Un médecin coûte que coûte : enquête sur le business des cabinets de recrutement
Collectivités territoriales recherchent candidat médecin pour prendre soin de leur population aux abois. Plus d’un Français sur dix habitait dans un désert médical en 2019, révélait une étude de l’Association des maires de France en décembre 2020. La démographie médicale étant devenue un enjeu majeur de santé publique, de nombreuses collectivités se tournent vers des cabinets de recrutement spécialisés, dont l’objectif est de placer le bon candidat dans la bonne commune. Des chasseurs de tête qui inondent les médecins déjà en poste de mails et d’appels pour leur vanter les mérites d’une installation à la campagne, ou qui écument les pays d’Europe de l’Est ou du Sud à la recherche de praticiens francophones et ouverts à d’autres horizons. C’est le cas du Dr Hajnalka Polgar, qui a démarré son activité en janvier dernier à Oisseau, en Mayenne (Pays de la Loire). « Je pensais depuis quelque temps à fermer mon cabinet de Satu Mare, en Roumanie, quand j’ai reçu un appel du cabinet Optim Synchrony, de Cholet, raconte cette généraliste. Ils m’ont proposé plusieurs offres, et je me suis décidée pour Oisseau. » Si la suite n’a pas tout à fait été une partie de plaisir – les formalités administratives, l’inscription à l’Ordre, les rencontres avec les différents intervenants souvent retardées par la crise sanitaire –, la praticienne, qui avait également reçu des offres d’autres cabinets pour d’autres territoires français, et même pour d’autres pays, se dit, finalement, « très satisfaite » de cette collaboration et de son installation en territoire mayennais.
Un degré de satisfaction que n’affichent pas toujours les collectivités territoriales et établissements sanitaires, clients de ces cabinets de recrutement. C’est en tout cas ce que suggère l’expérience de la commune de Parigné-l’Évêque, dans la Sarthe, en bonne voie pour l’installation d’un médecin généraliste à la rentrée, et ce, grâce aux services d’un cabinet spécialisé… alors qu’elle se débat avec les chasseurs de tête depuis 2017. « Nous avons commencé nos recherches il y a quatre ans avec un cabinet qui avait plutôt des profils de médecins venant de Roumanie. La première candidate qu’ils nous ont proposée n’a pas été acceptée par le Conseil de l’Ordre car elle ne parlait pas bien français, se souvient Nathalie Morgant, maire depuis 2018. On nous a ensuite proposé un deuxième candidat, mais cela a échoué quatre jours avant l’installation prévue, parce que son conjoint n’avait pas trouvé d’emploi… » Échaudés par cette expérience douloureuse, les élus changent alors de prestataire. « Nous avons réalisé que les relations n’étaient pas bonnes entre le cabinet et le Conseil de l’Ordre, et avons donc fait appel...
à un autre cabinet, situé dans le sud de la France et qui travaille plutôt avec des médecins espagnols, raconte-t-elle. Depuis, cela se passe beaucoup mieux, les conseils et le suivi sont plutôt bons : un médecin arrivera sur le territoire le 15 juillet, et sera pleinement opérationnel début septembre… même si l’expérience nous a appris qu’il ne faut pas crier victoire trop tôt ! » « No alternative » Pour autant, quelle autre solution ? Car même si les prestations proposées par les cabinets de recrutement sont inégales et manquent parfois de diligence, les collectivités se retrouvent parfois sans véritable alternative face à l’épineuse question de la désertification médicale. « Nous venons de passer une délibération au niveau de la communauté de communes qui nous permet de faire appel à un cabinet qui s’est donné six mois pour recruter un médecin, explique ainsi Sandrine Larcher, vice-présidente chargée de la santé à la communauté de communes « Sud Territoire » et maire de Delle, petite ville de 5 749 habitants [Insee 2015, NDLR], située dans le Territoire de Belfort (Bourgogne-Franche-Comté). Nous en sommes arrivés là parce que malgré nos efforts – par exemple, la gratuité des locaux pendant un certain temps ainsi qu’une aide de 10 000 euros en complément de celle de l’ARS –, nous n’avons pas eu jusqu’ici beaucoup de succès dans les recherches. »
Coût de l’opération : 17 000 euros, indique l’édile. Un montant similaire à celui cité par son homologue sarthoise de Parigné-l’Évêque (14 800 euros). Mais si l’addition peut sembler salée, Sandrine Larcher estime qu’il s’agit là « d’argent public bien investi, car nous avons très peur pour les populations », étant donné que la commune « souffre, avec un seul médecin pour 5 000 habitants ». La somme sera d’ailleurs versée pour l’essentiel « une fois que le nouveau médecin sera installé et qu’il aura toutes les autorisations requises pour exercer », ajoute-t-elle, précisant que si le médecin décidait de ne pas s’installer sur le territoire, « le cabinet s’engagerait à trouver quelqu’un d’autre sans frais supplémentaires ». Secret de fabrication Comment les cabinets s’y prennent-ils donc pour trouver la perle rare qui, non seulement, s’installera dans la commune mais en plus y restera ? « C’est un secteur assez concurrentiel, et je ne souhaite pas trop afficher la manière dont on procède », sourit Guy Enone, directeur de l’agence BRM Conseil, fondée il y a une dizaine d’années. Tout au plus acceptera-t-il de dire que son entreprise dispose d’une base de données dans laquelle il pioche lorsqu’un client le contacte, qu’il va chercher les médecins « sur les réseaux sociaux, mais aussi en allant les voir chez eux, dans une démarche de chasseur de tête», et qu’il dispose de partenaires dans trois pays européens : la Roumanie, la Bulgarie et le Portugal. Les bases de données des recruteurs sont, en effet, constituées en grande partie de CV de médecins provenant de divers pays de l’Union européenne. « Dans notre métier tel que nous le concevons chez BRM Conseil, la nationalité du candidat importe peu, explique Guy Enone. Nous proposons tant des médecins français qu’étrangers. Ce qui compte, c’est que la personne puisse exercer la médecine légalement en France et ait un bon niveau de français. » Mais tous les cabinets ne procèdent pas de cette manière... du moins pas officiellement. « Je sais que certains vont chercher les médecins à l’étranger, ce qui n’est pas notre cas, explique Aurélia de Mascarel, qui dirige Activa Médical, une agence située à Rennes. Mais il arrive que par notre présence en ligne, nous ayons des candidatures étrangères, et dans ce cas, nous vérifions qu’ils sont inscriptibles à l’Ordre et qu’ils ont un niveau de français suffisant. » Activa Médical compte-t-elle, un jour, avoir un stand dans les multiples salons de recrutement d’Europe de l’Est où les chasseurs de tête venus de tout le continent se retrouvent pour attirer les praticiens ? La directrice répond, très honnêtement, qu’elle « n’exclut pas de le faire ». En faveur de la coercition Mais les missions des cabinets de recrutement vont au-delà du simple tri à partir des énormes bases de données. D’après Guy Enone, les missions auprès des collectivités durent « entre trois et six mois ». Aurélia de Mascarel insiste, pour sa part, sur le fait qu’elle « prend du temps avec les clients pour qu’ils puissent expliquer le contexte, préciser les démarches déjà effectuées, ce qui permettra de mieux vendre le poste aux médecins ». Avant d’ajouter qu’elle assure aussi un rôle de conseil. « Je sais ce que proposent les autres mairies, et si par exemple un client n’a pas pensé à proposer le loyer gratuit sur une certaine période alors que les autres le proposent, je lui dis de le faire », illustre-t-elle.
Reste que si les clients se disent satisfaits d’être épaulés dans leurs recherches, ils ne relâchent pas pour autant leurs efforts pour trouver des médecins par leurs propres moyens. « Nous travaillons aussi avec le département, et avons tenté de démarcher des internes », explique Nathalie Morgant. Ce que concède également Sandrine Larcher : « Nous continuons bien évidemment nos efforts. Le cabinet de recrutement est une piste supplémentaire. Et de toute façon, un seul médecin ne suffira pas… » Car pour les élus, la triste vérité est que les cabinets de recrutement ne constituent qu’une solution conjoncturelle et imparfaite à un problème structurel. « On n’y arrivera pas tant qu’on n’imposera pas aux jeunes médecins de s’installer quelques années dans un territoire sous-doté », soupire Sandrine Larcher. « La solution se trouve au niveau de nos députés et sénateurs, abonde en ce sens Nathalie Morgant. L’installation des médecins doit être régulée, comme c’est le cas pour d’autres professions. » Une petite musique qui n’est pas toujours agréable aux oreilles des médecins mais qui, au vu du calendrier électoral, risque fort d’aller crescendo au cours des prochains mois.
Si la grande majorité des cabinets de recrutement qui travaillent avec les collectivités territoriales cherchent à installer des médecins en libéral, le salariat est une option qui se développe également. La preuve avec la région Centre-Val de Loire, qui veut installer 150 médecins salariés dans une trentaine de centres de santé, et qui a fait appel à deux agences spécialisées. « Nous avons deux contrats, explique Aline Chassine Deniau, directrice GIP Pro Santé, la structure créée par la région pour gérer le projet. Le premier travaille sur le marché français, le second sur l’international. » Les résultats sont pour l’instant modestes : les huit médecins salariés recrutés l’ont été par d’autres moyens. « Nous n’en sommes qu’au début, et de toute façon, nous comptons sur une multitude de canaux : les ambassadeurs, les médecins déjà installés, les contacts avec les internes, la communication… Les cabinets de recrutement ne sont qu’une des cordes à notre arc. »
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