Homéopathie : ce que contient l'avis de la HAS

28/06/2019 Par Yvan Pandelé
Politique de santé
La Haute Autorité de santé (HAS) présentait ce vendredi 28 juin ses conclusions sur l'homéopathie : pas d'efficacité propre, déremboursement conseillé, à l'unanimité moins une voix. Pour aboutir à ce résultat, les experts ont passé au crible 1000 études portant 1163 souches homéopathiques. En matière d'efficacité comme d'intérêt en santé publique, l'homéopathie n'a pas été jugée convaincante.
 

Si suspense il y a, levons-le d'emblée : l'avis est défavorable. La Haute Autorité de santé (HAS) a statué contre le remboursement à 30 % des 1163 spécialités homéopathiques évaluées.* Un secret de Polichinelle, révélé deux jours plus tôt par Libération. L'avis défavorable a été voté à la quasi-unanimité des 23 membres de la commission de la transparence (CT) : seul un des trois médecins généralistes y siégeant a préféré s'abstenir. En conservant son anonymat. Au-delà du verdict, la publication de l'avis complet permet de lever le voile sur les arguments et la logique déployée par l'agence d'évaluation. Laquelle a travaillé "dans un esprit scientifique mais sans a priori et sans dogmatisme", a tenu à souligner sa présidente, Dominique Le Gudulec, en conférence de presse vendredi 28 juin à la Maison de la Chimie (Paris 7e). Non loin de là, aux Invalides, des manifestants défilaient sous la bannière #MonHoméoMonChoix, en rangs semble-t-il très dilués.

Mathilde Grande, à la tête du service d'évaluation des médicaments de la HAS, évoque un travail "colossal", qui a mobilisé deux chefs de projet à plein temps pendant neuf mois. Il faut dire que l'évaluation était originale à plus d'un titre, a indiqué le Pr Christian Thuillez, président de la CT : 1163 souches, à des taux de dilution très variables (de 2 à 30 CH), sans indication clinique prédéfinie. Voilà qui tranche avec le périmètre habituel de "un médicament dans une indication". 37 études retenues sur plus de 1000 Pour statuer, les experts ont sélectionné plus d'un millier études sur une période volontairement large, de 2000 à 2019. Après écrémage méthodologique, seules 37 ont été retenues à l'analyse : 21 revues systématiques, 10 essais contrôlés randomisés (ERC) contre placébo, et 6 études d'impact de santé publique, relatives à 24 situations cliniques. Douleur, troubles anxieux, troubles du sommeil, candidose vaginale, otites... La liste est longue, mais la conclusion invariable : dans aucun cas l'homéopathie n'a fait la preuve de son intérêt. "Derrière cette unique conclusion, il y a deux situations : des études qui ne démontraient pas l’intérêt de l’homéopathie par rapport à un placebo, et des études qui auraient pu suggérer un intérêt de l’homéopathie mais qui n’étaient pas assez fiables pour qu’on en retienne les conclusions", détaille Christian Thuillez. Par exemple, deux ERC ont été retenus concernant l'effet de l'homéopathie sur les verrues plantaires : dans les deux cas (chez l'enfant et l'adulte), les groupes placebo et homéopathie ont eu le même taux de disparition à 6 semaines. Et ainsi de suite. Contrairement à ce qu'affirment les laboratoires Boiron dans un communiqué envoyé le jour même, l’intérêt de santé publique des spécialités homéopathiques – c'est-à-dire l'éventuel bénéfice lié à une consommation réduite d'autres médicaments ou un recours moins marqué au système de santé – faisait bien partie des critères d'évaluation retenus par la HAS. Mais là encore, le bilan s'avère non concluant, faute surtout de données exploitables. Homéo, pourquoi es-tu homéo ? Le vaste essai français EPI-3, mise en avant par les défenseurs de l'homéopathie, a été examiné avec un soin particulier. Sur 8559 patients cette étude de cohorte visait à comparer les pratiques médicales entre médecins homéopathes et praticiens conventionnels dans plusieurs affections fréquentes. Elle montre que le groupe homéopathie consommait beaucoup moins de médicaments : deux fois moins d'antibiotiques dans les IVRS et d'AINS dans les troubles musculosquelettiques, trois fois moins de psychotropes dans les troubles anxiodépressifs et du sommeil. Mais les avantages observés chez les patients soignés par homéopathie ne peuvent être portés au crédit de celle-ci, car leur profil se distingue notablement des autres patients : plus minces, plus éduqués, plus féminins, moins consommateurs de tabac et d'alcool… Pour la HAS, "ce biais de non-comparabilité majeur ne peut être corrigé" par des méthodes statistiques. "Ce qui est vraiment dommage… Ils auraient dû tirer au sort les patients !", s'étonne Christian Thuillez à l'issue de la conférence de presse. À plusieurs reprises, les experts de la HAS ont récusé toute intention de stigmatiser l'homéopathie. "On juge les médicaments, pas la pratique médicale", a dit en substance le président de la CT, qui a esquivé la question sur d'éventuelles pressions subies, et n'a pas souhaité détailler les aménagements apportés à l'avis suite à l'audition des laboratoires Boiron, Lehning et Weleda. L'agence s'est d'ailleurs dit ouverte à un réexamen des données si de nouvelles études venaient à être publiées. Le temps de la décision politique Place, désormais, à la décision politique. Et alors que les communiqués tombent en pluie fine pour demander à Agnès Buzyn de trancher dans un sens ou l'autre, la décision de la ministre risque de se faire attendre encore quelques jours. À l'HAS, on n'a en tout cas pas mémoire d'un avis n'ayant pas été suivi par les tutelles. Une seule exception : les traitements de désensibilisation allergique (Apsi) par voie sublinguale. Le collège de l'agence avait conseillé de passer le remboursement de 65 % à 15 %, mais l'intervention des allergologue avait convaincu l'avenue Duquesne de couper la poire en deux en optant pour 25-30 %. C'était en juin dernier. "Très honnêtement, on ne sait pas ce que va décider la ministre", confie Christian Thuillez après la conférence de presse. "C'est politique. Son avis propre, elle l'a exprimé à plusieurs reprises. Mais si d'autres considérations font qu'elle modifie sa décision, ça ne nous regarde pas. Et on ne s'estimera pas du tout déconsidérés ou déjugés. À chacun ses soucis !"   Consulter le rapport de la HAS et la synthèse des contributions.   * Il existe deux catégories de spécialités homéopathiques : les médicaments homéopathiques à nom commun, remboursables à 30 % sur prescription médicale, et les médicaments homéopathiques à nom de marque (Camilia, Oscillococcinum, Angipax…), qui bénéficient d'une AMM dérogatoire mais ne donnent pas lieu à remboursement. Seuls les premiers figuraient dans le champ de la saisine de la HAS par le ministère de la Santé, le 17 mars 2019.

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Stéphanie Beaujouan

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