"On donnait la mort..." Si la fin de vie se réinvite dans le débat public à l'occasion d'une convention citoyenne prévue à l'automne, un ex-médecin anesthésiste-réanimateur témoigne auprès de l'AFP des réalités de l'euthanasie pratiquée en France depuis des décennies, en toute clandestinité. Années 1980, un accident de la route sur une route de province. Quatre victimes qui arrivent dans un service de réanimation engorgé. Il faut trouver de la place mais comment ? Jérôme*, médecin anesthésiste-réanimateur est en première ligne. Il se voit alors conseiller par l'un de ses pairs: "mets un cocktail lytique", un mélange destiné à donner la mort, à un malade condamné. "Au début, ça me paraissait difficilement compatible avec ma vocation de guérir, de me battre pour la vie", avoue-t-il. A la fin des années 1990, "on était encore au stade de l'acharnement thérapeutique". A l'époque, le service était souvent rempli et il fallait prendre en charge de nouveaux patients. "On sélectionnait une personne dont on savait qu'elle n'avait plus aucune chance, et puis elle partait". Cela n'arrivait "pas quotidiennement, mais au moins une fois par mois", confesse-t-il. Le procédé était connu des anesthésistes-réanimateurs du pays, les chefs de services en discutaient, mais le "tabou" demeurait. "J'ai toujours entendu dire que mes autres collègues de réa le faisaient, jamais le contraire", même s'il peut y avoir des exceptions, relève-t-il. "On donnait la mort de manière proactive", assure-t-il. Il n'y avait alors ni directives anticipées, ni désignation d'une personne de confiance permettant d'exposer la volonté des malades.
“But noble" Le médecin injectait alors cette substance, mais en poursuivant un "but noble", selon Jérôme. "Quand on est médecin, on sait quand il y a une micro-chance de guérison, et si c'est le cas, on se bat". Il se souvient ainsi du jour où il a dû "faire de la place" dans le service pour pouvoir accueillir une jeune fille de 18 ans. Durant six semaines, elle est placée sous respirateur artificiel. Puis elle respire sans machine, avale, ses membres bougent. "Au bout de quelques mois, elle est ressortie en marchant. Puis elle est revenue nous dire qu'elle avait obtenu son baccalauréat". En 2010, 0,6% des décès sont survenus par voie d'euthanasie en France, selon la dernière enquête en date sur la fin de vie en France de l'Institut national d'études démographiques analysant des décisions médicales prises pour 4.700 personnes en fin de vie. Plus tard, alors que Jérôme est à la retraite, des proches, conscients de ses connaissances du milieu médical, ont demandé au médecin de mettre fin à leurs jours, lorsque le moment sera venu. "Des amis m'ont supplié de les aider à mourir", dit-il. Et un jour, il reçoit un appel de l'épouse de l'un d'eux: "c'est le moment...". L'"aide" à mourir se déroule alors dans l'intimité du domicile du patient, conformément à sa volonté, mais en toute clandestinité. "On est encore à l'âge de pierre en France", souffle-t-il. "Système D" Car les barbituriques sont interdits depuis 1996, excepté pour les vétérinaires. "On doit utiliser des produits artisanaux", “foireux", et la mort peut être beaucoup plus lente, mettre "24 à 36 heures" à venir. "C'est du système D, réalisé en catimini, du bricolage en douce", déplore-t-il. Des marchés clandestins de barbituriques ont existé, en Chine ou au Mexique, mais la filière n'est désormais plus accessible. Fort de son expérience, le médecin milite pour la légalisation de l'euthanasie, pour laquelle le débat est relancé suite à un avis rendu la semaine dernière par le Comité consultatif national d'éthique et la promesse d'Emmanuel Macron d'une convention citoyenne. Toutefois, pas question pour le soignant d'accéder à une demande coup de tête. "C'est toujours quelque chose de réfléchi, dont ils m'ont parlé avant" et de manière répétée. Le médecin trouve impératif une concertation, pour chaque demande, avec l'entourage du patient et plusieurs soignants. "Comme les gens ne savent pas à qui s'adresser, ils mettent en place des choses hasardeuses pour mourir, alors que ça pourrait être fait proprement, par des médecins qui savent ce qu'ils font", conclut-il. *le prénom a été modifié
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