"Pour nous, médecins, notre métier a cela d’unique qu’au-delà de l’acte médical et du diagnostic, il nous demande d’accompagner, d'assister, d'éclairer, de soutenir mais aussi de prévenir celles et ceux que nous sommes amenés à suivre et à soigner. Seulement, cette notion de prévention est parfois délicate, il est vrai qu’être médecin, c’est aussi protéger et donc alerter et prévenir lorsque l’un de nos patients se trouve en situation pouvant le mettre en danger", écrivait la Dre Marie-Pierre Glaviano-Ceccaldi, vice-présidente du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom), le 6 août dernier, dans une tribune au Monde.
Mais pour 101 professionnels du monde du droit, de la santé et de l’associatif, ses "motivations protectrices" ne sont que de la poudre aux yeux. Dans une tribune publiée vendredi 20 octobre dans l’Obs, ils soutiennent "que l’Ordre des médecins fait, au contraire, ‘comme si’". "Comme s’il était attaché à une médecine ‘humaniste et bienveillante’", jugent les signataires, parmi lesquels les cofondatrices du collectif Médecins stop violences, les pédopsychiatres Eugénie Izard et Françoise Fericelli, récemment sanctionnées après avoir signalé de suspicions de maltraitance sur mineurs.
"L’Ordre a condamné à de lourdes interdictions d‘exercice des médecins qui n’avaient fait que signaler des enfants en danger", dénoncent les auteurs de ce texte, qui poursuivent : "l’Ordre interdit paradoxalement au médecin de mettre en cause dans ses écrits un parent maltraitant alors que plus de 80% des violences faites aux enfants le sont dans le cadre de la famille." Et de pointer du doigt : "quand il ne soutient pas des accusés", il "applique aux médecins l’interdiction d’immixtion dans les affaires de famille. Et ce au lieu de privilégier la règle déontologique du devoir de protection des enfants".
L’Ordre fait "comme si les chiffres du faible taux de signalements médicaux n’existaient pas…", dénoncent encore les signataires qui citent les propos tenus par la vice-présidente du Cnom dans un entretien à Egora en mars dernier. Interrogée sur le fait que "seuls 5% des signalements émaneraient du corps médical selon la HAS", la Dre Marie-Pierre Glaviano-Ceccaldi avait répondu que "personne ne sait" d’où vient ce chiffre. Elle avait néanmoins reconnu que "les médecins signalent peu" pour de multiples raisons ("la crainte", "le manque de formation", "le manque de mise en situation"…).
Les auteurs de la tribune publiée dans l’Obs évoquent, eux, une étude de l’UMJ de l’Hôtel Dieu à Paris, qui relève que "sur les 481 mineurs de moins de 15 ans reçus dans le cadre de violences sexuelles intra familiales entre 2018 et 2022, seuls 6 cas avaient été signalés par un médecin, soit 1,30% des cas". Ils accusent par ailleurs l’Ordre de vouloir "contrôler encore plus les écrits des médecins" et "limiter leurs activités de protection", plutôt que leur "garantir une protection juridique adéquate", comme ce qu’avait écrit la Dre Glaviano-Ceccaldi dans son texte. Et regrettent que les comités vigilance sécurité mis en place par l’instance dans les territoires "ne comportent aucun médecin spécialiste des violences faites aux enfants".
Alors que le Gouvernement a lancé mi-septembre une campagne de prévention sur l’inceste et les violences sexuelles contre les enfants, ces 101 professionnels de la santé, du droit, et de l’associatif estiment que l’Ordre des médecins ne prend pas réellement à cœur la lutte contre l’inceste, en se montrant opposé à la création d’une obligation de signalement, préconisée par la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Dans une interview pour Egora, la vice-présidente du Cnom avait notamment estimé que la mesure risquerait d’"éloigner les enfants du soin".
"Mais il y a un point sur lequel l’Ordre des Médecins n’a pas fait ‘comme si’, c’est celui de la communication médiatique : en répétant à l’envi son rôle dans le soutien et la protection des victimes de violences intrafamiliales, des enfants maltraités et des médecins impliqués dans la protection des enfants. La protection des victimes et des plus vulnérables, pilier du serment d’Hippocrate prêté par chaque médecin, mérite autre chose que des ‘comme si’", pressent-ils, réclamant "des actes et un engagement réel" de la part de l’instance ordinale.
[avec L’Obs]
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