C’est un rapport coutumier, mais qui, cette fois, n’a pas bénéficié du même retentissement. C’est en effet dans l’ombre qu’est paru en juin dernier l’observatoire de la sécurité des médecins pour l’année 2020. L’Ordre, à l’origine de ce document, explique en effet que compte tenu du contexte inédit, les chiffres présentés ne sont guère représentatifs. Au début de l’épidémie de Covid-19, de nombreux cabinets médicaux ont en effet fermé mais surtout, les patients les ont délibérément évités de peur d’être contaminés. Durant les confinements, le pays a été placé sous cloche. Dans le bulletin de l’Ordre de juillet et août 2021, le Dr Hervé Boissin, coordonnateur de l’observatoire, rapportait de nombreuses "sous-déclarations" liées au contexte épidémique. "Un grand nombre d’agressions n’ont pas été signalées, que ce soient des vols de caducées, d’ordonnances, des insultes". Ces dernières "ne transparaissent pas dans les statistiques". Pourtant, les déclarations d’incidents recensées méritent d’être considérées et mises en perspective. Ainsi, entre le 1er janvier et le 31 décembre 2020, 955 déclarations d’incidents ont été envoyées par des médecins (spécialistes et généralistes) à l’Ordre. C’est un peu moins que l’année précédente, au cours de laquelle 1084 incidents avaient été enregistrés par l’instance ordinale. Exception faite en 2020, l’agressivité envers ceux qui soignent n’a cessé de croître depuis près de dix années. On constate par ailleurs légèrement plus d’incidents au premier semestre 2020 (492) qu’au second (463).
Comme les années précédentes, ce sont les médecins généralistes qui ont été les plus touchés par ces incidents en 2020 (62% contre 38% pour les spécialistes), bien que l’on note une baisse (70% en 2019 pour les MG contre 30% pour les spécialistes). Un phénomène que le Dr Jacques Battistoni, président du syndicat MG France, attribue au lien entre les généralistes et les Français : "La proximité fait que s’expriment plus facilement des mauvaises humeurs, des colères, des rancœurs." Il ajoute : "Quand vous avez un rendez-vous chez un spécialiste de second recours, que vous avez généralement attendu pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois, si vous manifestez de la mauvaise humeur, on ne vous donnera pas un autre rendez-vous, donc ça calme un peu les choses." Hors généralistes, ce sont les ophtalmologistes, psychiatres, dermatologues, gynécologues-obstétriciens et cardiologues qui sont les plus souvent victimes d’agressions ou de vol. D’après l’observatoire, les femmes médecins sont par ailleurs légèrement plus touchées que les hommes (53% contre 47%) par ce phénomène. Menaces, insultes et dénonciation Dans la majorité des cas, les médecins étaient les principales victimes des agressions (87%). Viennent ensuite les collaborateurs (16%). Un plus faible pourcentage concerne le cabinet médical lui-même, un patient, ou encore un proche du praticien. 3% des praticiens ayant fait remonter un incident à l’Ordre n’ont pas précisé qui était la victime. Le président de MG France attire l’attention sur les secrétaires qui sont en première ligne et particulièrement vulnérables. "Les médecins doivent être particulièrement vigilants à ce sujet", souligne-t-il. La majorité des médecins victimes disposaient d’ailleurs d’un secrétariat (63%).
Du côté de l’agresseur, c’est le plus souvent le patient qui ressort (56%) dans les statistiques, comme en 2019 (55%). Dans 14% des cas, c’est une personne qui accompagne le patient qui est à l’origine de l’agression, et dans 18% il s’agit d’une autre personne (un membre de la famille du patient, un patient d’un autre cabinet, un voisin, un salarié, ou encore un confrère, un ambulancier, un passant…). 16% des médecins ne se sont pas prononcés sur le profil de l’agresseur. Fin janvier 2020, peu avant l’apparition du Sars-CoV-2 sur notre territoire national, une médecin urgentiste a été par exemple physiquement agressée par la famille d’une patiente à l’hôpital Sainte-Musse à Toulon (Var). Elle a été attrapée par les cheveux et a reçu une gifle. Deux jours d’ITT lui ont été accordés. Choquée, l’urgentiste a immédiatement porté plainte et une enquête a été diligentée. Dans la quasi-totalité des cas (98%, comme en 2019), l’agresseur n’était pas armé, rapporte l’observatoire. 14 cas d’agressions armées ont été néanmoins enregistrés. Les médecins concernés ont signalé avoir été agressés avec une canne, un couteau ou un cutter, une chaise ou encore une planche de bois. C’est le cas d’un praticien d’un établissement de psychothérapie à Saint-Quentin (Aisne) qui a été sérieusement blessé à la gorge et au bras par un patient schizophrène en octobre 2020. Résultat : une dizaine de points de suture pour le praticien et 13 mois de prison dont huit avec sursis pour l’agresseur. Les agressions physiques ne représentent heureusement qu’une petite partie des incidents subis (8%). Elles regroupent les coups et les blessures volontaires, la séquestration, le crachat, la bousculade, mais aussi toute forme de violence physique (claquement de porte, taper sur le bureau) et l’agression sexuelle. La majorité des agressions (67%) sont verbales : insultes, menaces, harcèlement, dénonciation calomnieuse… Dans 4% des cas, les incidents ont occasionné une interruption de travail. Un chiffre en baisse par rapport à 2019 (7%).
Viennent ensuite les vols ou tentatives de vols (13%), en majorité d’ordonnancier, de tampon professionnel, de sacoche… Le vandalisme représente quant à lui 6% des signalements à l’Ordre. Durant les confinements, de nombreux caducées ont été par exemple dérobés par des individus cherchant à éviter les contrôles de police et n’hésitant pas pour cela à fracturer les véhicules de soignants.
La moitié (54%) des incidents ont eu lieu en milieu urbain et dans les centres-villes, 21% dans les campagnes, et 16% dans les banlieues. L’exercice en médecine de ville est par ailleurs largement plus touché (73%) qu’en établissement de soins (20%) ou dans un autre cadre (dans la rue ou au domicile d’un patient). "On parle beaucoup [d’agressions] dans les services d’urgences, mais il n’y a pas que là-bas. Les médecins plus isolés se font agresser pour un oui et pour un non", déplore le Dr Franck Devulder, président de la CSMF. "L’épidémie a laissé des traces" D’autant que, pointe le Dr Marty, "l’épidémie a laissé des traces" et parfois abîmé la relation médecin-patient. "Les gens étant restés sous cocotte-minute pendant des mois et des mois, tout est exacerbé", analyse le président de l’UFML-S. Ce dernier remarque en effet une hausse des agressions en 2021 et 2022, notamment dans les centres de vaccination. Il y a moins d’une semaine, un vigile a été attaqué au couteau à Marseille par une personne se trouvant dans la file d’attente du centre municipal de vaccination qu’il surveillait. Croix gammées sur les murs, flacons volés, cyberattaques, structures incendiées… D’autres centres de vaccination ont été les cibles d’actes de vandalisme depuis leur ouverture, perpétrés bien souvent par des individus opposés à la campagne vaccinale.
Dans leur cabinet, les praticiens ont également observé une hausse de l’agressivité des patients liée aux mesures gouvernementales prises pour endiguer l’épidémie. "A chaque fois qu’il y a eu des adaptations de la réglementation, nos confrères nous ont alerté sur leurs difficultés à faire appliquer les consignes", explique le Dr Battistoni, citant notamment le port du masque dans les cabinets de ville qui, contrairement aux établissements de santé, n’est pas une obligation légale et peut parfois entraîner des résistances chez les patients lorsqu’il est imposé par le praticien. En 2020, d’après l’observatoire de l’Ordre, les agressions étaient pour un tiers des signalements liées à un reproche relatif à une prise en charge (34%). Le refus de prescription arrive à la deuxième place des motifs ayant provoqué un incident (16%). On l’a encore vu il y a quelques jours après la violente agression d’une généraliste par un patient à qui elle avait refusé de faire une attestation de handicap, faute de preuves ou de carte Vitale. "Beaucoup de gens pensent que tout leur est dû. On est dans la culture du 'Je veux, donc je dois obtenir ce que je veux'", a commenté la généraliste, choquée, au site actu.fr. "On est dans une société de l’immédiateté : ‘J’ai le droit, je veux mon certificat’", déplore également le président de la CSMF, qui ajoute que les problématiques d’accès aux soins, qui ne cessent de prendre de l’ampleur, accentuent les tensions et créent un climat anxiogène. "Les incivilités sont souvent liées à l’impatience, à la difficulté d’obtenir rapidement un rendez-vous, mais aussi au fait que les médecins ont de plus en plus de mal à accepter de prendre de nouveaux patients. Ça génère beaucoup d’incompréhension voire d’agressivité de la part des patients", abonde le Dr Battistoni. Pourquoi les médecins ne portent-ils pas plainte ? Comme en 2019, les médecins ayant signalé des violences à l’Ordre ne portent pourtant pas souvent plainte. Ils sont 286 à l’avoir fait en 2020 (soit 30% contre 31% en 2019). 10% ont déposé une main courante, et 60% n’ont rien fait de cela ou n’ont pas souhaité répondre à l’instance. Pour le Dr Battistoni, si les médecins agressés ne déposent pas souvent plainte, c’est parce qu’ils ont le sentiment que "cela ne va pas servir à quelque chose".
Pour le nouveau président de la CSMF, attaquer un patient n’est pas dans la psychologie du médecin. "On ne devient pas médecin par hasard. C’est un métier pour lequel vous consacrez un temps important de votre vie à la souffrance de l’autre." Le Dr Devulder ajoute que ces incidents témoignent parfois "d’une souffrance de celui qui vous agresse". "Cela conduit les médecins à ne pas faire de procédure : on n’a ni le temps ni l’envie." "Un médecin soigne tout le monde, ses amis comme ses ennemis. S’il fait ce métier, c’est parce qu’il aime les gens. Il a tendance à trouver des circonstances atténuantes à tout le monde, y compris à celui qui l’agresse", ajoute le Dr Marty, qui durant l’épidémie a fait l’objet de multiples menaces de mort par des antivax, notamment sur les réseaux sociaux. Depuis 2020, le président de l’UFML-S a d’ailleurs constaté une hausse inquiétante de l’usage d’internet dans les agressions envers les soignants. Le Dr Franck Devulder confie avoir lui aussi reçu son lot d’insultes sur les réseaux sociaux de la part d’un patient avant que ce dernier ne décide de retirer ses propos. Depuis plusieurs années, le Dr Marty milite pour la création d’un "parcours juridique spécifique" pour tous faits qui concernent un médecin ou un soignant. "Il faut que le jugement se fasse immédiatement, comme un référé, défend le syndicaliste. Comment voulez-vous exercer correctement lorsque vous avez subi une violence et que l’affaire ne sera jugée que dans un an ? C’est très difficile. Il faut également plus de sévérité : on ne peut pas accepter qu’on attaque des personnes qui portent le soin. C’est une déperdition totale des valeurs sociétales." Le Dr Battistoni estime par ailleurs qu’il faut accroître la communication auprès des médecins et de l’ensemble des professionnels de santé afin de leur rappeler "qu’on n’a jamais intérêt à être seuls face à un problème".
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