Nicole Mangin, seule femme médecin dans l'enfer de Verdun

11/11/2019 Par Aveline Marques
Histoire
Un timbre et une plaque. C'est tout ce qu'il subsiste en mémoire du Dr Nicole Girard-Mangin (1878-1919), dont les faits d'arme lui auraient pourtant valu une petite place dans l'Histoire. Car Nicole Mangin est singulière à plus d'un titre : elle devient médecin à une époque où l'on considère que les émotions féminines empêchent d'exercer la médecine; elle divorce dans un milieu où cela ne se fait pas; elle est, surtout, la seule femme médecin française sur le front de la Première Guerre mondiale.

  [Article initialement publié le 17 février 2017]   L'histoire commence en 1896. Nicole Mangin, 18 ans, entre en première année de médecine après avoir passé une licence en science naturelle et un certificat d'études physiques, chimiques et naturelles, nécessaire pour entreprendre des études de médecine. En fac de médecine, les femmes sont encore regardées avec suspicion. Si Madeleine Beis a ouvert la voie en 1868 en étant la première Française à pouvoir s'y inscrire, l'externat n'est ouvert aux femmes qu'en 1881 et l'internat qu'en 1885. Pour se faire une place dans cet univers misogyne, Nicole Mangin se démène. Charriée par ses camarades, regardée de haut par ses professeurs, la jeune femme réussit pourtant à être nommée externe des Hôpitaux de Paris trois ans plus tard, aux côtés de quatre autres étudiantes seulement. Puis elle est rattrapée par sa vie de femme: elle épouse André Girard, qui travaille dans la firme de négoce en vins de son père, et abandonne ses études. Un fils naît un an plus tard.   Elle demande le divorce   Il a trois ans quand sa mère, trompée et vivant mal l'oisiveté, demande le divorce. "Voilà qui prouve encore qu'elle était très en avance sur son époque. Ça ne se faisait pas dans le milieu bourgeois, commente Marie-José Chavenon, auteur de Nicole Mangin, seule femme médecin de la Grande Guerre (Ed. Vent d'Est). Elle choisit de conserver le nom de son ex-mari accolé au sien, ce qui est encore une fois très moderne." Une bravade qui changera le cours de son destin. Divorcée et désormais bénéficiaire d'une pension alimentaire, Nicole peut reprendre.. . ses études de médecine, laissant la garde de son fils à son ex-mari. Ses recherches, menées à la Sorbonne et à l'Institut Pasteur dans l'équipe du Dr Emile Roux, sont centrées sur le cancer et sur la tuberculose. En 1909, sa thèse sur Les poisons cancéreux obtient la mention "très honorable". Choisissant d'exercer à l'hôpital, le Dr Girard-Mangin devient une référence dans le domaine de la tuberculose et des maladies pulmonaires, représentant la France au Congrès international sur la tuberculose en Autriche en 1910.   Une présence tout juste tolérée   Au lendemain de la déclaration de guerre, début août 1914, Nicole Mangin a la surprise de recevoir un ordre de mobilisation émanant du Service de santé des armées. L'Armée, qui n'acceptera les femmes que 30 ans plus tard, croit avoir requis les services du "Dr Gérard Mangin" pour un poste à l'hôpital thermal de Bourbonne-les-Bains (Haute-Marne), établissement de réserve. Nicole s'exécute. "Je demande un homme, on m'envoie une femme!", lui lance le médecin-chef qui l'accueille. L'armée manquant de médecins au début du conflit, la présence de Nicole Mangin est tout juste tolérée. On lui octroie l'uniforme des doctoresses de l'armée britannique. Son "accoutrement singulier" (sic) est immortalisé dans le journal L'image de la guerre"Je dois à ma casquette d'avoir gardé une coiffure correcte, même en dormant sur des brancards, d’avoir tenu des heures sur un siège étroit sans gêner le conducteur. Je dois à mes larges et multiples poches d'avoir toujours possédé les objets de première nécessité: un couteau, un gobelet, un peigne, de la ficelle, un briquet, une lampe électrique, du sucre et du chocolat. (…) Enfin, je dois à mes caducées et à mes brisques le prestige qu'il m'a fallu parfois auprès des ignorants et des sots", écrit-elle dans une lettre de remerciement au journal. Payée un sou par jour et recevant le tabac réglementaire, Nicole Mangin entreprend de préparer l'hôpital thermal à recevoir des blessés. Ils arrivent par centaines. Elle les soigne comme ses confrères masculins, ce qui lui vaut un début de reconnaissance: mutée à Reims à sa demande, elle est chargée du train sanitaire qui l'y conduit. Là encore, sa condition féminine créé la surprise. Harcelant la hiérarchie, elle finit par obtenir le grade de médecin auxiliaire… mais le salaire d'une infirmière. En décembre 1914, elle est affectée à Verdun, où sévit une épidémie de fièvre typhoïde. Evoluant parmi des milliers d'hommes, Nicole trouve réconfort auprès d'une femelle berger allemand, qu'elle nomme "Dun", diminutif de Verdun. Arrivée à l’Hôpital n°7, à Baleycourt, elle est traitée, écrit-elle à sa famille, comme une pestiférée Le médecin-chef lui interdit l'entrée des salles pendant des semaines. On finit par lui donner la responsabilité d'un service de typhiques à l'hôpital n°13, de Glorieux, où elle prend en charge 178 malades, sous les bombardements. L'offensive allemande débute le 21 février 1916. L'hôpital doit évacuer les malades, ne disposant pour ce faire que d'un seul véhicule sanitaire qui roule "26 heures sur 30". Nicole Mangin obtient l'autorisation de rester aux côtés des quelques malades intransportables, jusqu'au dernier moment.   Aide opératoire   Dans sa fuite vers Bar-le-Duc, elle est blessée à l'oreille droite par un éclat d'obus. Le lendemain de son arrivée, elle est affectée à Vadelaincourt et obtient d'être nommée médecin-major lieutenant. Cet hôpital provisoire, le plus grand de la région, reçoit près de 11 000 blessés et malades entre février et juin 1916. Nicole Mangin fait office d'aide opératoire dans les interventions lourdes et prend en charge les actes de petite chirurgie, suture, plâtres, pansements des grands brûlés, soins des gelures au pied –les "pieds de tranchée". On finit par lui confier des actes plus lourds, comme les ligatures artérielles et les réductions de fracture. Par ailleurs, elle participe à l'évacuation des blessés sur les champs de bataille.

En décembre, promue capitaine, elle est nommée directrice de l'hôpital-école Edith Cavell, qui vient d'être inauguré à Paris. "Cette promotion masque une façon détournée de l'éloigner de la guerre où, si certains confrères ont fini par l'apprécier à sa juste valeur, la majorité continue de railler sa présence incongrue et officiellement interdite d'une femme dans les hôpitaux militaires", souligne Marie-José Chavenon dans son ouvrage. Nicole Mangin relève le défi: enseigner la théorie et la pratique aux infirmières militaires (ci-dessus en cours pratique de vaccination). Elle demande à son amie Marie Curie d'assurer les cours de radiologie. Début 1918, lors de l'épidémie de grippe espagnole, Nicole Mangin installe les malades dans un pavillon isolé. Son établissement sera reconnu comme l'hôpital parisien qui déplore le moins de décès. Actes médicaux et chirurgicaux, visites des malades, cours, correction des copies, réunions administratives, tournée d'inspection des soignantes sur le front … La directrice s'implique corps et âme, ne dormant que 5 heures par nuit sur le lit de camp de la cellule attenante à son bureau. A la fin de l'année 1918, une mastoïdite opérée sous anesthésie générale la force à prendre quatre jours de repos. Sur le front, elle n'avait bénéficié que de 10 jours de permission.   Tournée mondiale de conférences   Nommée médecin-chef de l'hôpital militaire VG 24 à Paris, donnant des cours à l'école des surintendantes, membre active de la Ligue internationale contre le cancer, "elle accepte tout, incapable de dire non, repoussant les recommandations de se ménager que lui font gentiment ses proches", relate Marie-José Chavenon. Une façon de prouver sa valeur à ceux qui en doutent encore? Au mois de mai 1919, à bout de forces, elle accepte de faire une tournée mondiale de conférences sur le rôle des infirmières militaires pendant la Grande guerre - des Etats-Unis au Japon, en passant par l'Afrique du Sud. Elle ne partira jamais. Le 6 juin au matin, Nicole Mangin, 40 ans, est découverte morte à son domicile parisien. Sur sa table de chevet, plusieurs boites et flacons vides de médicaments. Pour Marie-José Chavenon, "les causes sont évidentes": "un burn out sévère dû au stress du surmenage, auquel on peut ajouter le syndrome post-traumatique des horreurs de Verdun". Dans son testament, rédigé quelques semaines auparavant, elle émancipe son fils de 18 ans, consciente d'avoir raté sa vie de mère. Si l'Académie de médecine l'avait décorée, avant la guerre, de la médaille d'argent des épidémies, l'Armée s'abstient d'honorer une femme qui n'avait rien à faire dans ses rangs et a commis un geste infamant. L'hommage a été rendu par ses patients de Verdun, qui se cotisent pour lui offrir une plaque. Le Dr Mangin sort de l'oubli en 2014, à l'occasion des commémorations du centenaire de la guerre. Seule reconnaissance officielle : un timbre est émis à son effigie, en 2015.  

Sources:
Nicole Mangin, seule femme médecin de la Grande guerre, Marie-José Chavenon, Ed. Vent d'Est, octobre 2016.
Nicole Girard-Mangin, plaquette de François Stupp, 2010.

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Michel Pailleux

Michel Pailleux

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