Ce billet de blog a initialement été publié sur L'externe.wordpress.com En anglais, l’expression "to get a taste of you own medicine" signifie subir ce que l’on fait d’habitude subir à d’autres (péjoratif). Ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas que l’on te fasse. Ce principe de morale est à la base d’une relation humaine respectueuse, c’est ce que l’on enseigne aux petits enfants : "Ne lui arrache pas le jouet des mains ! Tu n’aimerais pas que l’on te le fasse, n’est-ce pas ?" C’est le principe d’une éthique de réciprocité. Pourtant, force est de constater que certains soignants ne semblent pas l’appliquer vis-à-vis des patients, les traitant d’une façon dont ils n’aimeraient sûrement pas être traités. Et il n’est pas rare de constater le changement radical d’un soignant dans sa pratique après qu’il a lui-même été victime d’une maladie ou d’un accident. Comme s’ils avaient besoin de se retrouver de l’autre côté du miroir pour comprendre enfin l’importance d’une relation de soin bienveillante Le Dr D.* était le genre de médecin spécialiste qui prenait les patients à la chaîne. Il avait toujours des petites remarques pleines de jugements, et on peut dire que c’est le genre de médecin qui assénait littéralement sa science. Un jour, j’ai découvert ce médecin métamorphosé. Il semblait apaisé. Il prenait du temps avec les patients, lançait des dictons de sagesse qui laissaient penser que les choses ne sont pas toujours aussi précises ou scientifiques qu’on le souhaiterait. Voilà ce qui s’était passé : le Dr D. avait eu un infarctus. Soudain, dans sa vie menée jusqu’ici en ligne droite, sans à-coup, son corps s’était violemment rappelé à lui : il n’était rien qu’un humain comme un autre, qui pouvait mourir d’un infarctus, comme ça. Et cela l’avait chamboulé. Il a réduit ses horaires de travail, il est devenu plus l’écoute. Quelque part, il avait eu besoin d’être réellement dans les chaussures du patient pour comprendre ce qui se joue dans une relation de soin. Sonia*, elle, était infirmière de bloc opératoire. Elle travaillait dans un service de chirurgie viscérale d’un des hôpitaux du CHU, appelons-le "hôpital A ", que j’avais connu en stage. Ce jour-là elle venait en consultation de médecine générale. Sonia avait l’habitude de l'"humour de bloc" dont elle était chaque jour témoin sans vraiment y prendre part. Une fois le patient endormi, certains soignants se lâchaient sur son embonpoint, sa coiffure, ses ongles… son physique en général. Ce jour-là elle était venue nous consulter pour une douleur abdominale et nous commencions à vraiment pencher pour une appendicite. Lorsque nous lui avons annoncé cela, son visage rieur s’est mué en une grimace de terreur. "Pas question que je me fasse opérer à hôpital A ! " s’exclama-t-elle. Immédiatement, toute son anxiété était concentrée sur le fait de trouver une alternative à son service de chirurgie : il y avait bien une clinique qui ferait ça ? demandait-elle presque implorante. Il y a ici plusieurs choses en jeu : on n’a bien sûr pas très envie de se retrouver dénudé sur une table d’opération devant les collègues que l’on voit tous les jours. Mais Sonia avait particulièrement insisté sur la façon dont on traitait les patients au bloc et qu’elle ne voulait pour rien au monde être à leur place et qu’on se moque de son ventre ou autre. Dans une clinique, même si ce serait peut-être la même chose, au moins, elle ne le saurait pas. Finalement, ces maltraitances constatées chaque jour sur les patients prenaient un jour nouveau lorsqu’elles les imaginait infligées à elle-même. Dans le livre "Médecin, lève toi" paru récemment, le médecin généraliste Philippe Baudon exhorte ses confrères à plus de bienveillance après avoir violemment découvert l’envers du décor au moment de l’hospitalisation de son épouse pour un cancer. La maltraitance psychologique des patients que ce médecin n’avait peut-être pas vue durant ses études ou sa pratique lui est soudain apparue limpide et inacceptable lorsque la personne qui en était victime était son épouse. Qu’est-ce qui empêche certains soignants d’arriver à se mettre à la place des patients ? La peur de leur ressembler ? Une façon d’expier la maladie en refusant d’admettre que l’on pourrait soi-même être un malade ? Cela est probablement encore plus palpable en psychiatrie où l’identification avec le patient est presque impossible, car on se fixe pour règle comme soignant d’être mentalement droit. Les gynécologues et obstétriciens ont été sous le feu des critiques récemment pour de nombreux témoignages de patientes relatant abus de pouvoir, mépris, jugement ou violences. On pourrait se poser la question : est-ce qu’un gynécologue homme a plus de mal à appliquer l’éthique de réciprocité face à une jeune femme enceinte car leurs situations sont si éloignées que l’identification est presque impossible ?
Mais bien sûr ce prérequis de proximité ne devrait pas être nécessaire à une relation bienveillante. Imaginez s’il fallait que les orthopédistes aient tous une jambe cassée, les endocrinologues du diabète ou les gastro-entérologues des problèmes de diarrhée chronique. Et pourtant, combien de fois ai-je eu envie de dire à un professeur plein de froideur devant ses malades : "J’aimerais bien vous y voir, tiens !" “Une des choses difficiles à apprendre en médecine, c’est ce que l’on ressent lorsqu’on est un patient. " Dr Lewis Thomas (cf. 1 et 4 ci-dessous). Le médecin américain Lewis Thomas avait suggéré à demi sérieusement que l’on pulvérise silencieusement deux fois par an de l’adénovirus dans le hall de la faculté de médecine pour que les étudiants en médecine souffrent tous simultanément de fièvre et courbatures et apprennent ce que c’est de ne pas avoir quelqu’un qui prenne soin de leurs problèmes (cf. réf. n°4). Je ne voudrais bien sûr donner de mauvaise idée à personne… * Note : noms, prénoms et détails modifiés.
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