Gynéco sans successeur : "les jeunes médecins ont une mentalité d'enfants gâtés"

01/04/2017 Par Aveline Marques
Démographie médicale

Son annonce a fait le buzz. Le Dr Bernadette Perrot, gynécologue dans une petite ville de Mayenne, cherche un successeur depuis un an et demi, en vain. Pour appâter les jeunes, elle a décidé de céder sa patientèle et tout son matériel pour 1 euro.

"Assez de la grisaille urbaine ? Vous êtes gynécologue à la recherche de grands espaces? Situé à 40 km d'Angers environ, une patientèle créée depuis 30 ans avec passion et regroupant 4 générations de patientes recherche un nouveau gynécologue pour les écouter, les accompagner et les suivre. L'équipement médical est également cédé pour 1EUR symbolique." Avec cette annonce parue sur le Bon coin le 22 mars dernier, le Dr Bernadette Perrot, installée en libéral depuis 32 ans à Château-Gontier (Mayenne), joue sa dernière carte. A la fin de l'année, elle prendra sa retraite, à presque 70 ans. "Les consultations s'arrêteront fin novembre. Les femmes vont être perdues. Elles devront aller plus loin, dans les grandes villes où les tarifs sont prohibitifs, avec des consultations à plus de 60 euros. Moi je suis en secteur 2, mais je ne prends que 10 euros de dépassement. Tout ce qui est technique, je le fais en secteur 1 et les échos je ne les cote pas."  

"Aujourd'hui, les étudiants ne sont pas téméraires"

  Comment préserver l'accès aux soins de ses quelques 15.000 patientes après son départ en retraite ? Un casse-tête que cette gynécologue passionnée tente de résoudre depuis un an et demi. "J'ai passé des annonces dans la presse médicale et sur la plateforme de l'URPS-médecins Pays-de-la-Loire. Je n'ai eu aucune touche… à part les agences immobilières, qui se sont dit qu'en tant que spécialiste médicale, je devais avoir une belle maison à vendre", se désole le Dr Perrot, qui a également tenté de contacter les chefs de cliniques des hôpitaux de la région, sans succès. Château-Gontier, petite ville de 11.000 habitants, a bien du mal à rivaliser avec les hôpitaux d'Angers, du Mans et de Rennes. "La Mayenne paraît trop reculée, rurale… Pourtant on a le gaz, l'électricité et internet, ironise-t-elle. On est à 1h10 de Paris avec la LGV, on a la mer à 2 heures. On a même du ski nautique à Château-Gontier !" Celle qui, 32 ans plus tôt, a quitté la grisaille parisienne pour venir se mettre au vert avec son bébé de 4 mois, a bien du mal à comprendre les réticences des jeunes médecins. "Aujourd'hui, les étudiants veulent rester près de leur fac, où ils se sont constitués leur réseau. Je dis souvent en riant qu'ils ont un cordon ombilical très court et n'arrivent pas à le couper ! Ils ne sont pas téméraires: c'est au patient de venir à eux"  

"Fatiguée"

  Certes, les temps ont changé. Il n'est plus question pour un gynécologue libéral de tenir seul une maternité. "Je pratiquais jusqu'à 500 accouchements par an. Puis la DDAS m'a obligée à trouver un associé, qui est venu lui aussi de Paris. Il est parti à la retraite il y a 3 ans, à 65 ans." Bien que plus âgée, Bernadette Perrot, elle, n'a guère ralenti l'allure. "J'arrive au cabinet à 6h pour faire mon courrier et gérer les dossiers, puis je retourne chez moi faire mon sport et je démarre les consultations vers 9 heures, jusqu'à 19h-19h30." Soit "25 à 30" consultations par jour, contre "35 en moyenne" jusqu'il y a un an. "J'ai ralenti, je commence à être un peu fatiguée. Mais ça reste un rythme soutenu pour un spécialiste qui est obligé de faire se déshabiller ses patientes ; pas comme un ophtalmo, qui peut enchaîner jusqu'à 70 consultations par jour", souligne-t-elle. En gynéco, les consultations durent en moyenne 15 à 20 minutes. Le temps qu'il faut pour créer "une certaine intimité": "les femmes viennent pour une mycose et me parlent de vaginisme en fin de consultation." Sa vie professionnelle a-t-elle empiété sur sa vie familiale ? "Je suis arrivée avec un bébé de 4 mois et j'ai tenu seule une maternité pendant plusieurs années", rétorque le Dr Perrot, admettant que sa vie sociale, en revanche, a pu en pâtir. A l'époque. Depuis, la gynécologue a été élue à la communauté de communes, fait partie d'une troupe de spectacle, préside un club d'œnologie, est membre d'une association philosophique…  

"Les jeunes font médecine pour gagner des sous"

  Bernadette Perrot l'admet volontiers : les "vieux" médecins comme elle en font "peut-être trop". "Il y a sans doute un juste milieu à trouver… Les jeunes, eux, ne travaillent que 4 jours par semaine. Ils ont un peu une mentalité d'enfants gâtés. On a l'impression qu'ils font médecine pour avoir des sous et être considérés comme les rois des rois. Mais c'est plus facile de faire médecine que polytechnique! Qu'on arrête de déconner", lance-t-elle, concédant tout de même que le côté administratif est lourd à gérer et fait peur. Si la gynécologue se situe "en haut du panier" en termes de revenus, elle estime que même en travaillant moins et en cotant normalement, son successeur peut encore très bien gagner sa vie. Pour cause, il serait le seul spécialiste à plus de 30km à la ronde. "On est plus que 3 dans toute la Mayenne."  

Les médecins responsables des déserts

  Les autres spécialités ne sont guère mieux loties. "8000 patients sont sans médecin traitant dans l'agglomération de Laval. Il n'y a pratiquement plus d'ophtalmo, les dentistes j'en parle même pas et les dermatos fondent comme neige au soleil. Il n'y a plus que deux pédiatres dans tout le département, et encore ils travaillent à mi-temps à l'hôpital", recense-t-elle, fustigeant l'inaction de l'ARS. "On ne risque pas d'avoir un secours de ce côté-là. Leur politique semble de vouloir remplacer les libéraux par des salariés." Bernadette Perrot juge aussi ses collègues responsables du désert qui, chaque année, semble gagner du terrain. "Ils cherchent même pas, ils dévissent la plaque." Alors, elle, a voulu "se remuer". "Avec mon annonce sur le Bon coin, j'ai fait le buzz. Il y a plein d'articles et de reportages et j'ai déjà reçu plusieurs réponses", se félicite-t-elle. Il faut dire que l'offre est généreuse. Pour 1 euro symbolique, Bernadette Perrot ne cède pas seulement sa patientèle, mais aussi son matériel : un échographe "pas vieux", une table électrique, un stérilisateur de sonde, un coloscope, un autoclave …. "Il y en a pour plusieurs dizaines de milliers d'euros. De toute façon, il n'était pas question que j'en tire un sou : je comptais le donner à Gynécologie sans frontières. En revanche, les murs m'appartiennent et je les donne pas. Il ne faut pas exagérer!"

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