Obésité, diabète de type 2, mais aussi cancers, maladies cardiovasculaires et dépression… En Europe, 2% des hommes de plus de 40 ans souffriraient d’hypogonadisme (1), déficit hormonal lié à une moindre qualité de vie sexuelle (baisse de libido, dysfonction érectile), mais aussi à une fatigue chronique, à une diminution de la force musculaire, à de l’anxiété et des symptômes dépressifs. A l’échelle de la population française, 340 000 hommes pourraient ainsi être concernés, a estimé le Pr Eric Huyghe, chirurgien urologue au CHU de Toulouse, lors du Congrès français d'urologie. Or, seuls 20% de ces hypogonadiques potentiels, soit 70 000 hommes, sont actuellement traités. Comment expliquer ce faible engouement pour le traitement de l’hypogonadisme ? Entre autres raisons, par une méconnaissance des critères diagnostiques. Citée par Eric Huyghe, une enquête menée par l’Association française d’urologie (AFU) révèle que 77% des urologues recourent encore aux valeurs de référence spécifiques de la tranche d’âge. Si cette pratique a longtemps été recommandée, elle ne l’est plus : « Quand on utilise ces abaques en fonction de l’âge, notamment dans les groupes plus âgés, on peut passer à côté de patients pourtant symptomatiques », explique Eric Huyghe. Publiées en 2021, les recommandations de l’AFU et de la Société francophone de médecine sexuelle (SFMS) prônent désormais le recours, quel que soit l’âge, aux valeurs de référence de l’homme jeune, sur deux dosages successifs (le matin à jeun, un mois d’intervalle) (2). De même, les deux sociétés savantes conseillent un dosage de la testostérone libre ou de la testostérone biodisponible, plutôt que celui de la testostérone totale, qu'Eric Huyghe juge « peu fiable dans les groupes à risque ». Des « peurs irrationnelles » Autre obstacle à la prise en charge, une réticence des patients, nombreux à confondre ce traitement avec les suppléments utilisés par les culturistes, ou à craindre des effets indésirables non avérés (chute de cheveux, pilosité accrue, comportements agressifs, etc). « Ce traitement n’est pas assez bien connu, et fait l’objet de peurs irrationnelles. Les données rassurantes ont été peu relayées », observe Eric Huyghe. La méfiance émane souvent des soignants eux-mêmes. Entre autres idées reçues, celle selon laquelle un antécédent de cancer de la prostate constituerait une contre-indication à ce traitement. Selon l’enquête de l’AFU, 40% des urologues feraient en effet cette méprise. De même, 10% pensent à tort que l’hypertrophie bénigne de la prostate est aussi une contre-indication. Suivant les recommandations AFU/SFMS, le traitement à la testostérone est en effet à éviter chez les hommes atteints d’un cancer de la prostate évolutif. En revanche, il n’existe aucune contre-indication en cas d’hypertrophie bénigne de la prostate, ni chez les hommes atteints d’un cancer de la prostate sous surveillance active (donc non traité), ou après un an de rémission complète d’un cancer de la prostate localisé de risque faible ou intermédiaire. Au-delà des urologues, la réticence est aussi courante chez les médecins généralistes et les endocrinologues. Aux Etats-Unis, le traitement à la testostérone, dont les prescriptions ont triplé au cours des années 2010, s’est effondré lors de la décennie suivante, suite à des études suggérant un risque cardiovasculaire, et en raison de plusieurs mises en garde de la Food and Drug Administration (FDA) (3). Selon l’AFU et la SFMS, il est d’ailleurs contre-indiqué d’administrer de la testostérone dans les six mois suivant un accident cardiovasculaire ou en cas de maladie cardiovasculaire non contrôlée. Quant aux hommes à faible risque, d’autres travaux ont depuis suggéré un possible effet préventif (4).
Chez les patients atteints d’un cancer de la prostate, le déficit de testostérone est lié à une maladie plus agressive. Toutefois, l’étude Aandrocan, dont les résultats finaux à cinq ans ont été publiés au congrès, révèle un phénomène plus subtil : portant sur 1 318 hommes atteints d’un cancer localisé et traités par prostatectomie radicale, elle révèle en effet que ceux atteints d’hypogonadisme sont certes plus fréquemment atteints de tumeurs agressives, mais qu’ils ne présentent pas un risque significativement accru de récidive. Selon le Pr Yann Neuzillet, du service d’urologie de l’hôpital Foch (Suresnes), « le statut gonadique biologique pré-opératoire est utile pour la décision thérapeutique, mais n’indique pas un suivi spécifique sur le plan oncologique ».
1) Tajar A et al., Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism, 1er mai 2012
2) Burté C et al., Progrès en Urologie, juin 2021
3) Baillargeon J et al., JAMA, 10 juillet 2018
4) Cheetham TC et al., JAMA Internal Medicine, 1er avril 2017 Les autres articles de ce dossier :
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