Un constat d’alerte. C’est ce qui ressort de la consultation infirmière* lancée mi-mai par l’Ordre national des infirmiers auprès de la profession, "alors que les difficultés de recrutement, et surtout l’hémorragie d’infirmières, sont de plus en plus aigües", rapporte le communiqué de l’instance publié hier. Quel regard portez-vous sur l’offre de soins sur votre territoire ? Quelles sont vos conditions d’exercice au quotidien ? Comment favoriser l’accès aux soins pour tous les patients ? Des questions qui ont révélé l’inquiétude des infirmières face à un système d’accès aux soins "source d’inégalités". Réagissant à la situation sur leur territoire, une large majorité des 40 812 infirmières interrogées (93%) se disent "inquiètes" – et 43% "très inquiètes" – concernant l’accès aux soins. 96% estiment que les délais d’attente pour l’obtention d’un rendez-vous sont "trop longs" et 68% considèrent qu’il "n’existe pas d’égalité d’accès aux soins sur leur territoire d’exercice". Pour ce qui est des établissements hospitaliers, 79% affirment qu’il y a "beaucoup" de fermetures de lits et/ou de services et 75% qualifient l’accès aux services d’urgence de "restreint" voire "difficile". Interrogées sur les principaux motifs de préoccupation de leurs patients, les infirmières évoquent, en premier, "la difficulté d’accès à un établissement de soins et aux professionnels de santé" (77%), loin devant le manque d’explications sur les parcours de soins (55%) ou l’appréhension de la dépendance pour soi-même ou pour ses proches (52%). 61% insatisfaites de la coopération entre professionnels Le 30 mai dernier, Martin Hirsch affirmait au micro de France Inter, qu’il manque 1.400 infirmières à l’AP-HP : "On a 1.000 [infirmières] de moins qu’il y a un an à la même époque. On avait initialement prévu de créer 400 postes supplémentaires, on n’a pas pu les ouvrir. Il nous manque donc 1 400 infirmières par rapport à ce que l’on aimerait avoir." Alors que le pays fait face à une pénurie d’infirmières, à l’hôpital comme en ville, celles-ci se perçoivent, pour la vaste majorité (97%), comme "des acteurs essentiels du maintien à domicile", et des maillons essentiels pour renforcer le lien social sur leur territoire d’exercice (71%). Si 8 infirmières sur 10 se disent fières d’exercer leur métier (82%), près des deux tiers des interrogées (65%) regrettent que leurs compétences et leur rôle auprès des patients ne soient pas reconnus sur leur territoire. De plus, leurs conditions d’exercice, perçues comme "plus difficiles que par le passé" (88%), peuvent être préjudiciables pour le patient : 71% jugent qu’elles ne peuvent pas consacrer suffisamment de temps à chaque patient, 68% sont insatisfaites de la coopération entre les professionnels de santé sur leur territoire et 61% ne sont pas satisfaites de l’équilibre entre leur vie professionnelle et personnelle. Renforcer le rôle des infirmières est donc "dans l’intérêt immédiat des patients", précise le communiqué de l’ONI. Quelles sont les solutions prioritaires pour améliorer le système de santé dans leur territoire ? Pour 80% des infirmières sondées, il faudrait appliquer des ratios infirmiers par patient, de jour comme de nuit, en établissements, et mieux prendre en compte de la parole et du vécu des usagers dans leurs parcours de soins. Une infirmière sur deux (51%) considère également qu’il faut orienter l’exercice du métier d’infirmier vers une plus forte responsabilité populationnelle et 50% souhaiteraient une redéfinition du rôle et de la place des ARS. Et 97% pensent qu’il faut impliquer davantage les infirmières dans le déploiement des politiques de santé publique, par exemple en matière de lutte contre les addictions (92%). En matière de pratique avancée, une très large majorité des infirmières souhaitent la création de nouvelles mentions : vieillissement et de la fin de vie (97%), déterminants de santé (89%), et problématiques de santé liées à l’environnement (87%). Enfin, la représentation des infirmières doit être renforcée : 86% estiment qu’il n’y a pas assez d’infirmières dans les instances de gouvernance des établissements de santé. L’urgence : actualiser le décret-socle infirmier Si six infirmières sur dix pensent qu’il faut rapidement engager les réformes prioritaires dans les six mois à venir, 30% estiment qu’il faut d’abord "mettre tous les acteurs autour de la table pour dialoguer à l’occasion d’une grande consultation sur la santé". Adapter le décret infirmier semble une priorité : 94 % jugent urgent d’actualiser le décret qui encadre les compétences infirmières "pour l’adapter à la réalité de leur exercice aujourd’hui". Parmi les évolutions souhaitées : favoriser la reconnaissance et le renforcement des soins relationnels effectués par l’infirmière (86%), donner davantage de responsabilités aux infirmières en matière de prévention et d’éducation thérapeutique, sans prescription médicale (70%), développer la consultation infirmière sans prescription médicale (60%), permettre l’accès direct des patients aux infirmiers en ville et en établissement (59%), autoriser la prescription des actes simples (58%), et donner aux infirmières la mission de coordination du parcours patient (50%). Ce qui rejoint une préconisation de l’Ordre qui recommande la création d’une fonction d’infirmière référente. "En identifiant les principaux motifs d’inquiétude relayés par leurs patients, en jetant un coup de projecteur sur leur perception des besoins en santé non couverts, les infirmières dressent un constat d’urgence sur l’avenir de notre système de santé", explique Patrick Chamboredon, président de l’ONI. La priorité : réviser le décret infirmier "pour conférer plus d’autonomie à la profession, dans l’intérêt des patients et des soignants", précise-t-il, tout en affirmant que "le dossier est sur la table de la nouvelle ministre de la Santé".
* 40 812 infirmières ont répondu à cette consultation réalisée en ligne du 13 au 30 mai 2022 auprès de l’ensemble des infirmières inscrites au tableau de l’Ordre
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