IVG tardive : la société en demande-t-elle trop aux gynécos?

[DEBAT] L'allongement du délai légal de recours à l'IVG de 12 à 14 semaines, voté jeudi dernier à l'Assemblée, a mis la communauté médicale en émoi. Considérée par la députée Albane Gaillot comme une réponse à la détresse des femmes contraintes de se rendre à l'étranger faute d'avoir pu accéder rapidement à une IVG en France, ce nouvel allongement risque de décourager bon nombre de médecins, alerte le Pr Israël Nisand, président du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français.

 

“L’IVG, il faut l’apprendre, la désacraliser, en faire un acte comme un autre”

Albane Gaillot, députée EDS (Écologie démocratie solidarité) du Val-de-Marne, rapporteure de la commission des affaires sociales.

  Egora.fr : Vous défendez l’allongement du droit à l’avortement de 12 à 14 semaines de grossesse. Pourquoi est-ce aujourd’hui nécessaire selon vous?   Albane Gaillot : Le parcours à l’IVG est très complexe en France. Il faut en moyenne 7,4 jours pour accéder à une IVG. Et il existe de grandes disparités territoriales, entre 3 et 11 jours selon les régions. Aujourd’hui, il y a 3.000 à 5.000 femmes qui partent chaque année à l’étranger pour avorter parce que les délais sont trop courts.  Je suis d’accord avec l’Académie de médecine sur le fait qu’il y a plusieurs facteurs qui constituent des freins au parcours à l’IVG, dont la fermeture des centres IVG. Mais on sait aussi que la France est en retard en termes de délais. On est actuellement à 12 semaines, alors que les pays nous entourant se situent plutôt entre 14 et 22 semaines. Toutes les personnes et institutions que l’on a auditionnées disent qu’il s’agit d’un des leviers et qu’il faut lever pour améliorer l’effectivité du droit à l’avortement.   Qui sont ces femmes qui partent à l’étranger ?  Ce que nous disent le Planning familial, les associations et les chiffres de la Drees publiés en septembre* [10% des femmes ayant les niveaux de vie les plus élevés ont un taux de recours à l’IVG pour 1.000 femmes inférieur de 11 points pour 1.000 à celui des 10 % des femmes ayant les niveaux de vie les plus faibles], c’est que les interruptions volontaires de grossesse tardives concernent plutôt les femmes précaires et plutôt jeunes. Sauf que partir à l’étranger quand on est précaire et quand on est jeune, c’est encore plus compliqué. 

Surtout pendant la crise sanitaire... Dès lors qu’il y a des mesures de confinement, vous ne pouvez plus sortir de chez vous sans une attestation. Alors imaginez quand vous êtes une mineure et que vous ne pouvez pas sortir de chez vous sans l’accord de vos parents ni faire des kilomètres en voiture. Après le déconfinement, le Planning familial a enregistré une hausse de 150% des appels pour des demandes d’IVG hors délais. Dans une période où on ressent des tensions dans les services hospitaliers, les femmes se sentent gênées de devoir entrer dans un hôpital pour une interruption de grossesse. Parce qu’on a toujours considéré que l’IVG était un acte à part, les femmes qui tombent enceintes et ne veulent pas garder leur enfant se sentent aussi souvent stigmatisées.  

“Les femmes qui tombent enceintes et ne veulent pas garder leur enfant se sentent souvent stigmatisées”

  Le débat n’est-il pas plutôt lié à un problème de réorganisation de l’offre de soins sur le territoire français ? Effectivement le maillage du territoire est un problème. J’ai pu échanger avec le cabinet du ministre Olivier Véran il y a une quinzaine de jours, avant l’étude de la proposition de loi, qui me disait qu’il travaillait justement à réfléchir à ce maillage territorial pour améliorer le sort de la jeune fille dans la Nièvre, par exemple, qui devra faire des kilomètres et des kilomètres pour trouver un centre IVG. Il faudrait donc rouvrir des centres IVG. Créer des unités spécialisées dans chaque établissement hospitalier pourrait permettre une meilleure prise en charge. Une autre mesure, qui n’a pas été votée, consistait à rallonger le délai de l’IVG médicamenteuse de 7 à 9 semaines de grossesse. Olivier Véran a toutefois demandé un rapport à la Haute Autorité de santé que l’on attend. Cette mesure pourrait être pérennisée et permettrait aux femmes d’avoir non pas une interruption de grossesse dans un centre hospitalier, mais chez son médecin de ville.    La proposition de loi initiale a été enrichie lors du vote jeudi 9 octobre par la possibilité pour les sages-femmes de pratiquer une IVG chirurgicale jusqu’à la 10ème semaine. En quoi est-ce un ajout important ? Les sages-femmes pratiquent déjà des gestes endo-utérins et sont déjà impliquées lors des interruptions médicales de grossesse (IMG) pour aider les gynécologues-obstétriciens. Bien sûr, il y a une formation un peu spécifique pour l’aspiration qui est nécessaire. Mais elles semblent prêtes le faire. Et comme toute nouvelle technique, elles vont l’apprendre. Cela permettra d’accroître l’offre de soins.    Le collège national des gynécologues et des obstétriciens a toutefois indiqué que 30% des professionnels avaient cessé de participer aux IVG lors du précédent allongement du délai légal, de 10 à 12 semaines, en 2001. Ne craignez-vous pas un même rejet de la part du corps médical?  Le risque existe peut-être un peu, c’est vrai. Il faut mieux valoriser cet acte, mieux en parler. La formation de nos médecins en gynécologie, notamment sur les techniques d’IVG instrumentale, est incomplète et est à revoir. Il faut l’apprendre, le désacraliser, en faire un acte comme un autre. Ce n’est pas un acte que l’on fait de manière forcé. Ce n’est pas ma volonté d’ailleurs. On ne souhaite pas être la patiente d’un médecin qui n’a pas envie de pratiquer un acte chirurgical. Tout médecin devrait être volontaire pour pratiquer l’IVG. Il faut réfléchir à comment réenchanter cet acte, qui est un vrai choix des femmes. Je pense aussi qu’il est nécessaire de le revaloriser puisqu’il semblerait qu’il ne soit pas vraiment valorisé à hauteur de ce qu’il représente.

Si on perd encore 30% de médecins, il faut se poser la question de pourquoi ils s’engagent dans cette voie-là. S’ils veulent être gynécologues juste pour faire des accouchements, il faut changer de métier. Je ne veux pas être sarcastique, mais quand même…   

“Remettre l’acte dans le droit normal, ne plus en faire un totem ni un symbole est une mesure importante”

  Vous proposez de supprimer la clause de conscience spécifique IVG. Etant donné qu’il existe une clause de conscience pour tous les actes médicaux, est-ce surtout pour vous une mesure symbolique ?  Concrètement, peut-être que ça ne va... pas révolutionner, en effet. Mais la considération par les professionnels de santé mais aussi par la population générale de l’IVG comme un acte normal, du moins pas “à part” est une petite révolution qu’il faut faire. Remettre l’acte dans le droit normal, ne plus en faire un totem ni un symbole est une mesure importante. On ne fait pas de la médecine à l’aune de la morale. Les médecins bénéficieront toujours de leur clause de conscience et pourront toujours refuser de pratiquer un avortement. Donc que l’on nous n’argue pas qu’ils seront obligés. Non, ils pourront toujours évoquer des résistances éthiques.   Les institutions scientifiques alertent par ailleurs sur des risques et des séquelles pour les femmes en cas d’allongement du délai légal d’interruption de grossesse. Qu’en pensez-vous ? La technique entre 12 et 14 semaines est la même, c’est l’aspiration. Une femme peut très bien faire une hémorragie à 8 semaines, 10 semaines, comme à 14 semaines. Les séquelles, elles sont physiologiques et peuvent exister tout le temps, dès lors que c’est un acte chirurgical. Il n’y a pas plus de risques. Dans les pays autour de nous, qui ont des délais plus longs, on voit bien d’ailleurs qu’il n’y a pas un taux de mortalité plus important. Je tiens à ajouter qu’une femme qui veut avorter, elle avorte. Parfois, elle ne va pas pouvoir car elle ne va pas rentrer dans les clous ou dans les délais. Ces femmes qui ont mené des grossesses à leur terme, alors qu’elles ne voulaient pas de cette grossesse, quels sont les impacts psychologiques et psychiques sur ces femmes et l’enfant à naître ? Et puis, on n’a pas parlé des avortements clandestins. On n’a pas de chiffres aujourd’hui, mais on peut imaginer que ça puisse se passer encore.    Vous soumettez enfin l’idée de créer un répertoire national de praticiens pratiquant cet acte. Quel serait son usage ? Au planning familial et à la Maison des femmes, on nous a remonté le fait que des femmes qui arrivent tardivement dans un parcours IVG n’obtiennent pas directement le refus d’un médecin qui les prend en rendez-vous, puis qui leur dit de manière insidieuse “Je ne pratique pas l’IVG, je vais vous réorienter vers quelqu’un d’autre”. Ce sont des jours perdus.  Ce répertoire national serait disponible pour toutes et tous. Cela peut faire gagner du temps aux femmes qui sont très en retard. Cela leur permettrait aussi de prendre un rendez-vous là où elles ont envie d’aller. Il serait piloté par les agences régionales de santé, cela montrera que ce n’est pas qu’associatif mais que ça prouve l’engagement de l’Etat dans ce genre de dispositifs.

45 ans après la légalisation de l’avortement en France par la loi Veil, nombre de politiques, y compris des membres du Gouvernement, dénoncent un débat effectué à la va-vite. Que leur répondez-vous?  Je ne suis pas d’accord. Le débat éthique a eu lieu en 1974-1975 lors du vote de la loi Veil Aujourd'hui on est sur une proposition de loi, d’initiative parlementaire. C’est donc une remontée de terrain. Il est plutôt heureux que le Parlement se saisisse de ce sujet et n’attende pas que le Gouvernement légifère. Certains ont trouvé que c’était un débat qui pouvait être expéditif, parce qu’ils ont souhaité de nouveau mettre cela sur le terrain de l’éthique. Moi, j’ai voulu recentrer le débat sur le fait que ça apportait des solutions concrètes et pratiques. On n’est pas en train de remettre en débat l’éthique du droit à l’avortement.   *Interruptions volontaires de grossesse : une hausse confirmée en 2019, Études et Résultats, n°1163, Drees, 2020.    

"Les gynécologues ne voudront pas faire d'IVG tardives, voire pas d'IVG du tout"

Pr Israël Nisand, Chef du service de gynécologie/obstétrique des Hôpitaux universitaires de Strasbourg et président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF).

  Egora.fr : Chaque année, 3000 à 5000 femmes seraient contraintes de se rendre à l'étranger car elles sont hors délai pour une IVG en France. D'après votre expérience, ces situations sont-elles fréquentes ? Pr Israël Nisand : Je ne sais pas quelles sont les sources d'Albane Gaillot car elle ne les cite pas. Nous avons l'impression que depuis le dernier allongement du délai en 2001, dont j'avais été à l'origine, il y a assez peu de femmes qui dépassent le délai quand on ne les fait pas attendre des semaines et des semaines pour leur donner un rendez-vous. Pour moi, il y en a probablement moins de 2000 par an. J'aimerais avoir de vrais chiffres et non pas des chiffres qui trainent dans la littérature : en 2001, il y a avait déjà 5000 femmes qui traversaient la frontière ; on a allongé le délai pour cela et il y en a toujours autant. Ça nous inquiète d'autant plus : si on allonge encore le délai, il y en aura toujours autant qui traverseront la frontière ? Car personne ne leur demande pourquoi et personne n'a de vrais chiffres là-dessus.   Comment expliquez-vous ces IVG trop tardives ? On a augmenté le nombre d'IVG : 233 000 l'année dernière ; ça montre bien qu'il n'y a pas de problème d'accessibilité. Le premier problème, c'est qu'une grossesse sur quatre se termine par une IVG dans notre pays. De notre point de vue, au Collège national, le vrai droit d'une femme c'est de ne pas être enceinte quand elle ne souhaite pas. Or, on a un reste-à-charge sur la contraception et l'IVG est gratuite. Quel est le message ? On n'a pas fait ce qu'il fallait pour que des femmes évitent des IVG. Au Collège, on pense que l'IVG n'est pas une contraception et que c'est toujours difficile pour une femme de se résoudre à cela. Mais on estime qu'une femme qui en a besoin, quelles que soient les raisons, doit pouvoir en avoir une. Mais pas dans quatre semaines, immédiatement ! Il faut considérer que l'IVG est une urgence. Or, nous n'avons pas fait cela. Transformer une IVG de 11 semaines en une IVG de 15 semaines, ce n'est pas rendre service à une femme, ce n'est pas améliorer le droit des femmes.   Les rendez-vous sont donc donnés trop tardivement ? Il ne vous a pas échappé que les hôpitaux vont mal. Ça va mal pour les accouchements, ça va mal pour les césariennes, ça va mal pour la chirurgie du cancer, ça va mal aussi pour les IVG. Donnons les moyens aux hôpitaux, en fléchant ces moyens, notamment dans les grandes métropoles, pour qu'on ne fasse plus attendre les femmes qui demandent une IVG. On passera de 2000 femmes en dépassement de délai à quelques dizaines, pour lesquelles le problème est différent. Ce sont des femmes qui ne se rendent pas compte qu'elles sont enceintes, parce qu'elles font un déni de grossesse ou parce qu'elles sont jeunes et ne savent pas analyser les messages de leur corps. Ces femmes nécessitent une prise en charge différente. L'IMG psycho-sociale peut être mise en œuvre dans ces cas-là.  

"On va déstabiliser en profondeur un système de soins déjà précaire"

  Le CNGOF s'oppose à un nouvel allongement du délai légal du recours à l'IVG, arguant du fait qu'à la suite du précédent allongement, 30% des gynécologues avaient décidé de cesser de pratiquer des IVG. Pour quelles raisons ? Il y a encore des gynécologues aujourd'hui qui ne font pas des IVG de 12 à 14 semaines d'aménorrhée, résultat de la loi de 2001, car c'est plus difficile, plus dangereux. Il y a des complications pour les femmes et une difficulté du geste. Ce n'est toujours pas réglé. Qu'est-ce que ça va donner si on passe de 14 à 16 SA? Il y a tout un tas d'endroits où les médecins qui œuvrent pour la liberté des femmes disent que si cela passe, ils arrêteront de faire des IVG. Ils se recentreront sur les autres spécialités de notre discipline. Sous couvert de faire un acte politique pour la liberté des femmes, on va déstructurer et déstabiliser en profondeur, sans l'avoir mesuré préalablement, un système de soins qui est déjà précaire. Ceux qui parlent vraiment par la liberté des femmes, qui veulent vraiment permettre aux femmes d'avoir une IVG tout de suite ne proposent pas ce genre de choses. Car ça, ça ferait disparaître plein de gynécologues et ce ne sont pas les sages-femmes qui feraient les IVG tardives.

En quoi le geste est-il plus compliqué et risqué si le délai est allongé ? Ça tombe sous le sens : plus le fœtus est gros, plus le geste est difficile, plus il faut dilater le col, c’est-à-dire le forcer. Il sera moins continent pour les grossesses suivantes. Le geste est d'autant plus compliqué pour le médecin et plus difficile pour la femme que la grossesse est avancée. A l'étranger, il y a de très nombreuses publications qui montrent que quelle que soit la méthode utilisée, que ce soit une méthode médicamenteuse ou une méthode chirurgicale, plus la grossesse est avancée, plus les complications sont fréquentes.  

L’Académie de médecine craint une augmentation des complications
Dans un communiqué publié ce lundi, l’Académie de médecine s’est fermement opposée à l’allongement du délai de recours à l’avortement. “En portant ce délai à 16 semaines d'aménorrhée, on augmente le recours à des manœuvres chirurgicales qui peuvent être dangereuses pour les femmes et à une dilatation du col plus importante susceptible de provoquer des complications à long terme comme un accouchement prématuré”, a averti l’instance.
Cette dernière a par ailleurs assuré qu’une telle mesure ne répond “à aucune demande légitime des femmes”. Expliquant qu’elles “espèrent au contraire une prise en charge plus rapide, l’Académie juge que cette modification de la loi risquerait “d’augmenter le délai de leur démarche”. De fait, elle appelle à maintenir le délai actuellement autorisé. Elle prône cependant une optimisation du “fonctionnement des centres de santé qui prennent en charge des interruptions volontaires de grossesses en les rendant plus accessibles et dans des délais moindres”.
Enfin, sur la question du transfert de compétences aux sages-femmes, l’Académie rejoint le président du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français en se positionnant contre cette proposition, au regard de “leur absence actuelle de qualification chirurgicale”.
L.C.

  Pour vous, former les sages-femmes à réaliser des IVG chirurgicales n'est pas une solution… Les IVG chirurgicales représentent aujourd'hui 30% de l'ensemble des IVG et ça baisse chaque année. Si on prolonge la courbe, il n'y aura plus qu'un petit pourcentage de femmes qui souhaiteront aller en salle d'opération. Le fait que les sages-femmes participent aux IVG médicamenteuses a été une immense aide pour nous. Elles participent déjà à 70% des IVG, bientôt ce sera 80, 90%. On a besoin des sages-femmes pour les IVG médicamenteuses, oui, mais pas pour faire de la chirurgie dans l'utérus, qu'elles n'ont pas apprise, qui est dangereuse et entraîne des complications. Faire pratiquer quelques IVG chirurgicales à des sages-femmes après formation et avant un contrôle par un médecin, ce serait dépenser plus d'énergie pour ne pas augmenter l'accessibilité des femmes. C'est une fausse bonne idée.  

"Quand on fait ce métier, on est là pour la liberté et le droit des femmes et ça comporte aussi des IVG"

  Vous dites que certains médecins demandent ce transfert de compétences pour de "mauvaises raisons" : lesquelles ? Quand vous faites de la chirurgie gynécologique, l'IVG n'est pas l'acte le plus sympathique à faire. C'est un geste difficile, dangereux. Et il y a pas mal de médecins qui aimeraient s'en débarrasser. Ce n'est pas une raison pour faire faire ce geste par des sages-femmes. Je fais partie de ceux qui estiment que les médecins spécialistes doivent tous être formés pendant leur internat à faire des IVG. Quand on fait ce métier, on est là pour la liberté et le droit des femmes et ça comporte aussi des IVG.   La députée Albane Gaillot ne comprend justement pas comment on peut choisir gynécologie tout en refusant de faire des IVG… Sauf que vous ne voudriez pas que ce soit un médecin qui n'a pas envie de le faire qui vous la fasse ! On ne va pas mettre un anneau dans le nez des médecins pour les obliger à faire des gestes. Lutter contre la clause des conscience et en même temps, rendre ces gestes plus difficiles, ça nous surprend. C'est déstabiliser un système de soins sans se soucier des conséquences que ça pourrait avoir. C'était facile de demander aux gynécologues qui font les IVG s'ils continueront en cas d'allongement des délais. Leur dire que toute façon ils seront obligés de les faire, c'est dramatique. Les gynécos ne voudront pas faire d'IVG tardives voire ne voudront pas faire d'IVG du tout.   

"La clause de conscience spécifique protège bien les femmes"

  La clause de conscience spécifique est-elle encore justifiée ? La clause de conscience générale ne suffit-elle pas ?  C'est le type même d'une gesticulation politique. La clause de conscience spécifique protège bien les femmes car elle oblige le médecin qui la fait valoir à accompagner les femmes vers un autre professionnel, ce qui n'est pas le cas de la clause générale. Si on transfère cette obligation dans la clause générale, ça ne me dérange pas qu'il n'y ait plus de doublon. J'en suis un peu à l'origine : au moment où j'avais fait un rapport en 1999 pour Martine Aubry, j'avais vu que certains médecins, pour des raisons religieuses, ne faisaient pas état de leur clause de conscience et trainaient les femmes en longueur au-delà du délai. J'avais donc proposé que l'on fasse une clause de conscience spécifique, interdisant au médecin de ne pas dire sa clause de conscience et l'obligeant à accompagner la femme vers un autre médecin. Si on trouve le moyen de protéger les femmes -alors que ce dérapage n'existe plus aujourd'hui à mon avis – effectivement le doublement de la clause de conscience n'a plus de sens. Mais la supprimer aujourd'hui sans avoir complété l'autre c'est de la gesticulation politique qui dessert les femmes au lieu de les aider.   Quelles sont vos préconisations pour renforcer l'accès à l'IVG? J'ai deux propositions. Premièrement, considérer l'IVG comme une urgence : on reçoit obligatoirement la femme dans les cinq jours ; ça, ça se vérifie très facilement. Deuxièmement, il faut que la Sécurité sociale paie l'IVG au prix qu'elle coûte. Dans mon hôpital, il y a 2.200 IVG : c'est une ligne rouge dans le budget de l'hôpital. Les IVG coûtent bien plus cher que la Sécurité sociale ne les paye. Une IVG médicamenteuse coûte 291 euros : j'ai besoin d'une sage-femme, d'un psychologue, de médicaments à hauteur de 100 euros, j'ai besoin d'encadrer la femme, d'un lit, de médicaments anesthésiques… toutes choses qui ne sont pas comprises dans les 291 euros. Une IVG chirurgicale est payée 650 euros. Pour des raisons financières, on favoriser artificiellement une IVG chirurgicale alors que les femmes ne la souhaitent pas. Si vous avez le choix entre aller en salle d'op' ou ne pas y aller -même si l'IVG médicamenteuse y mène dans 5% des cas- que choisirez-vous ? Faisons en sorte que les deux modalités soient payées 650 euros, à hauteur de leur coût. Il y a des services qui ne font pas d'IVG médicamenteuses tellement c'est mal payé : ça alourdirait leur déficit. Si le paiement était au juste prix, tout un tas de services en feraient. L'autre jour, j'entendais une grosse clinique à Nantes dire que malgré le déficit que ça entrainerait elle aimerait proposer des IVG… mais elle n'a pas l'autorisation. Qu'on m'explique pourquoi ! Je tombe de la lune. Cet établissement fait 4.000 accouchements et est obligé d'envoyer les IVG vers le CHU. N'importe quoi ! Sur cette question, on marche sur la tête. Je ne veux pas non plus que l'IVG devienne un marché et soit considérée comme une contraception. Je voudrais qu'elle soit disponible en urgence et payée correctement, avec un contrôle de qualité. Mais allonger le délai, c'est la dernière des choses à faire ! Je découvre que parfois la politique amène à faire des propositions qui ne sont pas dans l'intérêt des administrés, pour des questions d'affichage et de communication. On veut montrer qu'on fait des choses pour le droit des femmes alors que ça va dégrader la condition des femmes.    

Délais légaux : ce qui est autorisé en France et en Europe
En France, d’après une note du ministère de la Santé, l’IVG médicamenteuse peut être effectuée en cabinet de ville jusqu’à la fin de la 5e semaine de grossesse, soit 7 semaines d'aménorrhée. Dans un établissement de santé toutefois, l’interruption de grossesse médicamenteuse est possible jusqu’à la 7e semaine de grossesse (9 semaines d'aménorrhée). L’IVG instrumentale (par dilatation du col et aspiration du contenu de l'utérus), exclusivement réalisée dans un hôpital ou une clinique, peut quant à elle être effectuée jusqu’à la fin de la 12e semaine de grossesse (14 semaines d'aménorrhée).
A l’étranger, les délais légaux peuvent être bien différents de ceux appliqués dans notre pays où, rappelons-le, l’IVG est remboursée à 100% par l'Assurance maladie depuis 2013. Si l’Allemagne, l’Italie, la Belgique ou encore la Grèce limitent eux aussi le délai légal d’interruption volontaire de grossesse à 12 semaines, délai le plus répandu en Europe, l’Espagne et l’Autriche l’autorisent jusqu’à la 14e semaine, soit la durée que suggère Albane Gaillot. En Suède, les femmes peuvent avorter jusqu’à la 18e semaine de grossesse. Les Pays-Bas et le Royaume-Uni demeurent les pays d’Europe où le délai légal d'avortement est le plus long, respectivement jusqu’à la 22e semaine et jusqu’à la 24e semaine.
A contrario, d’autres pays restent très stricts par rapport à la pratique voire remettent en cause ce droit, comme la Pologne qui  ne l’autorise qu’en cas de malformation du fœtus, de viol, d’inceste ou de danger grave pour la santé de la femme enceinte. La pratique est totalement interdite à Malte, en Andorre, à Saint-Marin et au Vatican.
L.C.
 
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