"Ingratitude corporatiste" : la liberté d'installation remise en cause par plusieurs amendements

11/03/2019 Par Aveline Marques
Démographie médicale
Qui dit projet de loi de santé, dit amendements remettant en cause la liberté d'installation des médecins. Le texte qui sera examiné le 18 mars à l'Assemblée nationale ne déroge pas à la règle. S'opposant à toute "mesure coercitive", l'Anemf se dit prête à se mobiliser.

"La liberté d’installation totale dont jouissent les professionnels de santé exerçant en ville les mènent naturellement à privilégier leur confort de vie présumé sur leur mission de service public", attaquent les députés de La France insoumise, dans l'exposé sommaire d'un amendement au projet de loi de santé visant à conditionner le conventionnement des médecins à "l’appréciation de la densité de l’offre de soin dans sa zone d’installation". Dans un contexte de hausse "des inégalités d'accès à la santé", les Insoumis estiment que la liberté d'installation constitue "une forme d'ingratitude corporatiste envers la collectivité". Alors que l'État "finance les études des médecins" et que la Sécurité sociale assure "leurs revenus", " il semble cohérent de réclamer de la part des médecins une contrepartie, en conditionnant leur conventionnement au niveau de densité des territoires", soulignent-ils. "Ce n’est qu’ainsi que nous résorberons rapidement les déserts médicaux et que nous lutterons efficacement contre les inégalités territoriales qui minent littéralement notre système de santé." Un point de vue partagé par un groupe de députés LREM, auteurs d'un amendement proposant d'instaurer une coercition à l'installation des nouveaux diplômés "à titre expérimental" pour une dans les "régions volontaires". Les jeunes médecins seraient ainsi "tenus de s’installer pour une durée d’au moins trois ans dans une zone caractérisée par une offre de soins insuffisante ou des difficultés dans l’accès aux soins". Le fait de se soustraire à cette obligation entraînera une amende à hauteur de 1000 euros par mois restant à effectuer. Reprenant les constats de la Cour des comptes, les auteurs de l'amendement soulignent que les "nombreux dispositifs incitatifs mis en place par l’assurance maladie et l’État n’ont pas permis de lutter efficacement contre les disparités territoriales". Un troisième amendement, porté par des députés LR, suggère d'instaurer une coercition dès le début du cursus : le premier tiers d'étudiants classés après le numerus clausus se verraient ainsi accorder le droit de poursuivre leurs études de médecine en échange de leur engagement à exercer dans une zone sous-dense durant au moins trois ans.

Ces amendements n'ont pas manqué de faire réagir l'Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), farouchement opposée à "toute forme de mesure coercitive". "Supprimer la liberté d'installation aurait des effets délétères sur la profession libérale mais aussi sur l'équilibre de notre système de santé et les patients", insiste l'association, qui promet d'organiser "une mobilisation si ces amendements sont votés". Pour l'Anemf, l'instauration d'un conventionnement sélectif ne ferait que forcer "les jeunes médecins à s’installer dans les zones en bordure des territoires les plus attractifs, à la périphérie des zones qualifiées de 'sur-dense'" ou pire, les éloigner de l'exercice libéral et les contraindre à se tourner "vers une pratique hospitalière les accueillant 'à bras ouverts'". "L’attractivité de la spécialité de médecine générale, au vu de son exercice à majorité libérale, va en pâtir auprès des étudiants", présage l'Anemf, citant l'exemple de l'Italie, "où un conventionnement sélectif est appliqué pour les médecins de famille qui ne représentaient que 22% de la population de médecins en 2014, soit deux fois moins qu’en France". "Un conventionnement sélectif encouragerait les médecins à se déconventionner, renforçant ainsi le secteur 3 aujourd’hui largement minoritaire (moins de 1000 médecins en France)", souligne encore l'association. L'Anemf tord enfin le cou à l'idée selon laquelle les jeunes médecins seraient redevables à la société. "Un étudiant paiera en moyenne 5 016 euros à son entrée en Paces, et 3 250 euros à son entrée dans l’externat", relève l'organisation étudiante, qui intègre le coût des prépas privés dans ses calculs. Plutôt cher pour des études censément gratuites… Cette dette est d'ailleurs largement remboursée au cours de l'externat et de l'internat, estime l'Anemf.  Ces amendements ont toutefois peu de chance d'être votés, étant donné l'opposition d'Agnès Buzyn et d'Edouard Philippe à toute remise en cause de la liberté d'installation.

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