Dipa, obligation vaccinale, soins non programmés... Le directeur de la Cnam répond aux inquiétudes des médecins
Boycott du Service d'accès aux soins, grève des visites à domicile, contestations des régularisations du Dipa, procédures à l'encontre des réfractaires à l'obligation vaccinale… Médecins et Assurance maladie traversent en ce moment une zone de turbulences, malgré la signature d'un avenant historique sur le plan financier. Répondant aux craintes et aux doutes légitimes des médecins libéraux dans une interview exclusive accordée à Egora.fr, le directeur général de la Cnam, Thomas Fatôme, se montre "confiant" sur l'avenir. Egora.fr : L'actuelle convention médicale a été prolongée jusqu'en 2023. Quelles sont les raisons qui ont justifié ce choix ? Comprenez-vous la déception des syndicats et de certains médecins face à l'avenant 9, certes substantiel, mais qui n'est pas à la hauteur du Ségur de la santé pour l'hôpital ? Thomas Fatôme : Le Gouvernement a souhaité faire ce décalage dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2021 compte tenu des élections professionnelles et de l’enquête de représentativité, qui ne permettaient pas de respecter le calendrier. Il a donc, à la fois, décidé de prolonger la durée de la convention actuelle et a, d’une certaine manière, encouragé l’Assurance maladie à engager des discussions sur un avenant qui fasse le pont. C’est ce que nous avons fait dès l’automne 2020 dans un contexte marqué par l’épidémie de Covid-19. Cet avenant a été signé par des syndicats qui représentent une majorité large des médecins généralistes et spécialistes [MG France, Avenir Spé-Le Bloc et la CSMF, NDLR]. Ce n’était pas totalement évident au lancement de cette négociation. C’est un avenant historique par son montant financier [786 millions d'euros].
Je comprends les comparaisons qui sont faites avec le Ségur, mais la difficulté, c’est que ces accords consolident à la fois les revalorisations des médecins, des paramédicaux et les investissements hospitaliers. Essayons donc de comparer ce qui est comparable. Je continue à penser que cet avenant constitue un soutien très fort à la médecine libérale dans cette période.
L'avenant 9 fait la part belle aux rémunérations forfaitaires avec le Service d’accès aux soins (SAS) ou le numérique en santé. Ce type de rémunération a-t-il vocation à devenir majoritaire ? Dans l’avenant 9, il y a 320 millions d’euros de revalorisations qui passent directement par des majorations d’actes, qui prendront effet le 1er avril 2022. Si certains ont l’impression qu’on a fait que du forfait, ce n’est pas la réalité... On verra à la fin de la convention la progression des rémunérations à l’acte et des rémunérations forfaitaires depuis 2017 et nous constaterons que les choses sont assez équilibrées. L’Assurance maladie assume aussi pleinement d’investir sur les rémunérations forfaitaires en appui des revalorisations à l’acte pour améliorer la qualité et la performance du système de santé pour les patients.
Alors que certains acteurs engagés dans les expérimentations du SAS entament un boycott, dénonçant les tarifs conventionnels de la régulation et de l'effection, une généralisation en 2022 n'est-elle pas illusoire ? Le travail de l’Assurance maladie était d’abord de définir un cadre conventionnel tarifaire. Il est aujourd’hui signé. Il est surprenant d’entendre certains syndicats qui ont signé appeler au boycott de ce qu’elles ont signé... Il appartient désormais aux médecins libéraux de se mobiliser. Personne ne les oblige à s’investir dans le SAS Notre travail était de créer les conditions les plus attractives possibles pour que ce dispositif fonctionne. Je pense que les conditions financières définies dans l’avenant 9 le sont. Le chemin d’enseignement des expérimentations et de préparation pour 2022 doit se poursuivre. Les ARS, en lien avec la Cnam, les médecins de ville et l’hôpital travaillent en ce sens. L’objectif est d’accélérer en 2022 le nombre de plateformes créées pour pouvoir en tirer un bilan plus global d’ici la prochaine convention médicale.
Sur le SAS, pourquoi une majoration de l'acte de soins non programmés a-t-elle été écartée d'emblée ? L’intérêt de ce dispositif est de donner les moyens à la médecine libérale de s’organiser pour pouvoir répondre à une demande de soins qui, aujourd’hui, se traduit souvent pas un passage aux urgences, même lorsque l’hospitalisation n‘est pas nécessaire, faute d’offre intermédiaire... La question est la suivante : est-ce que les médecins libéraux veulent se saisir des outils qu’on leur propose pour être acteurs d’une réponse à cette demande de soins qui s’exprime ? Les médecins libéraux ne découvrent pas les soins non programmés. Un très grand nombre de médecins, généralistes mais aussi spécialistes, en font déjà. Et ils ne bénéficient pas pour cela d’une majoration. Tous les jours, des patients prennent des rendez-vous chez le médecin dans les 24/48h. Personne n’a jusqu’ici pensé à donner 15 euros de plus parce qu’il s’agissait d’une demande non programmée. Ce que nous voulons construire avec les médecins, c’est une organisation avec une régulation et des effecteurs volontaires et rémunérés dans ce but. Regardons plus précisément les choses : le cadre que l’on propose est assez simple. D’abord, une régulation bien rémunérée [90 euros de l'heure avec prise en charge des cotisations sociales pour les médecins de secteur 1, NDLR], avec un tarif supérieur à la rémunération horaire d’un généraliste. Ensuite, pour les médecins volontaires, un partage d’agenda, public ou avec le régulateur libéral, pour que celui-ci puisse rapidement identifier les créneaux disponibles sur le territoire, pour la modique rémunération de 1400 euros. Notons à ce titre que la majorité des libéraux aujourd’hui ont déjà recours à un système d’agenda en ligne pour faciliter la prise de rendez-vous. Enfin, si aucun créneau n’est disponible, le régulateur pourra contacter les médecins inscrits au SAS pour leur demander de prendre un patient en dehors de leurs horaires de consultation. Chaque consultation supplémentaire donnera lieu à une majoration, proche de 15 euros par acte. Il permettra à un médecin investi pour faire de l’effection de gagner jusqu’à 2500 euros supplémentaires. Je suis donc particulièrement confiant sur le fait que les médecins sauront se saisir de ces outils.
La problématique pour de nombreux médecins réside dans le fait que ces créneaux libérés le seront pour des patients qu’ils ne connaissent pas… Je mesure bien que les médecins traitants notamment font face à une demande forte de leurs patients. Mais à ma connaissance, il n’a jamais été question d’une majoration pour de nouveaux patients qui franchissent la porte du cabinet médical... Faut-il considérer que ces patients sont forcément plus compliqués que d’autres ? Je n’en suis pas certain. La régulation est aussi une forme de tri qui va aider les médecins à savoir quel type de patient ils vont recevoir et pour quelle pathologie. Aujourd’hui, on demande aux médecins d’ouvrir un peu leur agenda pour construire une forme de collectif. C’est l’évolution que nous voulons favoriser et je mesure que ça n’est pas facile. Mais honnêtement, on le fait de manière assez mesurée : 2 heures par semaine. C’est la condition pour que les médecins libéraux redeviennent les acteurs de quelque chose qui leur a échappé et dont d’ailleurs ils se plaignent : que les gens aillent directement aux urgences parce qu’ils ne sont pas bien orientés, n’ont pas de visibilité sur l’offre de soin libérale du territoire, et n’ont pas de point de contact. Avec la régulation, ils ont désormais ce point de contact. Si on a quelques dizaines de milliers de médecins qui se mettent à partager 2 heures d’agenda, et à prendre de temps en temps un patient supplémentaire en urgence, on pourra construire un parcours pour les soins non programmés beaucoup plus efficace et optimiser le temps médical, ressource ô combien précieuse. En matière de numérique en santé, le Gouvernement et la Cnam ont placé la barre très haut. Certains syndicats pointent des contraintes dépassant les avantages financiers pour les médecins. Les objectifs sont-ils tenables ? Je ne vois pas où il y aurait des contraintes car il n’y a que des "plus". Tout d’abord, il y a un nouveau système de financement des éditeurs qui va permettre aux médecins d’avoir accès gratuitement à des logiciels métiers qui permettent de répondre au cahier des charges du Ségur. Et puis il y a dans l’avenant 9 des incitations financières significatives pour promouvoir de nouveaux usages : le remplissage du volet de synthèse médical dans l’espace numérique de santé, l’utilisation de la e-prescription, le remplissage du DMP, l’utilisation de la messagerie de santé entre le professionnel et l'assuré. Y a-t-il une contrainte dans tout cela ? Je ne la vois pas. Est-ce qu’il y a une attente des médecins et des patients à ce que le numérique prenne davantage de place au service du parcours de soins des assurés et au service de l’amélioration des conditions de travail des médecins ? Je le pense. Le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, nous a fixé une feuille de route très ambitieuse pour le numérique en santé, avec des moyens importants à la clé. L’avenant 9 doit permettre d’y contribuer très rapidement. L'avenant 9 a revalorisé la visite longue mais la visite de base n'a que faiblement augmenté ces dernières années, la majoration de déplacement n'ayant pas évolué depuis 2002. Dénonçant la visite à 35 euros, l'UFML a lancé un mouvement d'arrêt. SOS médecins a fait grève pour réclamer des revalorisations. Quelles réponses allez-vous leur apporter ? L’objectif de l’avenant 9 n’était pas de traiter tout le sujet des visites à domicile, mais de soutenir l’action des médecins traitants qui doivent aller régulièrement au domicile de leurs patients âgés. L’Assurance maladie a fait en ce sens un investissement significatif (140 millions d’euros) avec l’augmentation des tarifs et la création de quatre visites annuelles pour les personnes de plus de 80 ans en ALD. On a discuté avec SOS Médecins de ce sujet avant et pendant les négociations de l’avenant 9. Les discussions se poursuivent, puisque je les ai reçus ce jeudi. Parallèlement à cet avenant, nous avons fait des propositions au Gouvernement sur l’évolution de la rémunération de la permanence des soins ambulatoires (PDSa), qui représente une activité importante pour les médecins de SOS.
Un tiers des médecins libéraux bénéficiaires du dispositif d'indemnisation de la perte d'activité (Dipa) se sont vu réclamer des indus à la rentrée. Des calculs détaillés ont pu leur être fournis par les caisses. Ont-ils permis de fournir des explications à ces régularisations massives ? Quelles suites vont être données ? Il faut en premier lieu rappeler que Dipa, c’est 1,3 milliard d’euros accordés par l’Assurance maladie aux professionnels libéraux, en sus de toutes les aides mises en place par l’Etat, pour leur permettre de traverser le premier confinement et d’amortir le choc des déprogrammations. Quel pays a fait cela pour ses médecins ? Ensuite, la régularisation finale de Dipa est globalement favorable aux médecins. Aux mois de juin et de juillet, l’Assurance maladie a versé aux médecins libéraux un complément de plus de 150 millions d'euros. Ce n'est pas une somme négligeable. Nous avons fait le choix d'un dispositif qui permette d'intervenir très rapidement : dès la mi-mai 2020, des avances ont été versées. On aurait pu prendre le temps de regarder l'activité dans le détail et ne pas se baser sur des données déclaratives : on aurait versé l'argent en septembre ou en octobre 2020 seulement et la cible aurait été manquée. La contrepartie de ce versement rapide, c'est la régularisation. Une régularisation que nous avons étalée dans le temps. Nous avons donné aux professionnels de santé douze mois pour rembourser, et non pas un ou deux mois comme c'était prévu initialement. Ils ont systématiquement cette possibilité d'échelonnement, qui va pouvoir démarrer mi-décembre et non mi-novembre. Nous avons un devoir d’écoute et d’accompagnement des professionnels concernés par des régularisations négatives.
Avez-vous connaissance du nombre de médecins qui ont contesté la régularisation de leur Dipa ? C'est encore un peu tôt, nous aurons de premiers chiffres d’ici la fin octobre. Les négociations sur l'avenant 2 de l'accord cadre interprofessionnel (ACI) sur l'exercice coordonné et les CPTS ont été suspendues en janvier dernier, faute d'accord majoritaire. Quels étaient les points de blocage ? Quand vont-elles reprendre et sur quelle base ? Je ne sais pas si on peut parler de points de blocage… Ces négociations ont été suspendues dans le même mouvement que les autres négociations, du fait des élections URPS. Un nombre important d'organisations, hormis les syndicats médicaux, nous avaient transmis leur souhait de signer. Nous avions bien avancé. Mon objectif est de relancer rapidement ces négociations -une première séance est prévue la semaine prochaine- et d'aboutir dans un calendrier resserré puisque l'essentiel du travail sur l'appui aux CPTS d'un côté et sur le cadre expérimental pour les équipes de soins de l'autre, a été fait à l'automne 2020.
Comment la Cnam va-t-elle continuer à soutenir l'exercice coordonné ? Cet avenant est l'une de briques d'un triptyque : CPTS/exercice coordonné, maisons de santé, centres de santé. Nous activons ces trois leviers. L'exercice coordonné s'incarne dans l'exercice des CPTS qui est pour nous un appui d'organisation de la médecine de ville au sens large. Derrière, dans cet ACI, il y a l'idée de soutenir le développement d'équipes de soins, primaires ou spécialisées, et de tester ces différentes formules en 2022. Nous avons aussi des expérimentations dans le cadre de l'article 51. L'objectif est que les professionnels trouvent la formule qui leur convienne. Autant le cap est fixé sur le fait que l'exercice isolé devienne une exception comme l’avait indiqué le Président de la République lors du lancement de Ma Santé 2022, autant il est clair qu'il n'y a pas un modèle unique et que notre travail est de proposer aux professionnels plusieurs formules. Avec un objectif fort : que cet exercice coordonné se traduise en résultats, c'est-à-dire en amélioration des conditions d'exercice des professionnels et en amélioration de la prise en charge des assurés. Il ne s'agit pas de cocher une case "équipe de soins" car on se coordonne chaque jour avec d'autres professionnels. Il s'agit d'une nouvelle organisation, plus intégrée, qui bénéficie aux patients. Nous devrions terminer ces trois négociations avant la fin de l'année. L'Assurance maladie a un rôle à jouer dans la mise en œuvre de l'obligation vaccinale des professionnels de santé. Des suspensions de remboursements ont-elles été prononcées ? Au 30 septembre, 95.2% des professionnels de santé libéraux conventionnés étaient vaccinés*. Ce taux continue à progresser : on a gagné un peu plus d'un point au cours des quinze derniers jours ; il y avait au 15 septembre 21.000 professionnels de santé libéraux conventionnés non vaccinés**, aujourd'hui on est à 17.000 ; 2.400 médecins, sur 110.000, ne sont pas encore vaccinés, dont 1.300 médecins généralistes et 1.100 autres spécialistes. Soit 97.7% des généralistes et 98% des spécialistes vaccinés. Le contrôle est de la responsabilité des ARS, chargées d'édicter une interdiction d'exercer si la non-vaccination est confirmée. A ce stade nous n'avons pas de chiffres, ce qui est logique car les procédures incluent une phase contradictoire avec les professionnels concernés. La procédure mise en place pour ces professionnels est progressive : parce que l'on ne veut pas pénaliser les patients, le premier remboursement pourra être fait mais le patient sera alerté sur le fait que le professionnel consulté est sous le coup d'une interdiction d'exercice ; on informera l'ARS si des remboursements continuent d'arriver pour ces professionnels, qui continueraient manifestement d'exercer malgré l'interdiction, ce qui devrait déclencher une action complémentaire de l'ARS et le cas échéant du conseil de l'Ordre ; ensuite, on arrêtera de rembourser.
Un contrôle renforcé des arrêts maladie a été mis en place. Avez-vous constaté une hausse d'arrêts qui pourrait sembler "suspecte" ? Les contrôles sont en cours, à la fois des assurés et des prescripteurs et à chaque fois, nous faisons rigoureusement notre travail, qui est de vérifier si l'arrêt est fondé sur une justification médicale. Il y a un examen du dossier, un échange avec le professionnel et l'assuré. Nous sommes encore dans une phase de montée en charge, avec chaque jour des contrôles et des convocations en cas de suspicions d'arrêts injustifiés. Nous ferons un bilan durant la deuxième quinzaine d'octobre. *Au moins une dose
**Ces professionnels n'ont pas encore débuté leur schéma vaccinal Crédit photo : Julie Bourges
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