie sur le territoire. A quoi s’ajoutent divers écueils organisationnels, dont la difficulté pour l’Assurance maladie de cibler les fumeurs, actifs ou sevrés, en l’absence de données individuelles sur le tabagisme de ses bénéficiaires. Des résultats sans équivoque Pourtant, il n’y a là rien d’incontournable, à en juger au succès de programmes déployés aux Etats-Unis depuis 2013, ou au Royaume-Uni depuis 2023. Dans ce dernier pays, plus de 3 000 cas de cancer du poumon, dont trois quarts au stade 1 et 2, ont pu être détectés en six mois, sur un million de personnes invitées. Selon le président de la SPLF, le Pr Jésus Gonzalez (président de la SPLF, et chef du service de soins de suite et de réadaptation respiratoires et neurorespiratoires, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris), "il s’agit de choix politiques, pas scientifiques". Car en matière scientifique, le bien-fondé du dépistage organisé ne fait guère de doute. Deux grandes études, l’américaine NLST (2011) et la belgo-néerlandaise Nelson (2020), ont démontré son efficacité, avec une baisse de 20% de la mortalité par cancer pulmonaire (et de 6,7% toutes causes confondues) dans la première, de 24% chez les hommes dans la seconde (1) (2). A plus petite échelle, plusieurs expérimentations locales ont été conduites en France. Notamment l’étude DEP KP80, menée dans la Somme entre 2016 et 2020 et impliquant 225 généralistes (3). En seulement deux ‘rounds’, 77% des cancers détectés l’ont été aux stades 1 ou 2. A comparer aux 57,6% de cancers détectés au stade métastatique (stade 4), donc non opérable, selon les chiffres de l’étude nationale KBP2020. Un bémol, mais de taille : de 73,1% au premier tour, le taux de participation a chuté à 35,3% au deuxième tour (contre 94,2% dans Nelson). Pour le Dr Jacques Le Treut, pneumologue libéral à Aix-en-Provence, "le dépistage est faisable en France, mais l’adhérence sera un vrai challenge". Jusqu’à 7 500 vies sauvées par an Selon les experts, environ deux millions de personnes pourraient être ciblées, pour 7 500 vies sauvées par an en cas d’adhésion à 100%. L’intérêt ne se limiterait pas au cancer. "Un tel dépistage permettrait de mettre un pied dans la porte pour la détection de toutes les maladies liées au tabac, dont la BPCO et les calcifications des coronaires et de l’aorte", également décelables par scanner, explique Jésus Gonzalez. "Notre vœu est qu’on puisse y associer de la spirométrie et une aide au sevrage tabagique". Deux jours après la clôture de son congrès, la SPLF avait rendez-vous à l’Elysée pour plaider la cause du dépistage. Alors que la société savante prône la mise en place rapide de programmes expérimentaux, éventuellement dans des régions pilotes, l’Elysée pencherait pour l’option recherche clinique, plus lourde à mettre en place et à financer, et dont les résultats ne seraient pas attendus avant plusieurs années. Si rien n’est encore arbitré, les experts de la SPLF ont eu l’assurance d’être recontactés, avec "une clause de revoyure dans un mois", selon Sébastien Couraud. Egalement très attendu, le référentiel de l’Institut national du cancer (Inca) sur la forme que pourrait prendre un futur programme de dépistage. Ce document définira la population ciblée (50-75 ans ? plus de 20 paquets-années ? fumeurs actifs ou sevrés depuis 10 ou 15 ans ?), mais aussi la fréquence des examens d’imagerie et l’algorithme décisionnel face à un résultat incertain. Pour Jésus Gonzalez, "l’année 2024 sera cruciale : nous souhaiterions aboutir à la version définitive du référentiel, et obtenir enfin un arbitrage des pouvoirs publics pour nous dire ‘on y va’, et sous quelle forme".
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