Dans une lettre d'opinion, des chercheurs de l'université de Toulouse critiquent les études de bioéquivalence réalisées avant la mise sur le marché du Levothyrox nouvelle formule. En réanalysant les données à l'échelle individuelle, ils estiment que la nouvelle formule dépasse les marges admissibles pour plus de la moitié des patients testés.
Nouveau rebond dans la saga, déjà mouvementée, du Levothyrox. Dans une lettre d'opinion paru dans la revue Clinical Pharmacokinetics, une équipe de recherche de l'université de Toulouse met en cause la méthodologie adoptée pour s'assurer de l'équivalence entre la nouvelle formule et l'ancienne. Une analyse des données fournies par le laboratoire Merck, qui produit la molécule, montre que plus de la moitié des sujets testés se situent "en dehors de la plage de bioéquivalence". L'équipe toulousaine, menée par le biostatisticien Didier Concordet et essentiellement affiliée au laboratoire InTheRes (Inra, ENVT) de l'université de Toulouse, s'est attachée à montrer que l'étude de bioéquivalence réalisée par le laboratoire, bien que conforme à la règlementation et valide au plan scientifique, n'était pas suffisante pour anticiper le risque. Le protocole consiste à comparer la biodisponibilité moyenne entre deux formulations : si l'écart figure en-deçà d'une limite préétablie, l'essai est considéré comme concluant. "Plus de 50 %" des patients en-dehors de la marge Dans le cas du Levothyrox, l'étude principale réalisée par Merck (depuis rendue publique par l'ANSM) a consisté à tester 204 sujets sains et à jeun avec les deux formules. La biodisponibilité du médicament était mesurée (AUC de la concentration plasmatique) au cours des 72 heures suivant l'absorption par chaque individu, puis moyennée pour chaque formule. L'ancienne et la nouvelle formule présentant un écart moyen inférieur à 10 % (critère pour les médicaments à marge étroite), elles ont été jugées substituables. Mais les chercheurs estiment que le protocole de bioéquivalence moyenne employé n'est pas... adapté au cas du Levothyrox. Après avoir réanalysé les données, ils estiment que les variations de biodisponibilité individuelles étaient majeures. Sous quelques hypothèses statistiques (imposées par le caractère rétrospectif de l'analyse), ils évaluent ainsi à "plus de 50 %" la proportion des patients pour qui cet écart dépasse le critère réglementaire. De telles variations sont en théorie tout à fait susceptibles d'induire une perturbation de l'équilibre thyroïdien des patients concernées. Pour les auteurs, de telles données auraient dû constituer un "signal d'alerte majeur" et justifié la conduite d'un essai de bioéquivalence individuelle – plus long, plus coûteux, et surtout non imposé par la règlementation européenne. Une réanalyse contestée par le fabricant Contactée, l'ANSM n'a pas été en mesure de répondre à temps. D'après l'enquête de pharmacosurveillance dévoilée l'été dernier par l'agence sanitaire, environ 30 000 patients ont rapporté des effets indésirables suite au changement de formule, dont beaucoup à type d'hypo- ou d'hyperthyroïdie. Un chiffre élevé dans l'absolu, mais qui ne correspond qu'à 1,34 % des patients français traités au Levothyrox NF. De son côté, Merck rappelle que les études de bioéquivalence réalisées "respectent strictement le cadre règlementaire applicable, en France comme en Europe". Le laboratoire conteste également le chiffre d'au moins 50 % de patients non substituables, le qualifiant "d'extrapolation infondée", tout en se réservant la possibilité "d'analyser en détail l'analyse statistique en question." Il précise enfin que la Suisse et la Turquie n'ont pas connu de polémiques équivalentes à la France. Le changement de formule du Levothyrox, demandé par l'ANSM, était justifié par la nécessité d'améliorer la stabilité pharmaceutique du médicament au cours du temps. Seuls les excipients ont été modifiés, le lactose étant remplacé par du mannitol et de l'acide citrique. La nouvelle formule a été mise à disposition au cours du printemps 2017.
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