"Docteur, je veux un bilan" : pourquoi les batteries d'examens systématiques énervent ce médecin

22/02/2020 Par Dr Marion Lagneau
Billet de blog

En France, toute personne affiliée au régime général de la Sécurité sociale, assurée ou ayant droit, peut bénéficier gratuitement d’un bilan de santé, en principe tous les cinq ans. Pour cette blogueuse gastro-entérologue libérale, trop de patients abusent encore de ce droit pour se rassurer. Mais cela n'a jamais permis de grappiller quelques années supplémentaires...   Billet initialement publié sur le Blog "Cris et chuchotements médicaux" par le Dr Lagneau, gastro-entérologue libérale.    Ah, le nombre de patients qui veulent faire un "Bilan" ! Un bilan, généralement, cela sous-entend :  je ne me sens pas malade, mais je pourrais l’être sans le savoir, et je veux faire plusieurs tests pour m’assurer de ma bonne santé, ou dépister une future maladie avant qu’elle n’advienne. Si "tout" est normal, cela me fera une sorte de bon de garantie pour l’année à venir. Une majorité des Français, en excellente santé, estime ainsi qu’il est bon pour sa santé de pratiquer au moins une fois par an, un bilan comportant divers examens biologiques et/ou radiologiques. Ils pensent que plus on fait d’analyses et d’examens pour détecter des maladies, plus ils seront rassurés sur leur santé. Ils pensent qu’une prise de sang peut les faire vivre en bonne santé et plus longtemps, en détectant les maladies avant leur manifestation. Il est prouvé que les personnes en bonne santé sont demandeuses de bilans de santé, sans qu’elles sachent exactement en quoi ces résultats peuvent être utiles à l’amélioration de leur santé. Le consumérisme médical étant largement ouvert à tous, et l’inquiétude permanente de la maladie qui guette conduit plus d’un à vouloir tout mesurer et de tout surveiller dans une supposée logique de prévention. Mais la vraie question est : en quoi les résultats peuvent être utiles à améliorer votre santé ?   Pourquoi croit-on à l’intérêt de bilans de santé ? L’habitude a été prise au lendemain de la guerre, lors de la création de la sécurité sociale. La population était alors en mauvaise santé, et un bilan régulier se justifiait. Encore maintenant, toute personne affiliée au régime général de la Sécurité sociale, assurée ou ayant droit, peut bénéficier gratuitement d’un bilan de santé, en principe tous les cinq ans, sur sa demande.  Cependant,...

à l’heure actuelle, la sécurité sociale destine désormais prioritairement ses bilans de santé, renommés examen de prévention en santé (EPS), aux personnes de plus de 16 ans éloignées du système de santé et en situation de précarité, qui ne bénéficient pas d’un suivi médical régulier réalisé par le médecin traitant ni des dispositifs d’offre de prévention organisée comme les dépistages des cancers par exemple. Véritable intérêt médical d’un bilan sanguin systématique annuel = aucun. La vérité de toutes ces demandes de "bilan systématique", c’est que la pratique d’une batterie d’analyses et d’examens réalisés chez des gens qui ne se plaignent de rien, n’augmente pas l’espérance de vie, ne fait pas baisser leur mortalité par cancer, maladies cardio-vasculaires ! Le bénéfice du bilan systématique est faible chez les bien-portants : il y a paradoxalement peu de maladies dont le pronostic est amélioré par une détection précoce en l’absence de symptômes. Pire, il y a beaucoup d’examens anormaux qui génèrent du sur-diagnostic, donc de l’angoisse inutile, et mêmes des traitements superflus. En réalité, la médecine préventive ne consiste pas à faire une prise de sang annuelle. Elle repose avant tout sur l’évaluation du mode de vie, de l’hygiène de vie, sur la vaccination, et sur la recherche ciblée des maladies ou facteurs de risque dont le bénéfice du dépistage est validé par la science : essentiellement l’hypertension artérielle, le cancer du côlon et le cancer du col de l’utérus. D’autres dépistages peuvent se justifier chez des sujets exposés à un risque spécifique. L’intérêt du dépistage des patients à haut risque (pour les cancers par exemple ou les pathologies transmissibles familiales ou les maladies sexuellement transmissibles) ne se discute pas.   Savoir ce qu'on va faire des résultats Le principe d’un examen est le suivant :  pour qu’un examen soit intéressant médicalement, il faut savoir ce que l’on va faire des résultats.  Donc, autant les examens ou analyses orientés par des symptômes sont précieux pour le diagnostic du médecin, autant un bilan non ciblé n’a pas d’utilité. Un véritable bilan est un dépistage orienté par la clinique, et ciblé sur de potentiels facteurs de risque, un véritable bilan est personnalisé et adapté à chaque personne en fonction de son âge, son sexe, de ses antécédents personnels et familiaux, un véritable bilan commence donc par...

un échange médical sur les problématiques de santé de la personne. Ou par le remplissage d’un questionnaire détaillé, ayant pour but d’orienter l’examen clinique ou de déclencher les examens que vous allez passer. Être en surpoids, prendre la pilule et fumer, être trop sédentaire, être stressé, mal dormir, sont des facteurs de risque vasculaire qui ne se décèlent pas sur une prise de sang. Idem pour les facteurs de risque de cancer, tels les antécédents familiaux de cancer, la régularité du suivi, qui doivent être connus en vue de la réalisation des bons tests de dépistages. La première vertu d’un bilan de santé est préventive et consiste à prendre le contrôle de son capital santé, en prenant conscience de ses facteurs de risque et en apprenant à mieux les gérer, voire à les corriger. Quand un test de dépistage est anormal, la principale conclusion à en tirer c’est qu’il est très important de croiser la clinique avec les résultats des tests, c’est-à-dire ce que disaient nos maîtres, qui ne disposaient pas de toutes ces études. - On soigne des patients, pas des résultats d’examen ou des images
- Il ne faut pas tenir compte des résultats d’un examen que l’on n’aurait pas demandé   Le bilan de santé global et non réfléchi est coûteux et plusieurs études (voir en fin d’article) démontrent qu’il ne semble pas permettre une diminution de la mortalité. Prescrire peu mais de manière réfléchie est plus utile. Voici un exemple de questionnaire détaillé à remplir en vue d’un bilan ciblé qui permet de conseiller les examens biologiques appropriés, les dépistages nécessaires, les examens complémentaires utiles. C’est celui de la sécurité sociale : https://www.ameli.fr/sites/default/files/questionnaire-sante_cpam-haute-savoie.pdf

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